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Décision de Bouteflika : la protesta en Algérie à l'heure de la récup

par Reghis Rabah*

Il faut souligner d'emblée que les théories politiques classiques de contrôle des masses semblent être dépassées par l'avènement du TIC.

Aujourd'hui il suffit qu'un simple citoyen exprime ses impressions à ses amis sur une page d'un réseau social, ces derniers la partagent et des millions d'autres en prennent connaissance et peuvent ressentir la même chose et se donnent ainsi rendez vous pour la porter tout haut dans la rue et ainsi tout s'enchaine pour devenir une protesta. D'autre part, la protestation contre les leaders africains qui s'accrochent au pouvoir n'est pas spécifique à l'Algérie. En effet, plusieurs chefs d'Etat africains ont travaillé à leur maintien au pouvoir à partir de 2013 bien que la Constitution de leur pays le leur interdise. Que ce soit au Burkina Faso, mais aussi au Burundi, en République du Congo (Congo-Brazzaville), en République démocratique du Congo (RDC) ou au Rwanda, aucun président n'a pu s'échapper à ces types de protestations semblables à celles qui se déroulent actuellement en Algérie depuis le 22 février dernier et qui prend de l'ampleur d'un vendredi à l'autre. Pourtant, les signes avant-coureurs ne manquaient pas. Après l'Algérie, le Cameroun, le Tchad, l'Angola ou l'Ouganda, une nouvelle vague de modifications constitutionnelles a été entreprise sur le continent africain. Les arguments utilisés pour justifier ces mesures sont invariables : le besoin de stabilité, la nécessité de poursuivre une œuvre inachevée et la réponse à une demande populaire. Il se trouve que le ras- le- bol populaire ne faiblit pas jusqu'en général un gain de cause incontestable mais des virus s'incrustent dans ces mouvements en général à quelques exceptions prés paisibles, organisés et surtout disciplinés pour s'approprier leurs honnêtes revendications et devenir des intermédiaires politiques pour inscrire leur propres désirs qui non seulement ne sont pas opportuns mais dévient le mouvement de sa ligne de protestations vers d'autres desseins, au demeurant souvent aventuriers. Pour le cas de l'Algérie, plusieurs sons de cloche commencent à se développer au fur et à mesure que cette protesta prenne de l'ampleur. Pour ceux qui sont contre le report de cette mascarade d'élection, ils soutiennent que cette protesta est provoquée par les pouvoirs publics et son organisation sans faille est conduite par les parties de la coalition du soutien au cinquième mandat pour pousser à la désobéissance afin d'instaurer l'état d'urgence et donc l'armée s'occupera du reste. Pour cette frange, le général Ali Ghediri est le seul qui sauvera le pays de ce scénario si on voterait pour lui.

De l'autre part, la chaine Al Magharibia qui est actuellement réquisitionnée en diffusion « spéciale Algérie », se propose d'être un forum pour permettre à ce mouvement de désigner ses propres interlocuteurs afin de concrétiser leurs aspirations avec le pouvoir en place. Dans les tables rondes qu'elle organise sur le sujet, des propositions surprenantes apparaissent comme le retour à la situation de 1991 et remettre les clés aux vainqueurs encore vivants des responsables du Front Islamiques du Salut (FIS). Un autre insiste sur une option fédérale de l'Algérie pour donner plus d'autonomie aux régions mais derrière cette dernière, vise t- on leur indépendance ? Enfin le siège de Talaie El Hourriet devait regrouper ce dernier jeudi 15 partis d'opposition, quatre syndicats indépendants et 35 personnalités nationales et activistes politiques avec comme invité d'honneur deux membres du FIS dissous en l'occurrence Kamel Guemazi ancien maire de Bab El Oued et Ali Djeddi pour se donner en spectacle dans une prière conduite par ces dernier. Pourtant, la religion exige la discrétion dans sa pratique. Vise t- on par là d'envoyer un message ? Sinon lequel ? Au rythme où va la récupération des uns et des autres, le report des élections présidentielles pour une préparation sérieuse de la succession serait une option du moindre mal quitte à supporter Bouteflika cette année. Ensuite à quoi servirait-il de gaspiller 50 milliards de dinars sans compter le manque à gagner d'une journée fériée pour une formalité non nécessaire.

1-L'opposition Algérienne s'est historiquement éloignée de sa base

Les leaders politiques comme Ali Ghediri, Louisa Hanoune, Ali Benflis et bien d'autres qui voulaient se mêler aux foules des manifestants le vendredi 8 Mars, ont été hués voire même invités à quitter les lieux. Leur appel à leurs parlementaires et élus locaux n'a pas été entendu. Ils se sont montrés en faits comme des barons sans base. Face à l'atomisation de l'opposition qui pour se maintenir a besoin d'une aide des pouvoirs publics pour survire sommes nous entrain de vivre la fermeture du champ démocratique après les événements de 1991. « Rappelons que le gouvernement de Mouloud Hamrouche de septembre 1989 à juin 1991, est encore aujourd'hui comme celui qui a ouvert le plus d'espaces de libertés dans l'Algérie indépendante.

Succédant à Kasdi Merbah, ancien chef des services de renseignements, plusieurs fois ministre puis Premier ministre, Mouloud Hamrouche s'est lancé dans une politique d'ouverture politique et économique tous azimuts : il a fait adopter une loi sur la monnaie et le crédit, pièce centrale de la gestion de l'économie et tente de mettre fin aux taux de change administrés, le dinar commence à être dévalué. Dans le domaine agricole, les grands domaines socialistes sont progressivement privatisés et une grande partie des terres nationalisée est restituée à leurs anciens propriétaires. Il cherche également à mettre fin au centralisme administratif à l'intérieur et à promouvoir l'insertion de l'économie algérienne dans l'économie mondiale. Sur le plan politique, il autorise la presse privée et ouvre totalement les médias publics. Pour la première fois, la télévision accueille des débats politiques riches, libres, contradictoires et sans langue de bois. Il encourage également la formation des partis politiques.

Certains, comme le Front islamique du salut, se créent en contradiction avec les termes de la Constitution de 1989 qui interdit l'existence d'associations à caractère politique sur des bases religieuses. Il minimise d'ailleurs la portée de la victoire du FIS lors des élections locales de juin 1990, la considérant comme un vote sanction ponctuel contre le FLN qu'il s'emploie à rénover. Il prend une mesure qui lui procure beaucoup d'ennemis au sein de l'ancien parti-État : faire élire les candidats FLN aux législatives par leur section, coupant ainsi l'herbe sous les pieds des barons du parti qui n'ont aucune base électorale. Entretemps, le FIS qui a lancé sa grève générale en mai 1991 voit son mouvement s'essouffler. À la surprise générale, l'armée a lancé une offensive contre les manifestants. La version officielle justifie cette intervention en affirmant que la grève du FIS était en train de tourner à l'insurrection, menaçant gravement l'ordre public. Une autre hypothèse très souvent évoquée : cette intervention est la conséquence de la tentative de remise en cause des rapports de forces internes au régime par Mouloud Hamrouche. En mettant en jeu « les équilibres considérés comme fondamentaux par le Commandement militaire », le chef du gouvernement a poussé les militaires à intervenir. Par ailleurs, certains ont formulé l'hypothèse selon laquelle des hauts gradés, opposés à l'islam politique, auraient encouragé le leader du FIS Abassi Madani à se saisir du pouvoir afin de disposer d'un prétexte pour intervenir et éliminer le parti islamiste, seule organisation capable de se substituer au FLN et détruire le système mis en place depuis l'indépendance. Finalement, les conservateurs du FLN et le FIS obtiennent ce qu'ils cherchent à savoir la chute du gouvernement Hamrouche et le report des élections législatives.

Mouloud Hamrouche va ensuite entrer dans l'opposition et dénoncer l'arrêt du processus électoral de janvier 1992. En compagnie d'Abdelhamid Mehri, il prône une solution politique et souhaite refonder le FLN. Mais son message reste lettre morte et la parenthèse démocratique se referma. Depuis, les mouvements politiques ont de tout le temps donné l'impression d'avoir une existence végétative, seulement interrompue à intervalle régulier par la perspective d'une échéance électorale. N'ayant plus de structures de base opérationnelles en dehors des élections, les partis politiques sont devenus des clubs où accourent les opportunistes de tout poil à l'occasion de chaque consultation électorale propulsant à la gestion des collectivités locales (APC) des militants sans culture politique et sans véritable engagement, produisant des gestions décevantes, voire aussi catastrophiques que celle, tant décriée, des représentants du pouvoir (FLN, RND, islamistes). La quête d'une parcelle de pouvoir, apparaît comme l'unique objectif des partis algériens de l'opposition, ce qui finit par les discréditer aux yeux de l'opinion publique. Elle ne vise pas à se substituer au pouvoir en place à travers un combat militant. Il s'agit plutôt de jouer le jeu des gouvernants afin d'accéder à de hautes fonctions, voire à des portefeuilles ministériels quitte à se compromettre. Les acteurs de ce jeu bénéficient de gratifications matérielles non négligeables dans la mesure où l'indemnité mensuelle d'un député est d'environ 300 000 dinars algériens (soit 2 300 euros dont 20 % sont reversés au parti).

Les revenus tirés de la rente permettent de créer, sinon du lien politique, du moins des allégeances. L'augmentation médiatique et substantielle (300 %) des indemnités des parlementaires en septembre 2008 est assimilable à une forme de clientélisme d'État. Par ailleurs, les prérogatives déjà limitées du parlement sont amoindries par un exécutif fort et des députés faibles. Ceux-ci, qu'ils soient opposants ou non, comme le montrent les images de la télévision publique, se font remarquer par leur absentéisme parlementaire mais aussi par leur suivisme aveugle et leur manque de réactivité.

Les parlementaires acceptent qu'un gouvernement soit nommé sans présenter son programme. Ils votent les lois de finance sans que l'exécutif présente son bilan et parfois adoptent des textes de loi contradictoires. Ainsi, la révision de la Constitution dont l'objectif principal était de renforcer l'exécutif et surtout de supprimer l'article limitant à deux le nombre de mandats du président de la République, a été approuvée à une majorité écrasante sans débat aucun, ouvrant ainsi la voie à une présidence à vie pour Abdelaziz Bouteflika, à l'instar d'autres dictateurs arabes, notamment en Tunisie, Libye, Syrie, et Égypte. Sur le plan purement procédural, le processus électoral en Algérie est donc bien rodé. Sur le plan politique, il l'est tout aussi.

Ces élections, pourtant pluralistes, ne suscitent que très peu d'inconnues quant aux vainqueurs. Les partis de la coalition présidentielle arrivent sans suspense en tête. L'inconnue, en revanche, concerne les détails chiffrés qui offrent une intéressante grille de lecture pour tenter de décoder l'évolution complexe des rapports de force. En ce qui concerne le régime, le multipartisme ne lui a pas permis de se doter d'une légitimité démocratique, mais il lui a donné la possibilité d'avoir une « démocratie de façade » utile pour son image à l'étranger. Tout comme de nombreux autres pays, Russie ou Égypte par exemple, cette façade institutionnelle de démocratie, qui inclut des élections pluralistes régulières, sert en fait à dissimuler et à reproduire les dures réalités de la gouvernance autoritaire . Mais ces régimes violent systématiquement les principes de la liberté et d'égalité, caractéristiques fondamentales de la démocratie, transformant ainsi les élections en instruments du régime autoritaire »

2-L'opposition justifie ses échecs par des subterfuges divers

Il ne faut pas se voiler la face, la participation des différents partis à la gestion des collectivités locales et des préoccupations législatives n'a jamais assuré un partage de pouvoir et encore moins son équilibre. Par contre, les différentes sorties de l'exécutif au sujet des partis qui boycotteraient les prochaines élections législatives montrent incontestablement la gêne pour ne pas parler carrément de la déroute de l'establishment dans la démarche de leur poursuite dans la stratégie de continuité et surtout leur aveu d'échec de trouver un leader charismatique comme alternative. La tentative des personnalités politiques comme Lamamra, Lakhdar Brahimi ou même Chakib Khelil semble s'éloigner puisque leur Cv n'a pas recueilli l'unanimité de l'ordre établi. Depuis quand, le pouvoir s'inquiète- il de la représentation des citoyens dans l'hémicycle alors qu'il tire sa légitimité depuis la soit disant ouverture du champ politique avec des élus qui chauffent les chaises ? Non seulement ces élus s'accommodent avec le système mais lui donnent une crédibilité dans tout ce qu'il entreprend Cette fois ?ci à en croire un leader islamiste qui affirmait à la chaine Al Magharibia que c'est le pouvoir qui insiste pour que leur aile s'unisse et c'est ce qu'ils semblent faire pour satisfaire cette sollicitude. Les citoyens ont remarqué que le dernier trimestre de l'année 2016 a été très chargé pour le président de la république qui a fait plusieurs sortie d'inauguration dont la dernière est celle de la nouvelle ville de Sidi Abdellah.

Il s'exprime peu par personne interposée et voilà qu'il accorde carrément une interview au Groupe Business Oxford dans laquelle chiffres à l'appui il fait l'éloge « économique » de ses 4 quinquennats avec une perspective rassurante pleine de défis dont notamment l'allégement de l'Algérie vis à vis de sa dépendance des hydrocarbures. Le plus surprenant est qu'aucun quotidien national privé n'a fait la moindre allusion à cet entretien à part les médias lourds de l'Etat et El Moudjahid, exception faite de certains journaux électroniques comme Al Hugginton Maghreb ou Matin d'Algérie. L'ont-ils considéré comme un non événement eu égard au match qui opposait le lendemain l'Algérie à la Tunisie ou n'ont en ils pas cru leurs oreilles ? Pourtant, cette forte médiatisation par spot répétitifs chaque demi heure vise bien une offensif du système pour marquer sa présence et éloigner les résistants de la ligne de conduite qui forme l'ordre établi où chacun trouve son compte. En se limitant aux problèmes économiques, les réponses du président de la république semblent viser la rigueur de la loi de finance pour l'année 2018 que l'opposition utilise comme brandon pour mobiliser les citoyens. La situation économique est présentée aux antipodes de ce que qualifie l'opposition actuellement : la leader du parti des travailleurs parle de chaos voire même de la somatisation du pays, le parti Talaie El Houriyet lui invoque le marasme des institutions qui s'abaissent à la politique du donnant- donnant etc. il ne s'agit plus de divergences dans la marche à suivre pour atteindre un même objectif mais d'un changement profond qui chamboulerait l'équilibre du régime dans son ensemble d'où les inquiétudes du système qui se prépare pour la riposte et il y parviendra sans aucune difficulté.

3-Conclusion

« Malgré l'avènement du multipartisme depuis 1989, les partis d'opposition non seulement fonctionnent selon un mode autoritaire, ce qui n'est pas un obstacle en soi, mais ils n'ont pas pour objectif de conquérir le pouvoir. Ainsi, au lieu de se présenter comme une force d'alternance ayant un projet de société, des modes d'actions politiques renouvelés et un système de valeurs, les partis de l'opposition, se sont adapté aux règles du jeu. À défaut, ils ont disparu de la scène politique. Les partis dits démocratiques, tels que le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ou le Front des forces socialistes (FFS), n'ont pas instauré un semblant de démocratie interne. Tout comme les premiers partis d'opposition (Parti pour la révolution socialiste, FFS, Mouvement pour la démocratie en Algérie...), les partis post-1988 ont plus ou moins reproduit le schéma du parti unique. Il n'est donc pas exagéré de décrire le système actuel de « multipartisme fait de plusieurs partis uniques ». L'explication des divisions au sein de ces partis par une manipulation orchestrée par les services secrets n'est guère pertinente. Par exemple, les divisions actuelles au sein du RCD sont dues au refus de certains membres du parti de soutenir la décision de Saïd Saadi de participer à l'élection présidentielle d'avril 2009. Le culte de la personnalité, le blocage de toute relève, et l'exclusion sont les facteurs principaux de ces divisions.

Cette situation explique aussi le discrédit dont souffrent ces partis aux yeux de l'électorat et de leurs militants de base. Le régime, quant à lui, a su récupérer ces partis : Le MSP s'est laissé complètement coopter. Le PT flirte ? comme le RCD avant lui ? avec les sirènes du pouvoir. Nahda puis El Islah se sont brisés de l'intérieur et le FFS prêche presque dans le désert. Aucun parti politique, aucune personnalité publique ne parvient à émerger de façon suffisamment forte pour apparaître comme un challenger sérieux face au dirigeant actuel. En fin de compte, les partis politiques servent d'alibi démocratique au pouvoir. Les gouvernants n'hésitent pas à frauder systématiquement, ce qui somme toute ne dérange pas les partis politiques puisqu'ils se voient attribuer des sièges au sein de l'Assemblée populaire nationale. Quant à leurs dirigeants, ils travaillent principalement à l'avancement de leur carrière politique ».

*Consultant, Economiste Pétrolier