Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

DES VERS (ET DES MOTS) PLEINS D'AMOUR

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Les genêts de l'Amour (Uzzu n Tayri) - Comédie musicale (Amezgun a?awani) de Hadjira Oubachir (Haðira Ubacir). français - kabyle (Taqbaylit-Tafransist). Préface de Malha Benbrahim. Koukou éditions, Alger/Cheraga 2018, 500 dinars, 61 pages en français - 61 pages en kabyle.



La préfacière n'a pas tort. Bien sûr, c'est là une «comédie musicale»... u, bien plutôt, une «tragédie musicale» nous dévoilant, dans une société lestée de traditions et de tabous mais aussi peuplée de femmes-courage décidées à «changer leur monde», combien est belle et émouvante et fascinante... et révolutionnaire (messieurs les conservateurs de tous bords, n'ayez pas peur ; il s'agit non de bouleverser et de renverser mais seulement de changer et de faire évoluer les rapports humains afin de rétablir l'égalité) la poésie lorsqu'elle chante la tolérance et la liberté. Une devise pareille qu'en politique.

Une histoire banale ? Peut-être : puisqu?elle met en scène deux amoureux issus de familles rivales d'un village de Kabylie. La belle Azouzou et le bel Ali... et, bien sûr, le cousin (méchant, riche...), Akli, auquel on avait promis la main de la belle cousine, il y a de cela très, très longtemps. Ali part, forcé, faire la guerre à l'Allemagne (Ah, ce colonialisme, cause de tous les malheurs !) alors qu'Akli, riche, échappe à l'uniforme. Il en profite et épouse Azouzou. Qui se révolte. Et qui, en fin de compte, quitte le mari.

Retour de Ali. Mariage. Le bonheur... qui n'est pas dans le pré... car Ali n'aime pas le travail de la terre. De ce fait, il part en ville préparer le grand départ... Retour au village. Mais, en «bas d'un sentier, sous l'ombre d'un frêne, entre le genêt flamboyant et la lavande odorante, le canon d'un fusil attend sa cible...». Celui du rival, Akli,... qui n'avait jamais admis le «déshonneur». Il ne reste à Azouzou que les yeux pour pleurer... et sa voix pour crier sa douleur, et «chanter» son désespoir. «Les villageois, médusés, s'inclinent».

L'Auteure : Figure connue du Printemps berbère de 1980. Toujours présente sur tous les fronts. Enseignante de français à la retraite. Un recueil de poèmes («Rêves de feu»... «Tirga n tmes») édité en version bilingue (kabyle - français) en 2010 (éditions Achab). Productrice, assez longtemps, à la radio publique « Chaîne II» avec des émissions consacrées à la femme, à la poésie et à la culture en général... Pièces radiophoniques... Du cinéma dont le premier rôle féminin, en 1995, dans le film «Machaho» de Belkacem Hadjadj

Extraits : «...Ils jurent, les frêles amoureux / Qu?ils lutteront pour le pardon / Supprimeront les différences / Préjugés et divisions / Sèmeront paix au village...» (pp 15-16), «Vous réclamez la justice ?/ Nous sommes les femmes enchaînées / Azouzou chante les ravages / De nos mariages forcés !» (p 39)

Avis : Une tragédie amoureuse en Kabylie. Pas simple quand on connaît (pas seulement en Kabylie) le poids de la tradition et des tabous pesants. On n'ose même pas y croire. Style romantique un peu surréaliste, mais une dimension poétique fascinante et l'amour... de l'amour, de la tolérance et de la liberté.

Citations : «Je maudis les bien-pensants / Leur morale dérisoire / Leurs mensonges, leurs tabous / Dont ne naît aucune gloire / J'abolirai les frontières / Leurs interdits, leurs pouvoirs» (p 17), «L'orgueil de l'homme, c'est la femme» (p 28), «Puisque de toi, je suis aimé / Que m'importe le Paradis ?» (p 57)



Les femmes ne meurent plus d'amour - Roman de Ahlem Mosteghanemi (traduit de l'arabe par Fadila Farah Karlitch et diffusé en Algérie par El Izza oua El Karama Lil Kiteb, Alger). Edité par Hachette A. Antoine, Beyrouth 2018, 1 350 dinars, 345 pages.





Un roman d'amour du début à la fin. Pour ne pas changer. Il est vrai que le gros nœud de la problématique du développement de la société arabe (et musulmane) reste encore très lié à la condition féminine d'une part et des rapports homme-femme d'autre part. Bien des écrivains (mais surtout bien des chercheurs) ont tenté de les décrypter avec plus ou moins de bonheur... mais la lutte paraît incroyablement difficile. C'est ce qui rend encore plus passionnantes les œuvres de l'esprit (dont les romans et les films) qui traitent du thème, celui de la libération sentimentale (on n'ose pas dire plus au risque de se retrouver sur les bancs d'on ne sait quels accusés) de la femme. Ahlem Mostaeghanemi, elle, a osé, déjà depuis bien longtemps, avec ses premières œuvres poétiques et littéraires, rencontrant un large succès, tout particulièrement auprès des publics arabes... et depuis un bon moment auprès des publics autres, en d'autres langues dont la française.

Cette fois-ci, l'histoire est simple et compliquée à la fois. Elle décrit une histoire de relations amoureuses d'une jeune et belle Algérienne, Hala El Wafi et, attention, c'est très important, «Chaouia» de surcroît (là-bas, dans sa ville natale, «on ne badine pas avec l'honneur» et «l'amour est frappé d'anathème»), enseignante de son état d'une ville de l'intérieur du pays, qui se retrouve, en raison d'un exil forcé (le terrorisme islamiste qui a assassiné son père, un «Sultan démuni»), en situation de chanteuse émigrée (au Moyen-Orient, en Syrie plus exactement, puisque sa mère est Syrienne d'origine)... Pas encore star mais une «créature lumineuse». Au fil du temps, elle se retrouve «courtisée»... et conquise par un riche (et beau) Libanais, Talal, «un homme qui ne pleure pas», qui a du temps, précieux et même prétentieux, se croyant «maître des désirs», «Dieu des banquets» et «Sultan de l'extase» ayant fait ses preuves et sa fortune au Brésil, d'abord dans la restauration (où résident cinq millions de Brésiliens d'origine libanaise). De plus, marié avec une (encore) belle femme qu'il n'a pas l'intention de quitter, et père de deux enfants.

Deux fortes personnalités, mais deux façons de conjuguer l'amour, l'homme en position de «conquérant» , narcissique non-déclaré comme tout macho arabe, se servant de son argent pour éblouir et «dominer» ; la femme, «courageuse et obstinée», en position de recherche, d'abord et avant tout, de «considération», de respect, de soutien et de protection («Le sentiment de protection devant lequel les femmes capitulent» ) Deux univers donc (un monde réel, dur, pourri d'argent, égoïste, face à un monde de rêves) en fait s'attirant mais, en même temps, au fil des rencontres, s'opposant... Le même monde... cultivé, ouvert sur le monde moderne, mais existant pour les mêmes valeurs. Un choc des cœurs, (sans «choc des corps», il faut le préciser ; ceci pour dire que le roman est assez «prude» sur la question). La séparation est brutale car la dignité et l'honneur avant tout... Mais la belle en sort «dévastée» intérieurement... Heureusement, il y a, quelque part, un compatriote - fonctionnaire international - rencontré par hasard et admirateur de la chanteuse - au cœur «gros comme ça» qui redonnera de l'espoir...

A noter que le roman pèche (?), à mon avis, par des digressions qui en font, aussi, un livre assez engagé politiquement. Plutôt des prises de position : sur le terrorisme, sur la lutte antiterroriste, sur la «réconciliation nationale » et l'amnistie, sur la «harga», sur Bouteflika (p 208) , sur l'état psychologique ou mental des Algériens (p 28) : on «a produit plus de fous après l'indépendance que de martyrs pendant la Révolution»)... et certaines sont même assez gênantes (exemple sur le rôle des «hommes de l'Aurès» dans la Révolution armée, p 66) .

L'Auteur : Née en avril 1953 à Tunis au sein d'une famille algérienne originaire de Constantine (Chaouia d'appartenance) ayant émigré après le 8 Mai 45. Etudes à Tunis et à Alger (elle y fut, alors, lycéenne) animatrice de radio... Epouse de Georges Rassi, éditeur et journaliste, trois enfants. Docteure en Sciences sociales (Paris). Classée en 2006, par le magazine «Forbes», parmi les dix femmes les plus influentes du monde arabe. Des poèmes et romans à succès («La mémoire de la chair» , édité en arabe en 1985 et en français en 2002 en France? puis transformé en série télévisée), «Le chaos des sens» (présenté in Mediatic, jeudi 11 octobre 2012), «Le noir te va si bien»...) ...d'abord à l'étranger (comme «Dakhirat al djassad»).Il est vrai qu'en Algérie, jusqu'aux années 2000 et maintenant encore,... pour une femme à forte personnalité, écrire audacieusement, écrire sur les rapports homme ?femme n'est pas chose bien acceptée? Plusieurs prix : «Malek Haddad», «Nadjib Mahfoud»...) .Nommée Femme arabe de l'année à Londres en 2015 et Artiste de l'Unesco pour la paix en 2016... Des millions de «fans» sur Facebook. Un «phénomène littéraire dans le monde arabe» !

Extraits : «Dans le monde de l'argent, comme dans celui du pouvoir, il n'y a pas de sécurité affective .Un homme fortuné doit faire faillite pour tester le cœur de ceux qui l'entourent» (p 22), «C'est la servitude, l'injustice et l'avilissement qui conduisent les gens à la folie. Quand l'Algérien perd sa dignité, il perd la raison .Il n'est pas génétiquement programmé pour s'adapter à l'humiliation»( p 28),«Dans cette ville (Beyrouth) on dirait que chaque habitant était à la tête d'une agence d'informations «(p 49), «Quand on pratique l'art culinaire avec talent, on sait comment cuisiner les désirs et organiser à la perfection le festin de la vie» (p 156), «...les peuples arabes : tout en aspirant à la liberté, ils éprouvent la nostalgie de leur bourreau» (p 322), «La femme arabe est triste quand elle doit être heureuse, puisqu'elle n'est pas habituée au bonheur» (p 234),«Pour nous délivrer d'un tyran, nous faisons toujours appel à un envahisseur, et ce dernier à son tour fait appel aux bandits des grands chemins de l'Histoire pour leur remettre les clés du pays «(p 336),

Avis : C'est vrai, «les femmes ne meurent plus d'amour» mais elles se consument, parfois sans le vouloir et sans le savoir et c'est là le drame. Car, «sur l'échelle des priorités, l'amour venait en premier dans la vie d'une femme. Alors que dans le vie d'un homme, il se tenait au deuxième rang» (p 142). Donc, pour les femmes, un livre à lire absolument. A faire lire aux hommes, amoureux ou non. Peut-être connaîtront-ils bien plus leurs femmes et se comporteront-ils bien mieux ? Dans le monde arabe et musulman, pas si sûr ! Mais, «quand on aime, on ne compte pas».

Citations : «La plus riche des femmes est celle qui pose sa tête sur un oreiller garni de souvenirs» (p 13), «L'amour ne s'annonce pas. C'est sa musique qui le dénonce «p 15), «L amour nécessite une approche intelligente, de la distance. Vous vous approchez trop près, vous supprimez le désir. Vous vous éloignez trop longtemps; vous disparaissez dans l'oubli» (p 47) , «L'indifférence, une arme toujours fatale pour la vanité d'une femme, parce qu'elle fait rebondir sur elle les incertitudes du doute» (p 54) , «Seuls les nouveaux riches se vantent de leurs richesses, et seuls ceux qui n'ont pas de relations se vantent d'avoir du succès auprès des femmes» (p 188), «Un bon auditeur est préférable à un mauvais chanteur» (p 191), «Le plus bel instant dans l'amour est celui qui précède son aveu» (p 193), «La vraie richesse n'a pas besoin d'exhiber son or. Elle ne cherche à éblouir personne. C'est pourquoi seuls les gens riches savent d'un regard estimer la valeur des choses qui n'ont pas d'éclat» (p 219), «Le bonheur n'est pas dans ce qu'on possède, mais le malheur est dans ce qu'on ne possède pas. En règle générale, ce que nous possédons ne peut pas faire notre bonheur, alors que ce que nous manquons cause notre misère» (p 289), «La plus grande tragédie de l'amour n'est pas de s'éteindre dans l'insignifiance mais de nous laisser insignifiants après son départ «(p 318).



PS : 1 / Lu récemment sur un site électronique d'informations : «Les bibliothèques communales de la capitale nagent en pleine sinistrose... Elles flanquent le cafard et ne donnent nullement envie de s'y aventurer». Suit un (rapide) état des lieux de quelques bibliothèques visitées. Assez suffisant pour se faire une idée. Bibliothèque Ferhat Boussaad : Entrée glauque? Etagères à moitié vides. Quelques romans défraîchis : Camus, Baudelaire, Dib? Des ouvrages du parascolaire complètement dépassés... La salle de lecture est hyper bruyante... à cause de la proximité du marché Meissonnier. Aucune trace d'ordinateur. Une bibliothèque triste, fantomatique et oppressante.

Quartier de la Robertseau (Bd Krim Belkacem, ex-Télemly et ex-Bouakouir) : Porte fermée. Profond coma. Selon le gardien, la bibliothèque est toujours en vacances et il ne connaît pas la date de réouverture. Nous sommes pourtant le 17 septembre et la rentrée scolaire a eu lieu depuis deux semaines déjà. On découvre la salle de lecture. Spacieuse, mais une odeur de renfermé et de moisi flotte dans l'air.

El Biar. Le Caid. : Après avoir été transformée, dans les années 90 en cybercafé puis en fast food, la bibliothèque a mis la clef sous le paillasson.

Télemly. La surprise. Rue des Fidayine... une villa ombragée. La bibliothèque «Les Palmiers» est l'héritière de l'ex-CCU : Centre culturel universitaire, géré anciennement par les Sœurs Blanches... qui se trouvait, je crois, au centre-ville et les anciens étudiants de la fac' centrale se souviendront de «Carmen», la gérante de la cantine. Elle accueille les enfants (surtout des quartiers limitrophes) entre 6 et 12 ans pour faire leurs devoirs et profiter de cours de soutien (bénévoles) en arabe, français et anglais. Quatre salles en tout. Environnement paisible. Inscriptions au prix symbolique de 2 500 DA/trimestre. Les livres pour enfants proviennent essentiellement de dons de particuliers. Ouverte deux fois par semaine, mardi de 13 h30 à 17 h et le samedi de 10 h 30 à 10 h 30 (?)

Conclusion de la journaliste : «Les bibliothèques communales de la capitale ont besoin de sang neuf. Nouveaux ouvrages, ordinateurs, espaces moins austères. Donner le goût de la lecture s'apprend dès le plus jeune âge. Créer des espaces de travail accueillants et agréables n'est pas sorcier. Il suffit juste de le vouloir». Toute la question est là !

2 / Entendu (entretien sur une chaîne privée off-shore) un jeune youtubeur algérien, Obeïda Mecheri, de Constantine : Du niveau, de l'engagement, de l'humilité... en faveur des bonnes causes (contre la pollution, contre le harcèlement, contre...) ...et, surtout, ce qui n'est pas rien en ces temps de découragement et de lâcheté, le courage de dire ce qu'il pense, ne s'en laissant pas conter par les questions et réflexions d'un animateur à la barbe bien taillée.