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Beaucoup «de Dieu» et peu de foi

par Chaalal Mourad

« Depuis que la religion est devenue un fonds de commerce pour les nouveaux marchands du temple, Dieu semble endosser, bon gré mal gré, toutes les misères du monde et les tares de l'humanité. La Cité de Dieu ou la Cité des hommes ? Dieu a déjà choisi sa demeure : le cœur de l'homme.. »

Partout ailleurs, Dieu est adoré dans le calme, la sérénité et la sincérité, sauf chez nous, on l'adore dans le vacarme, l'hypocrisie et la violence. Chez nous, Dieu est omniprésent dans tous les aspects de la vie sociale et sur notre langue. On ne parle que de lui, on ne jure que par lui, , souvent pour se faire une image, tromper et arnaquer. Oui ! Chez nous, Dieu est partout présent, sauf là où il le faut, c'est-à-dire, dans nos «moua3amalat» avec tout le sens que ce mot désigne, allant des relations anodines et quotidiennes entre individus, aux transactions les plus spéciales.

Avant, nous comptions plus des bars que de mosquées, cependant les gens étaient plus gais, moins violents, plus sérieux, plus généreux et surtout, plus éduqués qu'aujourd'hui. Présentement, et avec une mosquée par quartier, on vit un calvaire : violence urbaine, vol, viol d'enfants, saletés à vue d'œil, tristesse, stress et marasme social. Même les mosquées ne sont pas épargnées par les actions de vandalisme, le vol, la violence et les saletés. Loin de moi de faire endosser ces fléaux à la mosquée ou à la religion, cependant, je reproche à ces structures d'être absentes là où la société les interpelle vraiment, sur les grands sujets comme l'environnement, l'hygiène, la violence urbaine, la corruption et la rigueur dans l'exercice des fonctions publiques, etc. Apparemment, la priorité des prêches religieux dans nos mosquées n'est pas celle que la société attend sur sa soif, en matière de promotion de la citoyenneté. Dans nos mosquées on parle de tout et de rien, sauf du bien-être du citoyen ou comment les Algériens doivent vivre ensemble sans salir, détruire leur environnement immédiat ou piétiner la vie privée et le droit d'autrui.

C'est un constat amer, qui prouve que le problème et sa solution, aussi bien que la morale, se trouve ailleurs que dans la seule religion. En fait, c'est un problème composite, l'éducation défaillante, en a une part, la famille qui a complètement désisté son rôle a sa part, l'école dénaturalisée qui fait tout sauf ce pour quoi elle est pensée, la préparation des citoyens de demain en a une autre.

Il est vrai que notre société souffre d'une maladie chronique due, à cette forme de religiosité asphyxiante qui prime le dogme sur la foi et la superficialité sur la spiritualité. Elle envahit inexorablement les esprits, l'espace publique y compris certains aspects d'expressions d'un politique complaisant. Touchant les émotions des crédules, elle sert d'alibi à de moult écarts de la raison. Cette forme de religiosité qui, depuis fort longtemps déjà, nous fige dans le temps tel un mammouth piégé dans les glaces, nous a été fatale.

Quelque chose ne fonctionne pas bien dans notre schéma mental collectif. Quelque chose ne tourne pas rond dans notre façon de voir et concevoir le monde qui nous entoure. Notre Vision du Monde est terriblement altérée par cette forme de religiosité hypocrite qui inhibe l'esprit, paralyse la réflexion et qui tire son origine de quelque chose de plus profond encore :

La culture au sens large du terme, les modèles familiaux et sociétaux proposés à nos enfants : «Hada Insan fih el kheir ! Yessali, Hadj bit Rabi», c'est un type bien, il observe sa prière ou il a fait le pèlerinage à La Mecque. On entend souvent dire cela, comme si la prière et le pèlerinage, étaient devenus une condition Sine qua non de rectitude et pouvaient faire, à elles seules, d'un énergumène psychopathe, un honnête citoyen, respectueux des lois et d'autrui !

En confinant la morale à la seule religion, qui plus est, dans ses expressions les plus exhibitionnistes, ostentatoires et hypocrites, certains essayent de nous imposer leur «Cité de dieu», conçue dans leurs petites têtes, en lieu et place de la «Cité des hommes» et la modernité. Opposant ainsi,» Laikiya Mouchewaha «à «Lahoutiya moummawaha «, une laïcité diabolisée à une religion «caricaturalisée «, observée que sous des formes folkloriques et fainéantes, plutôt que dans son essence et ses vérités spirituelles profondes, vecteurs de valeurs humaines.

Cette anomalie sociologique, nous incite à ne saisir que ce qui nous arrange de la religion et des lois séculières et de rejeter ce qui est, de nature à nous imposer un quelconque engagement envers l'autre, la société ou en vers l'environnement par exemple, repousser et combattre toute valeur d'effort et de travail. Au lieu d'être un facteur positif dans la société, cet exercice superficiel du culte, nous a confinés dans un espace bizarre, celui de préparer la «akhira», l'au-delà, au détriment de la vie d'ici-bas et les exigences d'une vie saine en collectivité humaine organisée et structurée. Répondre aux vraies questions que pose le développement dans toutes ses dimensions à toutes les composantes culturelles et culturelles du pays, ne semble pas acquérir de l'importance. Rien de ce qui préoccupe le monde réel, tels : l'hygiène, l'environnement ou le respect d'autrui, ne semble pas avoir une importance à nos yeux.

Pour nous, la vie est devenue une antichambre de l'au-delà, où l'on attend sa mort, cet unique spectacle, c'est tout. Dans l'espoir de retrouver après, une vie meilleure que celle-ci. Ce dénigrement de la vie en société, tout en s'accrochant à ses aspects les plus individualistes, les plus matériels, est le mal absolu de notre société. Ce que qui paraît comme une forme de renoncement à la vie et son opulence, n'en est rien en réalité ! Il serait mieux de laisser la religion tranquille dans sa sphère que de la prendre de ce côté qui l'a perverti totalement.

Le maçon jure par Allah que ses prix sont les plus bas, que son travail est le meilleur, pour que tu te rendes compte que tu es face à un travail bâclé et une poche vidée. Le commerçant, fidèle à sa stratégie de «Zouek etbi3a», embellit pour vendre, exhibe sa plus belle marchandise au-devant de l'étalage, mais à l'heure de la pesée, il te sert de la plus mauvaise, celle qui est devant lui, loin de ton regard. Et comme un habile magicien, il la met, illico presto, dans un sac en plastique, la pèse, la noue et te la donne sans droit de regard. «Takafet dagharr bark», la culture de la tromperie.

Un camion se renverse dans une autoroute, les braves conducteurs se bousculent, non pas pour sauver le mec, mais pour ramasser ce qu'ils peuvent de la marchandise «Ela ma edithach ana, yediha wahed akher», si je ne la prends pas, un autre le ferait à ma place, en conformité avec une bien curieuse règle, admise pour norme chez nous, celle de «men Sab hlal», quiconque trouve quelque chose sur son chemin, elle devient sienne. Ce vol qui peut, ne semble scandaliser personne. Le fonctionnaire qui n'honore pas ses horaires de travail et qui n'assume pas ce pour quoi il est rémunéré, et qui en plus, prend des pots de vin et ne touche presque jamais son salaire qui s'accumule dans son compte CCP, etc.

Ainsi, la corruption devient Kahwa «café» ou «Ikramia», un acte de générosité ou cadeau. Le trafic, la malfaçon, la tricherie, les fourberies deviennent «Ekvouzia» une forme d'intelligence. Ces comportements blâmables dans toute religion qui se respecte, surtout la nôtre, mais aussi par les lois séculières, piétinées et interprétées, elle aussi, au gré des envies. Devenus un mode de vie admis par tous, ils sont hissées au rang de valeurs de société. Elles trouvent leur vrai sens dans l'adage populaire qui dit : «A3tihli avait wela te3atihli kari», donnez-le-le moi futé, plutôt que savant ou cultivé (parlant de la progéniture).

Pour s'accaparer un droit qui nous ne revient pas de droit, on fait bouger nos connaissances «Sidi hbibi dellali» puis la connaissance de nos connaissances, que l'on ne connait pas «pour toucher moula da3wetna» celui qui tient la décision. Passer là où les autres ne peuvent pas, qu'ils doivent en faire la demander, attendre leur tour ou un concours, nous rend exceptionnels. Ignorer les critères qui opposent leur veto, outrepasser les lois, devient une forme d'autorité et une marque d'intelligence. Les connaissances permettent d'ouvrir des pistes qu'aucune loi ou morale ne peut l'admettre, sauf cette forme de religiosité pervertie qui leur dit : «Erjel berjel we erjel bellah», Par le soutient des hommes aux hommes, viendrait le soutient de Dieu aux hommes. Une version algérienne de «Un pour tous et Tous pour un», où Dieu y est impliqué bon gré mal gré.

Tout ce beau monde s'en donne à cœur joie à ce sport qui, en plus, cherche à se cacher et se justifier par une connotation faussement religieuse pour réconforter sa conscience. À terme de ce cirque d'immoralité, le mec va à La Mecque, non pas une fois ou deux fois, mais une multitude de fois «yeghssel a3Damo» pour nettoyer ses os, dit-il. Des os rangés par une immoralité qu'aucune eau bénite ne saurait venir à bout, si seulement nous la saurions !

Et la classe intellectuelle, elle où est par rapport à tout cela ? On distingue, deux grandes catégories d'intellectuels : celle qui pense que tous les problèmes de l'Algérie se résument dans la religion et l'exercice collectif du culte et ses expressions publiques qui étouffent la société par son «beaucoup halal et beaucoup haram» (trop de licite et d'illicite). Elle s'en donne à cœur joie à une autoflagellation excessive. Elle s'attaque frontalement à la société et la met à nu. Rien ne semble les plaire dans une société dont ils sont pourtant, l'un des produits du terroir. Sa culture, son culte et ses uses sont pointés du doigt et criés sur tous les toits, sans aucun recul ni retenue et avec beaucoup d'a priori. Moyennant une approche, souvent contre productive, ils proposent leur conception de la vie, perçue comme occidentale.

Exigence de réformes sociales, culturelles et cultuelles, surtout, ils se sentent d'ores et déjà, à l'avant-garde d'une métamorphose qu'ils espèrent venir de tout cœur. Une sorte de Calvin's et de Luther's des temps modernes. Sans plan ni stratégie, ils se heurtent à un mur d'inertie obscurantiste qui résiste à toute démolition. Les critiques acerbes, voire même, les menaces de certains déboussolés et fanatiques à leur encontre, les excitent encore plus, au point de généraliser leur jugement, sans appel, sur l'ensemble de la société. Cette catégorie tente bien que mal, de soumettre la société à un électrochoc pour la réveiller et voir la réalité du monde dans lequel elle évolue. Par ricochet, ce nihilisme leur a permis de décrocher une sorte de notoriété en extra-muros.

Cette approche qui ne se contente pas de noircir un portrait déjà noir, donne un coup dur au moral collectif, habitué aux éloges des années 80 de : «Echa3b el A3dim» et de de «khayra Ouma», ne règle absolument rien. Restreindre les problèmes du pays à la religion, me paraît incorrecte. Bien qu'elle soit omniprésente dans la vie sociale, la religion n'a jamais gouverné ce pays. Notre problème c'est la loi et son application, des lois qui existent et qui doivent cadrer tout, y compris l'exercice du culte, régulariser la vie en société.

Le respect de l'environnement et du vivre ensemble doit être du ressort de la loi et les exigences de la citadine, comme ça se passe, partout ailleurs dans le monde. Là où la loi recule, l'anarchie et l'obscurantisme avance et cette forme de religiosité ignorante de l'esprit même de la religion, trouvera toujours le champ libre pour s'exprimer, outrer la liberté et faire ce que bon lui semble. L'ignorant et l'inculte arrivera à imposer sa manière d'exercer le culte, de réguler et rythmer la vie cultuelle et même culturelle.

Bien que la religion sans culture soit une arme de destruction massive, l'Algérie souffre, à mon sens, de bien d'autres maux, plus terribles encore : le développement loupé, l'identitaire qui se cherche encore et toujours dans le rétroviseur de l'histoire au lieu de regarder de l'avant et bâtir son futur, le politique complaisant, hanté par le maintien de la paix sociale à n'importe quel prix, laisse faire cette forme d'exercice anarchique du culte et cette folklorisation de la religion, l'économique qui, lui aussi, y trouve son compte et bien sûr, le sécuritaire qui a d'autres chats à fouetter avec les menaces qui pèsent sur le pays de partout. La religiosité apparente n'est qu'un facteur perturbateur qui, s'alimentant de l'ignorance, déforme la réalité et fausse, aussi bien le débat que le diagnostique.

En dressant leur société face à un miroir déformant qui renvoie à l'autre une image terriblement caricaturale et distordue, ils n'aident pas à réaliser cette prise de conscience ou à réformer la société pour le bien-être de tous. L'autre ligne d'intellectuelles, plus molle celle-là, essaye de saisir le bâton par son milieu. Elle rayonne dans le constat passif. Sa politique : «ma enjeou3a Edib, ma embekkou Era3i», l'idéal, est de ne pas aller jusqu'à faire pleurer le berger ni affamer le loup. Ces historiens du temps présent nous relatent avec talent avéré, la société : ses absurdités, ses défaillances et ses contradictions, sans rien nous proposer pour y remédier. Une société dont ils sont le produit autant que les premiers d'ailleurs.