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La révolution et le « système »

par Hakim Hessas*

La révolution n'est pas un phénomène naturel. ?uvre collective, elle ne tient rien du miracle. Chez nous, en Algérie, depuis le 22 février, c'est le peuple qui est l'acteur de ce mouvement. Contre toute attente, il a décidé avec courage d'apporter une solution à un problème collectif qui n'a que trop duré : résoudre le sac de nœuds qu'était devenue sa vie, dans tous les domaines, et sortir de l'état de tutelle dans lequel il se trouve depuis longtemps. Prendre son destin en main. Tel est (tel doit être) le principe de ce mouvement.

Le propre d'une révolution se trouve donc dans la coordination de cette action. Ainsi, pour l'aboutissement et la réussite de cette entreprise collective, les différences, réelles ou imaginaires, que l'on peut observer çà et là doivent être dépassées. Mais il ne faudrait en aucun cas les supprimer, car la négation de l'autre est toujours fatale. L'unification est nécessaire, toujours à cultiver, mais l'uniformisation est à rejeter comme tout ce que nous refusons aujourd'hui. Disons-le autrement : nous voulons réformer toutes les institutions, instaurer un État de justice, tout en sauvegardant la différence et la diversité culturelle, véritable joyau de notre pays.

Mais gare à la part d'incertitude que renferme cette révolution : en se focalisant sur le seul fait de voir partir le pouvoir en place, en marchant chaque vendredi et/ou les autres jours de la semaine, le « Hirak » peut s'enfermer dans l'unique stratégie d'action qu'il a choisie pour atteindre ses objectifs. D'autres ingrédients sont donc nécessaires à ce mouvement : être capables de tenir dans la durée et créer collectivement du « pouvoir » par des actions (pacifiques) journalières qui pourraient provenir des ressources culturelles dont regorge notre pays. C'est précisément cela faire de la politique au quotidien : nous avons vu plusieurs exemples de « récupération de pouvoir » tout au long de ce « Hirak » ; ces gestes de propreté, de solidarité, d'assistance, de bénévolat et j'en passe, doivent être répétés d'une manière organisée, sur tout le territoire national, et ils doivent toucher distinctement chaque région de notre vaste pays, selon les problèmes qui lui sont spécifiques. Car si nous aspirons à un changement de pouvoir, nous devrions être capables de nous soucier de notre environnement immédiat (pour ne prendre que cet exemple parmi tant d'autres) qui se dégrade devant nous à vue d'œil, de jour en jour, à cause des déchets, des canettes et des bouteilles de bière qui jonchent le bord des routes, les plages, les rivières, les jardins.

Il est vrai qu'une révolution comporte toujours des dangers et des risques. Car l'on ne sort pas facilement d'une « mécanique », même des plus implacables, d'une dépendance ou d'une domination que l'on vit comme une seconde nature, sans écueils. Mais le plus vrai dans une révolution apparaît lorsque tous les objectifs fixés sont atteints, puisque les mutations et les transformations qui permettent de sortir réellement de cet état de dépendance demandent davantage de temps, d'effort et de courage : elles tiennent dans la « réforme de soi », de son propre regard, de son mode de penser déformés, vis-à-vis du savoir, de la religion, de la femme et de toutes les formes de liberté. Ces premiers pas vers la liberté et l'émancipation ne doivent pourtant pas nous contenter. Ils doivent nous inciter plutôt à orienter davantage notre regard vers nous-mêmes ? une sorte de « retour sur soi », comme le suggère le mot même de révolution (revolutio) ?, afin de considérer attentivement nos propres façons de penser et de raisonner. Si cette révolution est un construit social, elle provient assurément du changement (même infime) dans notre manière de penser et d'agir.

Le prochain chef de l'Etat est tenu d'appliquer à lui-même ces préceptes, en plus de protéger tous ces acquis, puisque son autorité législative doit émaner immanquablement de ce peuple.

*Docteur en Sciences du langage, de l'EHESS, Paris  

Chercheur au Laboratoire 3L.AM-ANGERS UPRES EA 4335.

Langues. Littérature. Linguistique des universités d'Angers et du Mans