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Pourquoi le dialogue avance d'un pas mais recule de trois en Algérie ?

par Reghis Rabah*

La surenchère, les bruits et les fake news le polluent. Il est vrai que les 57 ans passées, l'ordre établi devait créer un état de psychose qui a fortement affecté l'indice social de confiance, voire même une distance politique assez longue entre le peuple et ses dirigeants, mais aujourd'hui, après ce déclic populaire du 22 février dernier, la situation a totalement changé.

Chaque mardi et vendredi, le mouvement de dissidence populaire réalise un acquis qu'il ajoute à son actif, mais faudrait-il un jour ou l'autre passer à la mise en œuvre de cette deuxième république déjà schématisée dans l'esprit de chacun des protestataires comme un Etat de droit, républicain et surtout citoyen. Cet objectif est unanime pour l'ensemble des pôles de la société. Subsiste comme dans tous les pas vers un but des divergences sur la marche à suivre. Ce qui est tout à fait normal étant donné la diversité des acteurs. Ce qu'il faut rappeler par ailleurs est que cette incompatibilité n'est pas entre le pouvoir en place et les différentes franges qui composent la société, mais les disparités sont au sein de la société elle-même. Dans cette équation complexe, tout le monde a compris que le pouvoir n'a qu'un seul objectif : reconduire coûte que coûte le «système» qui était en place depuis près de six décennies ; et il faudrait la prendre comme une constante lors de la résolution de cette crise. Les variables de cette équation à plusieurs contraintes permettront de rapprocher plutôt les divergences de la marche à suivre au sein des ailes de la société elle-même. Il faut reconnaître qu'on arrive aujourd'hui à distinguer clairement le contenu des positions des uns et des autres. Certaines portant sur l'impératif de fixer un agenda pour l'organisation de la prochaine présidentielle dans les plus brefs délais et d'autres proposant une feuille de route élaborée conformément au processus constitutif dans le cadre de la période de transition, et toutes s'accordant à faire du dialogue une priorité. On peut tout de même relever que les préalables à ce dialogue pour défraîchir les feuilles de route afin d'arriver à une plateforme, ne différent pas les uns des autres. C'est dans ce cadre et uniquement celui-là que les membres, notamment les six reçus par le chef d'Etat comme retenus parmi les 13 proposés par le forum de la société civile, semblent œuvrer. Rappelons qu'ils se sont réunis dimanche dernier et ont fait appel à un renfort d'autres personnalités dont certains, mais pas tous, ont décliné cette invitation avec chacun son argumentaire, disons recevable. Il faut préciser par ailleurs que la matrice nodale composée de 3 ou 4 personnalités qui faucilleront ce dialogue, sont en fin de carrière sur tous les plans : professionnel, politique et sociétal, donc ils n'ont absolument rien à attendre comme bénéfice de cette entreprise sinon l'intérêt général des générations futurs. Cette offensive médiatique notamment à travers les réseaux sociaux pour chauffer à blanc contre cette démarche est contre-productif tant qu'elle n'offre pas une alternative détaillée. On a tendance malheureusement de faire fonctionner le mouvement de dissidence populaire exactement comme le faisait le «système» jusqu'à présent. Un ordre établi sans queue ni tête, il n'est pas limité dans l'espace et dans le temps et très peu matérialisé. Il se trouve justement qu'à chaque fois qu'on bute à des difficultés, on s'y refuge en disant «c'est le système» !

Des forces occultes veulent faire du «hirak» un «système refuge»

A chaque échec pour faire un pas en avant, on l'impute au «hirak», les hôtels sont vides, c'est le hirak, les conditions économiques en perspectives sont moroses, c'est le hirak, on n'avance pas dans les discussions de sorties de crise, on dira «vous n'avez pas entendu le hirak du vendredi dernier ?»

Pourtant, réellement, le mouvement de dissidence populaire ne constitue une entrave pour personne et encore moins les conditions économiques. Ce hirak à fait connaître l'Algérie dans le monde entier, de nombreux étrangers se déplacent partout dans les régions d'Algérie pour assister aux manifestations réputées «pacifiques» et «organisées», n'est-ce pas une opportunité touristique ? Le hirak a un seul mot d'ordre «TETNAHAOU GÂA», pas de « dialogue avec l'ISSABA», etc. Il se trouve que ce panel ne va pas dialoguer avec l'ISSABA mais entre les franges même de la société pour trouver un compromis pour une feuille de route consensuelle à présenter aux détendeurs du pouvoir en place pour application. Imaginons que ce dialogue «inclusif» arrive à la majorité à une feuille de route qui prévoie une transition à la tunisienne. Ce sera désormais l'option à mettre en œuvre et le pouvoir en place ne peut absolument rien contre la volonté populaire. C'est pour cela qu'il ne faudrait pas entraver un dialogue quel qu'il soit sur la base de préjugés, notamment en taxant des personnalités gratuitement, surtout sans preuves. Le jeudi dernier à 10 h, les six de ce panel se sont réunis. Ils ont décidé de ne pas s'emballer par le discours de l'institution militaire. Ils se sont organisés en répartissant des tâches. Deux heures après, fake news : «Le panel a abandonné les préalables». Pourtant, ce n'est pas vrai ! et le chef de l'Etat qui a promis de les aider sur cet apaisement ne s'est pas encore exprimé sur la position de l'armée. Ces préalables rappelons-le, est une demande populaire contre laquelle ni le panel, ni le pouvoir ne pourront s'opposer. Le chef de l'Etat a le droit constitutionnel de fait de le faire et il est probable qu'il termine son court mandat en héros. Pourquoi pas ? Aurions-nous aimé que ces personnalités jettent l'éponge parce qu'un représentant de l'armée évoque son point de vue ? Investir le terrain comme ils l'ont fait devrait plutôt être compris comme un acte héroïque.

Le hirak ne veut pas être utilisé comme un alibi pour expliquer les échecs

Il est vrai que le déficit algérien se creuse à cause de sa forte dépendance du prix du baril de pétrole, cela n'est pas nouveau. Mais comme par hasard, ce hirak lui est très favorable ces derniers mois et probablement jusqu'à l'automne prochain, selon les experts. En effet, du 22 février à ce jour, le prix du baril du Brent, proche de Sahara Blend algérien, était en moyenne 67,12 dollars avec un pic haut de 75,60 et autre bas de 59,45 dollars le baril. Il faut ajouter pour le brut algérien une prime de légèreté et d'un taux de soufre réduit de 2 dollars. En perspective, la reprise de la croissance chinoise après la guerre commerciale que lui a imposée Trump, les événements en Libye, les dérogations iraniennes, les turbulences financières dans le secteur du gaz de schiste aux Etats-Unis, cette réglementation maritime qu'on annonce pour 2020, la réduction de la production programmée par les pays OPEP et hors OPEP vont certainement booster la demande pour un maintien du prix du baril dans la fourchette de 60 à 70 dollars du moins sur le court terme pour permettre à cette transition de se mettre sur la voie au bout de quelque mois à une année, dans le cas où cette option sera retenue.

En ce qui concerne, le dollar, monnaie de notre facture pétrolière, les économistes anticipent une plus forte érosion, notamment en raison d'une baisse de la croissance américaine et des tensions commerciales entre les USA et la Chine. Si ce scénario se confirme, l'Algérie, a déjà limité ces exportations vers ce pays à cause de l'offensive du pétrole de schiste, elle pourrait donc couvrir ses exportations vers l'Europe en euro prévu atteindre 1,22 dollar d'ici la fin de l'année 2019. La banque la plus optimiste, la canadienne National Bank Financial, voit même l'euro à 1,23 dollar.

Il y a eu aussi d'importantes quantités de pluies qui ont été enregistrées à travers le territoire national depuis début janvier, avec des précipitations record dans certaines régions du pays, particulièrement l'Est, confirmant les prévisions hivernales annonçant des cumuls au-dessus de la normale, avec plus de 85% de probabilité, si l'on croit le Centre climatologique national (CCN). Normalement, une année durant laquelle le rendement des terres agricoles, notamment céréalières, sera potentiellement appréciable pour alléger la facture alimentaire. L'autre bonne nouvelle économique est cette balance de l'Algérie qui a enregistré un excédent au cours des premiers mois de 2019, contre un déficit commercial durant la même période de 2018, selon les chiffres de la Direction des Etudes et de la Prospective des Douanes. Entre janvier et février 2019, les exportations algériennes ont atteint 7,635 milliards de dollars, contre 6,870 seulement à la même période de 2018, soit une hausse de 11,14%. Concernant les importations, elles ont reculé à 7,322 milliards de dollars, contre 7,541 juste un an plus tôt (-2,90%). Les exportations ont, quant à elles, assuré la couverture des importations à hauteur de 104% durant les deux premiers mois de 2019, contre 91% à la même période de l'année d'avant. Devrons-nous continuer à chercher des alibis pour nous éloigner des vraies solutions stratégiques ? En général, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Les sages qui se disent experts, prônant la sagesse et à ce qu'ils appellent le bon sens en faisant peur aux manifestants en brandissant les problèmes économiques que connaît actuellement le pays, n'ont jamais pris le temps de comprendre ce que vivent les générations futures par cette angoisse de perspectives fermées dans leur propres pays. Il s'agit de leur révolution, laissez-les faire ! Mais avançons dans la recherche d'une sortie de crise pour que les événements ne retournent pas contre nous !

Le panel de dialogue et les institutions de l'Etat sont dans des dimensions différentes

Le détenteur du pouvoir n'a pas nié dans son discours de mardi dernier la «valorisation» des étapes franchies sur la voie du dialogue national notamment après l'audience accordée par le chef de l'Etat à un «groupe de personnalités nationale» qui se chargera de la conduite de ce dialogue en mettant à leur disposition les moyens nécessaires pour «réunir les conditions idoines pour l'organisation des présidentielles dans les plus brefs délais». Or, du côté des membres de ce panel dans leurs déclarations à l'opinion publique, on comprend autre chose. Il s'agit de «faciliter» le débat entre les différentes franges de la société pour rapprocher les points de vue, mais ce dialogue reste ouvert à toute les propositions mais incontestablement non restrictive à la feuille de route arrêtée par le pouvoir : celle d'aller dans les plus brefs délais à l'élection d'un président qui aura la tâche au cours d'un mandat entier de mener les réformes dans un programme largement débattues par la base. 

Pour Abderrahmane Arar, président du forum de la société civil et initiateur de la liste des personnalités qui y participeront, dans une déclaration le vendredi soir à la chaîne «El Bilad» et confirmé le lendemain par le président du panel Karim Younès «Il n'est pas question de renoncer aux préalables parce qu'elle est une exigence du hirak» pour lui l'exclusivité ne prend pas en compte les partis de l'alliance (FLN, RND, TAJ et MP) qui sont des symboles du «système» refusés par le mouvement de dissidence populaire. A la réponse au secrétaire général du FLN qui aurait déclaré que sans la présence de son parti «toute discussion est vide de sens», Abderrahmane répond que si un parti de l'ancien régime voudrait assister à ce dialogue «qu'il se présente les vendredis pour sa validation par le hirak !» Cette dichotomie dans les approches ne fait que renforcer le dialogue de sourds et donnerait assez de motifs au mouvement de dissidence populaire de surenchérir sa demande. Y aurait-il une autre voie ?

*Consultant, économiste pétrolier