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TRAVAIL ! UN GROS MOT ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Travailler ! Ouvrage collectif d'essais sous la direction de Amine Khan, Chihab Editions, Alger 2019, 1 000 dinars, 196 pages



Travailler ! Un bien mot étrange... chez nous ! Il est vrai qu'on parle beaucoup plus d'«aller au travail» qu'«aller travailler». Voilà qui rend d'ailleurs très difficile le «travail» de recherche ou de réflexion, sur le thème, de nos chercheurs et autres observateurs sociaux. Sachant bien que les sondages et autres enquêtes menées sont toujours à «prendre avec des pincettes», tant règnent la suspicion à l'endroit de l'enquêteur (derrière lequel se cache (rait) un «flic») et une certaine hypocrisie dans les déclarations des enquêtés. Trois sujets toujours «esquivés» : le sexe, le vote, le travail... et ces dernières années, la pratique religieuse.

Tout cela n'a pas empêché, et c'est tout à son honneur, Amine Khan, qui n'est plus à présenter, de continuer à labourer le champ social national en publiant, et avec la contribution de dix autres auteurs, dans la continuité de la série «Nous autres. Eléments pour un manifeste de l'Algérie heureuse», un autre volume (on a eu déjà «Nous autres», «Notre rapport au monde» et «Penser», tous déjà présentés in «Médiatic»), celui-ci consacré au... travail. Un titre, «Travailler !» ni interrogatif ni affirmatif... Seulement exclamatif, comme s'il exprimait aussi une certaine douleur de constater, par avance, un «certain désert».

Il signe, d'ailleurs, un texte qui analyse les pans principaux (Institutions, Education, Capacité scientifique nationale, Industrialisation, Diaspora) de la société... «engluée aujourd'hui dans la rente, prisonnière du malaise de consommer sans travailler, de mentir sans conséquences, d'abuser de tout pouvoir disponible et de subir toutes les contraintes de la confusion et toutes les vexations du désordre régnant...». Une marche erratique aux antipodes de la rationalité et de l'efficacité. Brr !

Nassima Metahri «cisèle, avec science, délicatesse et haute précision le concept central de l'ouvrage en se saisissant de ses racines... intriquées qu'elles sont dans la conscience et dans la pratique de nos sociétés».

Tin Hinan El Kadi, qui connaît bien la Chine où elle y a fait des études, tente de comparer la notion de travail chez les Algériens et chez les Chinois... Très difficile, tant les éthiques du travail chez les uns et chez les autres sont loin de se ressembler. Avec le risque de tomber dans une analyse se résumant à la phrase suivante : «Les Chinois travaillent dur, les Algériens pas vraiment». Très difficile mais épreuve... réussie et très instructive. Car, on en apprend des choses... sur les autres. Les Coréens du Sud, les Chinois, les Allemands (eh, oui !) les Japonais... tous traités (par les Occidentaux) un certain temps de «paresseux et incapables de progresser». Une bande de fainéants ! Des choses pas belles du tout, désespérantes et pourtant ils ont réussi (grâce, entre autres, à des politiques incitatrices) à renverser la vapeur en leur faveur grâce au... travail.

Fatima Zohra Oufriha apporte sa contribution (Très ? Trop ?) chiffrée sur le travail des femmes en Algérie...

Nedjib Sidi Moussa aborde son texte en partant d'un texte du Tunisien Aziz Krichen qui estimait «que le thème du travail était absent du répertoire de mobilisation, du nationalisme tunisien...». Une «certaine familiarité en situation algérienne».

Saïd Djaafer décrit, pour sa part, en tant que journaliste maîtrisant son terrain, une dimension essentielle du délitement de la société, lorsque le système des valeurs positives s'effondre sans être remplacé par un autre système de valeurs positives... et la naissance d'un mal silencieux, un rapport ambigu mais finalement nocif du citoyen à sa communauté, «l'obligation absente». Abdelghani Rahmani aborde la santé des travailleurs avec une préoccupation liée à la santé des 100.000 jeunes de l'Ansej.

Fouad Soufi, lui, nous rapporte la belle mais déprimante (ou difficile) aventure d'un métier que tous les gestionnaires connaissent (comme lieu d'affectation de ceux que l'on écarte) mais que tout le monde ignore, celui des gardiens de la mémoire nationale... les archivistes.

Ahmed Maiddi, artisan et artiste de son état, possédé par le génie créatif, débarque en se confiant dans un récit autobiographique dense et plus qu'émouvant.

Radouane Assari s'exprime à travers ses dessins et caricatures... durant les années 90.

Quant à Arezki Tahar, le photographe, il présente, à travers ses quinze images en couleurs, l'Algérie (entre 2012 et 2018)... au travail : le laboureur, la paysanne, le faucheur, le berger à cheval, l'artisan, les travailleurs du port... C'est très parlant. Avec lui, l'espoir renaît. Mais il aurait été complet s'ils avaient été placés à la fin du livre et non à son début.

Les auteurs : Redouane Assari (Dessinateur de presse... et chir'dent, Saïd Djaafer (journaliste), Tin Hinan El Kadi (économiste, spécialiste de la Chine), Amine Khan (philosophe et poète), Ahmed Maiddi (dessinateur, peintre sur bois et poète), Nassima Metahri (pédopsychiatre), Fatima Zohra Oufriha (économiste et universitaire, décédée le 22 octobre 2018), Abdelghani Rahmani (cadre médico-social et poète depuis sa retraite), Nedjib Sidi Moussa (politologue) Fouad Soufi (historien et spécialiste des Archives), Arezki Tahar (photographe).

Extraits : «En conséquence, arriveront sur le marché du travail des jeunes riches de leurs diplômes mais sans consistance et sans modèle identificatoire positif indispensable pour faire leurs débuts» (Nassima Metahri, p 35). «Il y a une corrélation nette entre le système rentier et l'esprit de triche au travail qui va se répandre peu à peu, jusqu'à aboutir à ces étudiants qui considèrent qu'avoir une note sans travail va de soi» ( Saïd Djaafer, p 118). «Khalifa incarne parfaitement l'image d'un capitalisme spécifique qui ne crée pas de valeur mais siphonne le bien public» (Saïd Djaafer, p 120). «Il n'y a rien d'inévitable dans le rapport d'un peuple au travail... L'Algérien n'est pas une particularité de l'histoire. Sa conception du travail est un reflet des structures économiques, institutionnelles et politiques qui l'entourent» (Tin Hinan El Kadi, p 129). «L'Algérie a toujours mal à son patrimoine culturel... et les archives n'échappent pas à cette logique négative...

Tout se passe comme si l'Etat est malade de ses archives qui s'entassent dans les locaux administratifs et qui prennent feu ou eau à la première occasion» (Fouad Soufi, p 157).

Avis : Du bon texte et du texte moins bon, mais tous, absolument tous, utiles pour bien et mieux comprendre pourquoi nous ne travaillons pas assez et comment il faudrait faire pour travailler... plus et mieux. «Des expériences et des réflexions qui contiennent les germes d'avenir possibles». Manquent, peut-être, une approche socio-historique et une autre psychosociologique. Mais qui, de nos jours, a le courage de «passer à confesse» ? Confesseur, un beau rôle ! Et moins fatigant. Prochains ouvrages : «Lutter», «Aimer»... et, pourquoi pas, «Diriger» ou «Gouverner», «Voler» ou «Détourner»... On va avoir «Marcher».

Citations : «Travailler, dans son sens plein, est le triomphe de l'énergie vitale sur les mécanismes de mortification, l'acceptation plus tranquille de sa condition de mortel pour passer le flambeau» (Nassima Metahri, p 37). «Le système rentier produit l'irresponsabilité comme principe général de son existence... Dans le système rentier, le pouvoir est occulte et les «institutions» apparentes sont fictives» (Amine Khan, p 52). «L'immoralisme du «capitalisme spécifique», né dans le système rentier a contaminé de larges secteurs de la société et les valeurs de travail, d'effort et de rigueur, qui ont laissé place à une culture du bluff, à un cynisme qui s'est généralisé et qui raille le travail honnête et sérieux.

Mais, encore une fois, cette perte du sens du travail n'est pas dans le sang, mais dans le système» (Saïd Djaafer, p 120). «Dans l'économie de demain, les gagnants ne seront pas ceux qui travaillent dur, mais plutôt ceux qui travaillent intelligemment... La vraie question n'est donc pas comment «remettre les Algériens au travail», mais plutôt comment les amener vers le nouveau travail» (Tin Hinan El Kadi, p 135). «L'administration a toujours tendance à favoriser une politique sans mémoire, une politique qui compte sur les effets de l'oubli» (Fouad Soufi, p 160). «Vouloir, c'est pouvoir, grâce au savoir» (Ahmed Maiddi, artisan, p 165). «Il y a l'artiste et celui qui a l'âme artistique. L'artiste, on lui montre quelque chose, il la reproduit. Mais celui qui a l'âme artistique, c'est celui qui tire du récent ce qui n'existait pas» (Ahmed Maiddi, artisan p 166).



AU FIL DES JOURS :

1. Cette fois-ci, c'est Djilali Hadjadj (porte-parole de l'«Association algérienne de lutte contre la corruption» qui, il faut le dire, a toujours été à l'avant-garde du combat et de la dénonciation) qui nous fournit le chiffre de 60 Mds Usd «détournés en 15 ans». Un montant auquel «il faut ajouter les chiffres générés par la fuite de capitaux, l'évasion et autres blanchiments d'argent» (Chaîne III de la radio). Hamid la Science en 90 avait parlé de «26 Mds Usd». Récemment, un économiste expert-consultant, bien connu sur la place d'Alger... nous a «révélé» que «pas moins de 160 milliards de dollars ont été volés des caisses de l'Etat et transférés vers l'étranger, ces cinq dernières années »... et «qu'en l'espace de l'année 2018, une somme allant jusqu'à huit milliards de dollars s'est évaporée». Un autre expert, économiste de son état, a parlé de 100 milliards de dollars de surfacturations ayant rempli, en vingt ans de règne de Bouteflika, les comptes des importateurs, comptes domiciliés à l'étranger, en France, en Turquie, en Suisse, en Espagne et dans certains paradis fiscaux. C'est vrai, beaucoup d'argent a été détourné... mais il semble bien qu'on ne sait plus où donner de la tête avec ce «hirakisme monétaire» qui fait se télescoper les dinars, les dollars, les euros, les milliards, les centimes... Mais, tout de même, on note, durant les deux dernières décennies, dans le domaine du «haut vol», du... progrès. Pour info : pour l'indice de perception de la corruption de l'Ong TI, au classement 2018, l'Algérie est à la 105e place (sur 180 pays étudiés), 18e en Afrique et 10e dans le monde arabe. Pas de quoi pavoiser !

2. Citation : «Il nous faut travailler, créer de la richesse, de la propriété, libérer l'entreprise et l'initiative, restaurer la valeur du travail, corriger l' image mentale de la richesse et en finir avec ce populisme qui nous fait croire que travailler, c'est être idiot et être riche, c'est être voleur et être pauvre, c'est être vertueux. Le pays sera debout lorsqu'il sera riche. C'est-à-dire lorsque l'idée de la richesse ne sera pas définie par une dictature et que l'idée du bonheur ne sera pas définie par les islamistes et leur «paradisme» (Kamel Daoud, Banc public, Le Quotidien d'Oran, mardi 23 avril 2019).

3. Algérie patriotique (de la famille Khaled Nezzar) lancé en février 2012 a annoncé sa fermeture... puis sa re-parution quelques jours après, avec des «révélations» sur des conversations Khaled Nezzar - Saïd Bouteflika. Beaucoup d'interrogations. Pour quelles raisons tout ce va-et-vient en urgence ? On ne le sait et elles ne sont pas indiquées clairement dans le «faire-part» du 24 avril 2019. Peut-être en raison de la situation politique et médiatique confuse ? Des coûts de production de plus en plus élevés de la collecte des infos' et des collaborations et de la contraction du marché publicitaire ? Des risques autres ? Beaucoup ont oublié ce bon vieux dicton mille et une fois répété par nos anciens : «Pour vivre heureux, vivons cachés». D'autant qu'il est difficile de l'être, de nos jours, avec une justice qui, réveillée brusquement, «tire dans tous les coins».

4/ La nouvelle aérogare de l'aéroport d'Alger Houari-Boumediene a été inaugurée tout récemment après des travaux qui ont débuté en... 2014 et des millions de dollars dépensés. Mais, mais, la presse nous a rapporté une image désolante eu égard aux frais... Un grand écriteau - arabe et français - émaillé de fautes. Sans parler de la non-utilisation de l'anglais, ici, absolument nécessaire. Lorsqu'il s'agit d'une épicerie ou d'une gargote, cela peut passer... mais dans un aéroport international ! Et le contrôle de qualité, b... ?

5. JC Decaux SA ( numéro un mondial de la communication extérieure et du mobilier urbain et n° 1 mondial de la publicité dans les transports avec plus de 210 aéroports et 277 contrats de transport dans les métros, bus, trains et tramways) a quitté récemment le marché algérien estimant que le «cadre réglementaire manquait ainsi que l a transparence» favorisant donc toutes les magouilles... que, certainement, il ne pouvait supporter indéfiniment, les «rapaces» de la pub' en croissance accélérée (voir Mediatic, 4 avril 2019) . Certainement une histoire de «pression» pour lui faire cracher des sous ? Sa filiale JC Decaux Abu Dhabi vient, par contre, de remporter un contrat publicitaire exclusif du nouveau Midfield Terminal de l' aéroport international d'Abou Dhabi et ce pour 10 ans. L'aéroport international d'Abou Dhabi, qui a accueilli plus de 21 millions de passagers en 2018, connaît l'une des plus fortes croissances au monde (+29 % au cours des cinq dernières années). Le Midfield Terminal qui deviendra une passerelle emblématique vers la capitale des Émirats, portera la capacité totale de l'aéroport à 45 millions de passagers.

Desservie par la compagnie nationale Etihad Airways, Abou Dhabi bénéficie d'une visibilité croissante parmi les destinations mondiales attirantes par sa culture, ses loisirs et ses divertissements. Ce nouveau contrat vient renforcer la position de numéro un de JC Decaux au Moyen-Orient, avec une plateforme média aéroportuaire unique dans 32 aéroports aux Émirats Arabes Unis, au Royaume d'Arabie Saoudite, au Royaume de Bahrein et au Sultanat d'Oman, permettant aux marques de toucher chaque année plus de 227 millions de passagers premium.

6. Mini-Hirak pacifique dans la presse algérienne... avec le départ, après 29 ans de présence à la barre du journal El Watan, de Omar Belhouchet... remplacé (par la majorité des actionnaires) par un autre ancien Tayeb Belghiche. Omar a fait beaucoup pour le journal, pour l'entreprise et pour la presse nationale. Tayeb est un journaliste très expérimenté et très bien introduit... Mais tout cela va-t-il suffire pour régler les problèmes ? D'abord d'intendance interne (dont la gestion d'un nouveau local à l'utilisation bloquée par une administration tatillonne), ensuite d'environnement médiatique (contraction des ressources publicitaires, stagnation du gisement de lecteurs et concurrence «déloyale» des sites électroniques d'information et des télés off-shore), enfin de ligne éditoriale (qui devrait transcender les engagements politiques ou idéologiques individuels parfois contradictoires) avec la naissance, en Algérie, de «nouveaux» consommateurs d'informations et surtout d'une nouvelle pensée politique, certes encore syncrétique, qui se veut différente par rapport à tout ce qui s'est fait jusqu'ici.

7. Profilage - express de certains «marcheurs» allant au Tm de Blida (images diffusées) :

- Décidé à en finir au plus vite et ne supportant aucune aide ou accompagnement (Mohamed Mediène).

- En dilettante. Une formalité à accomplir... Il en a vu d'autres. (Bachir Tartag).

- Air perdu (sonné ?). Etonné d'être là. Pour susciter la pitié (Saïd Bouteflika).

- Inquiète (Louisa Hanoune).

8. A propos d'une reprise par l'Aps d'une déclaration du ministre français de l'Europe et des AE, il n'y avait pas de quoi en faire tout un «plat». Il est vrai que la diplomatie française est, depuis toujours, à l'affût du moindre «faux-pas» de l'Algérie. Le journaliste a cru bien faire en y ajoutant, le 8 mai, la date du 4 juillet, alors que la déclaration de Le Drian (en date du 6 mars) ne l'évoquait pas «explicitement». Faute professionnelle du journaliste de l'APS qui a cru (vite et bien) faire ? Pas si sûr ! Un peu, peut-être. Et, pourquoi pas celle du MAE français qui aurait dû utiliser un langage plus clair et bien plus précis au lieu de rester dans le vague. Les diplomates, partout les mêmes !