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Manœuvres autour de l’or

par Akram Belkaïd, Paris

La ruée vers l’or n’est jamais terminée. On en veut pour preuve la méga-fusion qui vient d’unir les géants miniers Barrick Gold et Randgold. Le nouvel ensemble constitué par le géant canadien et son rival britannique pèsera 18 milliards de dollars. Il contrôlera surtout 5 des 10 plus grands gisements aurifères mondiaux et possèdera des mines dans les pays suivants : Canada, Etats-Unis, Pérou, Chili, Argentine, Australie, Tanzanie, Mali. Sur le plan technique, la fusion se fait sans mouvement de cash. Il s’agit d’un échange d’actions, les actionnaires de Randgold recevant 6,1 actions de Barrick contre 1 action Randgold. Dit autrement, les actionnaires actuels de Barrick contrôleront 66,6% du capital de la nouvelle entité et ceux de Randgold 33,4%.

Obligation de croître

Cette fusion ne surprendra pas les spécialistes qui savent que le secteur de l’or, en particulier, et celui des mines de manière plus générale, va vers ce que l’on appelle des « consolidations », c’est-à-dire des opérations de croissance par acquisition. Barrick Gold est certes déjà un géant mais ces dernières années sa production est passée de 8 millions d’onces d’or par an en 2010 à 5,3 millions d’onces en 2017. De son côté, Randgold ne produit « que » 1,3 million d’onces annuellement. On le sait, la nature et ses trésors ne sont pas extensibles à l’infini. On ne trouve plus de grandes mines ou ce que l’on appelle des gisements de classe 1. Pour se maintenir en Bourse, pour continuer d’assurer une production à un certain niveau, les grands miniers n’ont pas d’autres choix que de se regrouper. Cela peut se faire de manière « amicale » comme pour cette opération. Cela peut se jouer via des offres publiques d’achat (OPA) et des raids boursiers hostiles.

D’autres raisons expliquent aussi cette tendance à la consolidation. L’attrait pour l’or est fluctuant et dépend beaucoup de la conjoncture économique mais aussi de la géopolitique. Ces dernières années, la faiblesse des taux d’intérêts dans les pays industrialisés, conjuguée à une inflation relativement bien maîtrisée, n’a pas poussé les investisseurs à se rabattre sur l’or ou, plus exactement, sur les titres des entreprises aurifères. De même, le contexte géopolitique n’a pas généré de grandes tensions. Or, les choses changent. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale (Fed) relève ses taux et l’inflation donne quelques signes d’appréciation. Même chose en Europe où la Banque centrale européenne (BCE) se prépare à enclencher son cycle haussier en matière de taux directeurs. Enfin, le moins que l’on puisse dire c’est que le contexte géopolitique est de plus en plus inquiétant. Même si les choses semblent se calmer sur le front de la Corée du Nord, la crise iranienne mais aussi la situation en Syrie et le bras de fer commercial entre les Etats-Unis et la Chine attisent les inquiétudes. Conclusion, c’est le moment où jamais pour les géants miniers de faire leur marché.

Risque africain

On peut aussi se demander pourquoi les actionnaires de Randgold ont accepté l’opération qui, in fine, fait passer leur entreprise sous le contrôle du groupe canadien. L’explication est simple. Randgold est très présent en Afrique, continent où les groupes miniers ont pour avantage de faire souvent la loi face à des Etats faibles et des législateurs incapables d’imposer le minimum de dispositions en matière de protection de l’environnement. Mais ce laxisme a un revers. Il est aussi le produit d’une instabilité politique latente et de turbulences régulières. S’unir à Barrick Gold est une occasion pour Randgold d’amoindrir son exposition au « risque » africain. Ses actionnaires ont donc désormais dans leurs portefeuilles des titres dont le cours dépendra de l’exploitation de sites situés un peu partout dans la planète.