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L'attente

par El Yazid Dib

Elections ? Transition ? Constituante ? Rien n'est encore tranché unanimement. Les options sont multiples mais contradictoires. Les campements aussi. La démocratie tend ainsi à prendre une tournure nouvelle recommandant presque son imposition par la force. Des urnes, serait mieux.

Gouvernement de Bedoui, j'y suis, j'y reste

C'est ce qui semble se lire en filigrane à travers les différentes assertions dans les discours tant du chef de l'Etat que du chef d'état-major. Certains analystes font état que ce gouvernement va perdurer et aura la tâche de gérer cette période qui ne ressemble ni à une phase transitoire, tant les acteurs sont les mêmes ni à un nouveau staff neutre, neuf et impartial tant ses membres sont décriés. Tout un chacun s'interroge sur ce pourquoi mystérieux et incompréhensible compte-t-on faire des élections avec un tel gouvernement ? Si le spectre de la fraude continue depuis longtemps à habiter les esprits les plus douteux, voire de tous ; les garde-fous et les mécanismes les plus neutralisants peuvent être un moyen de vigilance. Un jour viendra où la fraude, ne pouvant disparaitre à jamais pourra changer de camp. Que l'on y aille et l'on verra.

Ce gouvernement demeure détesté car il est la dernière signature d'un président absent supplié par une puissance extraconstitutionnelle. Il symbolise le démarrage manqué et raté d'un cinquième mandat. Seulement il ne comporte pas uniquement des adeptes déclarés résolument pour une cinquième magistrature. Il y a, dedans des cadres neutres qui n'ont de tord que d'avoir été des fonctionnaires, secrétaires généraux de ministère, ambassadeurs... les autres qui ont eu à brandir et honorer le cadre sont connus. Ils doivent par humilité, «loyauté» morale et sens de l'honneur tribal ou familial se retirer discrètement et aller vers une autre idolâtrie. La repentance.

L'histoire de ce peuple retiendra dans ses obscures annexes que la pauvre Bedoui a été le dernier et malchanceux premier ministre, le second conspué et abominé durant le règne de Bouteflika.

Tout semble rentrer dans l'ordre

Les cortèges officiels de ministres ont repris le son de leurs sirènes dans les rues d'Alger. Les télévisons qui paraissaient boycotter au début du hirak leurs activités se sont réinvestis en couvrant favorablement ces activités. La vie publique continue à se faire comme à l'accoutumée. Rien n'est paralysé, tout semble baigner dans l'ordinaire, si ce n'était cette répétition de sit-in ou de marches s'exécutant chaque vendredi pendant quelques petites heures et qui s'avèrent fructueux et tenaces au vu des résultats à ce jour obtenus.

Si les élections resteraient à bon escient l'unique voie de garantir le maintien de l'Etat et s'érigeraient comme l'unique et idoine issue à l'impasse actuelle ; le fait que le pouvoir réel, présidence d'Etat, conseil constitutionnel ou autre force agissante aient eu à les reporter c'est que les conditions de leur déroulement n'étaient pas alors réunies ni accomplies. C'est à peu près come le Bac et les autres examens qui se poursuivent le plus simplement du monde car il y va de l'intérêt des élèves, des parents et de tout le monde. Donc le pouvoir réel en place est déterminé à aller jusqu'au bout de sa feuille de route. Organiser des élections par l'intermédiaire d'une instance déjà toute prête et disponible à mettre juste dans une logique de conformité juridique.

Une voix qui s'éteint

Bedoui ne communique plus. Son porte parole qui depuis sa première intervention ne s'est plus montré. Un gouvernement sans voix, sans son. Bavard public à l'accoutumée, il aurait perdu à ce poste tout son verbiage d'hier tout taillé «d'enjeu et de défi» et sur mesure des micros aveuglement tendus. On ne l'a plus revu depuis sa «fameuse» conférence de presse. Les fréquents conseils interministériels qui se consument et s'attardaient dans le panier de ramadhan ou dans la saison d'ouverture des plages sont d'une valeur moindre du niveau dans lequel ils se débattent. Il s'agit de la primauté ministérielle et non pas d'une usuelle commission nationale chargée des affaires sociales. Si l'on continue à présider de telles réunions en ayant toujours le goût nostalgique d'un conseil de wilaya ; les choses se pourriront davantage. Le premier souci de cette équipe refusée d'emblée aurait été de creuser toutes les méninges du comment se rendre un tout p'tit peu légitime et s'inscrire dans l'âme de chaque vendredi. Une communication directe aurait à être catégorique si elle découvrait chez son orateur tout le courage dû aux hommes politiques responsables se mettant au service d'un peuple et non imposé à lui. C'est son effet qui déterminera sans tergiverser, sans se mentir, sans se museler les oreilles s'il faut partir ou non.

Etre premier ministre n'est pas se contenter et jouir d'être le directeur général du palais du gouvernement. Là, on ne fait pas que nommer et dégommer. Il y a plus consistant. Ecouter le souffle profond qui se dégage de la poitrine d'un peuple resté longtemps étouffé est la mission primordiale quand celle vitale est de penser et d'actionner les leviers à même de desserrer l'étau et d'en trouver la bonne thérapie.

Ainsi, voir une voix principale s'éteindre c'est que le pays serait vide. Plus d'auditeurs. Plus d'écho. Malgré cela, il signe et persiste sans le vouloir, il aurait certainement voulu jeter l'éponge, il demeure néanmoins silencieux mâchant et remâchant la vie et ses aléas, le destin et ses tournures, le hasard et ses infortunes.

Le verdict du peuple

Ce verdict est également divers et diversifié. Chacun y va de son idéologie, de sa position, de son soutien ou de sa réprobation. Les ministres s'habituent peu à peu avec le rejet populaire quant à leur visite dans certaines localités. Il aurait été du devoir du premier ministre de sortir en premier et d'ouvrir ainsi le bal public auquel il s'est longuement acclimaté et dont le mécanisme ? au gré du Hirak- ne fonctionne plus comme cette machine bien huilée instaurée depuis des années. Et ces ministres qui prennent, les pauvres la peau de clandestins pour une visite éclair en dehors de leurs bureaux ? Les walis, véritables mécaniciens d'entretien de tous les engrenages fonctionnels ne semblent pas, du moins pour certains, enthousiasmés d'aller plus loin que ne leur recommande leur vision de la chose locale. Le peuple, les populations locales ne tiennent plus à se rendre citoyens dociles, ovationneurs et simples spectateurs.

Chacun veut recouvrer l'amplitude de sa souveraineté, veut avoir un droit de cité dans sa localité pour dire sa «bienvenue» ou hurler son «dégage».

Si ses ministres pensent agir au nom de l'Etat , ils ne doivent pas mettre de coté que c'est cet Etat qui les emploie et qui reste au service du peuple, que c'est ce peuple qui fait et défait le dit-Etat. Alors Messieurs, la qualité intrinsèque d'un grand commis de la république demeure infiniment gravée dans l'humilité et la décence, le baroud et le nif. L'on n'a pas à faire dans la violation des cœurs, la conquête des villes ou le rapt des amours. Commencez d'abord par extraire de vos qualificatifs interpellatifs cette formule vomie et maudite de «ma3ali el wazir» !

Les ennemis du peuple

La justice a rendu justice au peuple. Le travail est long et ardu, il doit se poursuivre au bonheur d'une vérité et d'une équité longtemps absentes. Les oligarques, ces «capitalistes» de mauvais goût, ces nouveaux riches d'Algérie, ces parvenus qui d'un rien soit d'un coup de fil du «pouvoir parallèle» ont envahi la terre et dévalisé les banques n'ont plus pignon sur rue. Il ne suffit pas de les mettre à l'ombre, il faudrait mettre à l'abri les fortunes prises, squattées tout en punissant ceux qui ont été leurs relais au niveau central ou local. Ils n'ont pas pour autant baissé les bras et persévèrent à créer un climat de résistance, de tension par une contre-révolution à même de saper non seulement le moral du peuple mais aussi casser de la volonté de ceux qui ont pris la charge de salubrité publique de nettoyer le pays. Ils sont nombreux à se rallier sournoisement à des forces occultes, étrangères, anti-hirak. Certains, qui se vantaient hier d'avoir «said» au bout du fil, se font tous discrets et ne s'affichent plus, la peur du juge au ventre ; ils tentent de donner raison au peuple et vilipender l'ancien régime qu'ils ont eux-mêmes fabriqué, aidé, mis en orbite. Ils sont ceux-là mêmes qui ont presque nommé tous les walis en poste. Ainsi derrière chaque nomination se cache un gros bonnet. Les preuves populaires, la rumeur, les ragots sont pertinents.

Les ennemis du peuple sont les mêmes ennemis de la patrie. Ils agissent dans la foule, dans les officines, dans les réseaux, dans l'intelligence et manipulent l'histoire, l'actualité et travestissent le vrai et l'authentique. Leur dessein est tout connu, avoir une domination totale des richesses du pays et le mettre à la solde d'autres puissances pourvu qu'ils en tirent de consistantes dividendes. Les chiffres détournés que l'on avance ici et là font étourdir les adeptes du centime et donnent du tournis a ceux qui n'ont de calcul que leur minables soldes.

Les vendredis ne vont pas ainsi s'éterniser, le peuple ne peut s'en résoudre au silence tant que les cautions préliminaires d'une Algérie nouvelle ne puisent s'éclore et se rassembler. Il fait confiance et ne baisse pas le cri. Il suit et poursuit mais ne bouscule pas. D'une démocratie réelle, sans barbouillage où seule l'expression de la voix aura une haute sacralité, où la violation de toute urne ne sera qu'une profanation. Il s'attache à l'attente.