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L'Algérie ou le «pays imaginaire»

par M'hammedi Bouzina Med

Il n'est point question de conte de fée, de miracle ou de fantastique. Il s'agit d'une réalité si lourde à porter, vécue comme un rêve. Toutes les conquêtes de l'homme moderne ont commencé par l'imagination, le rêve.

De marche en marche, de rassemblement en rassemblement, d'appel en appel des Algériens rêvent d'un pays prospère, heureux, libre pour échapper à une réalité qu'ils estiment tel un fardeau composé de frustrations, d'injustices, de trahisons. Un cauchemar. D'autres Algériens sont si heureux, si prospères qu'ils croient dur comme fer que leur pays est le plus beau du monde, jalousé par la moitié de la planète. Un rêve.

Et tous construisent dans les tréfonds de leurs pensées un avenir qu'ils espèrent pour tous, commun, protecteur et promettant. Chacun a sa république dans la tête et cela fait beaucoup de républiques. Les uns savourent l'idée d'un pays semé de théâtres, de bibliothèques, de grandes universités, d'hôpitaux propres et performants, d'espaces touristiques merveilleux, de conquêtes scientifiques et de prix Nobel. D'autres sont habités par un pays comme une immense mosquée inondé par un océan de prières et de méditations, silencieux, versé entièrement dans l'espérance de conquête du paradis qui n'existe pas sur terre. En somme personne ne vit dans le pays quoique y habitant.

Les Algériens chérissent et aiment leur pays tel qu'ils le rêvent, l'imaginent et sont révoltés par ce qui se passe dans celui qu'ils vivent. Etrange rapport au berceau de sa naissance et du toit sous lequel on vit: une colère malgré un amour fusionnel, dévorant, incompris. Le rapport au pays est comme celui de l'enfant à sa maman: inconditionnel, exigeant, égoïste exclusif. En revanche, l'enfant ne mesure n'est ni conscient de l'amour maternel, incommensurable, entier, sans équivoque. Pour mériter l'amour de la patrie il faut l'aimer comme sa propre maman, tout le temps et en toute circonstance. Un pays n'est jamais rien d'autre que ce qu'en font ses enfants, son peuple. Pour que le pays soit exemplaire, il faut nécessairement que ses habitants le soient. « Dans un nation exemplaire, le seul avis qui ait de l'autorité, c'est l'exemple» affirmait très justement Edouard Herriot , ancien homme d'Etat français. Voilà tout le secret de l'épanouissement d'une nation, d'un pays. Voilà tout le drame du notre. Lorsque les Algériens regardent autour d'eux, puis vers les centres de pouvoirs de proximité ou centraux, ils découvrent certes l'exemplarité, malheureusement l'exemplarité dans la malhonnêteté, l'injustice, la corruption, l'incompétence, l'hypocrisie et le mensonge.

Un cauchemar qu'ils fuient après s'en être plaints. Ils inventent et imaginent le pays de leurs rêves. Ils marchent, manifestent, hurlent leur besoin de justice, d'équité, de liberté. Ils adorent leur pays qu'ils estiment otage de quelques puissances occultes et maléfiques. Ils veulent se réveiller des hallucinations qui les harcellent le jour et les terrorisent la nuit jusqu'aux aurores de l'aube. Comment s'en sortir de ce présent pesant et étouffant ? Comment cesser de vivre dans un pays imaginaire et savourer la réalité si au moindre mouvement d'humeur, de protestation ou de plainte à ceux en charge de la responsabilité dans ce pays, la seule réponse est le rejet, le sermon ou la matraque? La simple écoute à défaut de compassion et de réponse positive permet au plaignant de décompresser et de comprendre les choses qui lui arrivent. S'il est un devoir noble pour tout citoyen de chérir son pays, il est en droit d'en attendre la réciprocité. Il suffit de «câlins» de la république en lieu et place du bâton pour que les Algériens peuple et responsables se parlent, se comprennent et surtout cessent de vivre le pays dans leurs rêves pour saisir les immenses potentialités qu'il leur offre et construire, pour le coup, ce pays tant rêvé. Est-ce si compliqué que cela que de se parler entre gouvernants et peuple ? Les gouvernants ferment les portes du dialogue et de l'écoute puis s'étonnent et accusent de manipulation en cas de dérapage violent lors de marches, rassemblements ou manifestations pacifiques. Les gouvernants estiment qu'ils font plus que ne le font d'autres gouvernements pour leurs peuples et accusent ouvertement les Algériens d'ingratitude. Aucun Algérien ne nie les progrès faits ces dernières années en termes d'infrastructures de base, de logements, de route et autoroute etc. Les Algériens savent tout cela. Ils ne manifestent pas contre le progrès. Que du contraire, ils manifestent leur mécontentement contre les inégalité des chances, l'injustice dans la répartition des richesses dans ce pays, la corruption honteuse qui gangrène jusque les institutions de l'Etat et par dessus tout contre l'absence de liberté de vivre...leur rêves sans peur de lendemains incertains.

Il y a dans l'air comme un mépris des gouvernants et classes sociales riches à l'encontre de «ce peuple», accusé de ne pas être reconnaissant de bienfaits qu'il reçoit. Et il n'y a pire sentiment d'injustice et d'humiliation qui conduit souvent à l'irréparable. Sans doute pour atténuer le poids du quotidien réel si injuste que les jeunes, adultes, hommes et femmes s'éprennent plus à imaginer chacun dans son coin, dans sa tête le pays dont il rêve. Oui, cela fait beaucoup de pays sans , malheureusement, ne jamais les rencontrer et surtout y vivre. « Pour implanter un gouvernement au cœur d'une nation - d'un peuple- il faut savoir y rattacher des intérêts et non des hommes» écrivait Honoré Balzac au 19ème siècle. Nous sommes ou 21ème siècle, au début d'un nouveau millénaire et nos gouvernants n'écoutent même pas les plaintes des gens humbles, voire même pauvres. De là, à bâtir une nation digne de ce nom et de ces temps modernes, il ne reste que le rêve et l'imagination pour survivre. Ainsi commencent les belles conquêtes de l'homme, par le rêve pour devenir un jour une réalité. Alors, continuons d'imaginer l'Algérie comme nous aimerions qu'elle soit. Peut-être qu'un jour...le matin sera radieux...en vrai.