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L'Algérie, c'est l'éternité qui juge les lâchetés de ses enfants

par Khalil Hebib

L'érotisme est né de la rencontre d'une étoile et d'une terre. L'héroïsme, de la rencontre de la bravoure et d'un pays. Le déshonneur, né de la rencontre des hommes et d'une lâcheté...

Paradoxe : les idées tombent en panne, lorsque le carburant coule à flots! Que faire alors d'un pays qui ne sait que faire de ses enfants, d'un territoire plus vaste que leur imagination ? Que faire de son sous-sol généreux, de son infini rivage, de ses braves montagnes, de son soleil émérite. Que faire de ses plaines rieuses, de sa mer qui berce le monde, de son désert surprenant comme un mirage, que les nuits fréquentent pour y épandre les étoiles.

On raconte que le soleil, jalousement épris de cette terre, jura de pulvériser, toute étoile surprise dans les bras de sa bien-aimée, au petit matin des nuits fiévreuses, à flirter, blottie au creux d'une vallée ou s'attardant dans le lit d'un oued.

Des milliards d'amantes venues de loin, succombant aux charmes de ce territoire nu, moururent broyées, sous la colère de l'astre du jour, accrochées au cou d'une envoûtante montagne ou agenouillées à contempler une oasis endiablée. Ainsi naîtra des poussières d'étoiles, le sable fins et doré du désert algérien.

Le Nord du pays est une aubade sous la fenêtre de la vie: il est le berceau de l'alternance des éléments. L'endroit où s'établit l'équilibre du monde, où les ego des saisons s'effacent, jouant un accord parfait, entre le chaud et le froid, l'ombre et la lumière, le vent qui siffle et les oiseaux qui chantent.

Les brises du printemps murmurent à l'oreille de l'hiver, les rêves de douceurs des absinthes et l'envie folle des coquelicots de marcher sur les collines vierges et détrempées. Le vent de l'automne, capitule sous les doléances des platanes qui agitent comme un étendard, leurs dernières feuilles jaunes et vieillies.

L'Été est amour, comme une promesse divine, à peine les branchages tendus, que le ciel se fend en lumière, pour combler de délices et de chaleur, abricots, prunes, nèfles, et pêches: un don du ciel que les arbres savent célébrer.

Le pays est presqu'une illusion : tellement irréel que les peuples nous l'envient, ne comprenant pas comment ses dieux sont si cléments et ses hommes si maladroits. Aux yeux du monde, ce pays est une grâce. Il y a de ces gens qui ne croisent le soleil que par hasard, tel un amour inespéré revenu d'une terrible guerre ou un condamné évadé d'une funeste prison. Il y a des gens, en Europe et aux Amériques, qui songent aux brises marines, qui ont soif de douceurs, qui grelottent, les pieds dans la neige et les têtes perdues dans des lierres de foulards!

Et pourtant?

L'Algérie, c'est l'histoire d'un gâchis. L'histoire d'un puits inépuisable mais souillé, d'une mère généreuse mais folle et violée, d'un esprit vif mais écorché. C'est l'histoire d'une lâcheté commune, d'une capitulation, d'une insurrection méphitique des égoïsmes! L'Algérie nous pleure quand on rit, se rebelle quand on se terre, se met debout quand on se prosterne, rassemble quand on s'entre-déchire, donne lorsqu'on prend.

Elle, au moins, a gardé en mémoire, dans ses oueds et ravins, les serments des hommes, les cris des femmes, les pleurs des enfants et le goût rêche du sang versé pour elle, et qui court toujours dans ses veines. Elle au moins ne tremble que de colère. Ne convulse que de peine. L'Algérie, c'est l'éternité, qui juge ses enfants: ont-ils été dignes? L'ont-ils défendue ? L'ont-ils mérité ?