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«PRISONS» ET RESISTANCES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Le roseau sentimental. Roman de Hocine Haroun. Tafat Editions, Alger 2017, 500 dinars, 155 pages.



Heureusement, l'auteur l'avoue d'emblée dans son «avertissement» au lecteur. Il lui était très difficile d'écrire «simplement». Il n'a jamais pu le faire et ce dès sa prime scolarité, malgré les conseils de son professeur de français : «Ecrit plus simplement et raconte plutôt les petites histoires vécues dans le village ou écoutées chez les grand-mères près de l'âtre». Pas question ! Entêté comme une mule ! Déjà rebelle ! Au Parti unique qui régnait sur (presque) tout... Même la langue maternelle, «taqbaylit», était interdite. Tout se disait donc en parabole, en symbole. Tout se chantait plutôt ou, rarement, s'écrivait.

A cette époque, il y avait déjà des écrivains et des chanteurs engagés... qui «traçaient aux jeunes réfractaires le sillon de la revendication». Des éveilleurs à la libre expression, que ce soit dans le fond (la révolte) ou dans la forme. Une écriture hachée, métaphorique, symbolique et «un contenu un tantinet surréaliste». Beaucoup même !

Ce qui fait qu'à la moindre inattention, on se perd dans une histoire relevant certes d'une réalité, d'un vécu, mais totalement transportée dans un monde imaginaire. Mais, au fait, la vie n'est-elle pas un mélange de rêves et de réalités, de nuits et de soleils, d'épreuves et de joies, d'amour et de déceptions... ?

L'histoire, celle d'un jeune homme, Yidir, enfant unique, ni frère, ni sœur, ni grand-père, ni grand-mère (morts à sa naissance, ce qui, déjà, est, quelque part, une perte de racines), ni tuteur qui, après une scolarité brillante au primaire dans son village natal, un village reculé en haute montagne de Kabylie, se retrouve «jeté» dans un collège de At Doualla, de la même Kabylie.

Une séparation précoce et inattendue. Un arrachement des racines, du berceau, du terreau d'accueil. Il était le Seul et Unique érudit du village, considéré par l'ensemble des familles du village comme l'Elu... «l'homme par qui la paix arrive/Le bonheur siège/La liberté s'instaure». Surtout qu'en face, il y avait le Parti Unique avec un «Chef», M'hemmed l'égorgeur, l'Amghar, au surnom hérité de la guerre, «régnant sur les vivants comme sur les morts», et détenant le monopole de la commercialisation de la viande. Assisté lui-même de Slimane, lui aussi boucher-égorgeur. Décidemment, chez nous, dans le cloaque politico-économique, les bouchers ont un bel avenir !

Et, entre les deux, il y a Rosina, une belle jeune fille, venue d'on ne sait où, libre de toute attache... qui aime Yidir... mais qui est convoitée par le «Chef».

Le reste, c'est la vie en internat au lycée... la rencontre avec Thileli... «Liberté/Liberté qui cherchait à se libérer». Une autre Rosina. Il y a aussi Tinhinan... Une seule et même personne ? Un seul rêve inabouti mais jamais abandonné. La liberté !

A noter, page 123, un beau passage sur l'«idéologie»... et tous les mots récurrents qui hantent les esprits des villageois, pour les convertir, mais en fait pour les pervertir ... les villageois voulant seulement manger, vivre en paix et vivre libres, «comme avaient vécu les ancêtres, loin de l'idéologie, de la rhétorique et du mensonge». Un rêve éternel... encore inabouti. Hélas ! Et, c'est peut-être tout cela qui donne un texte riche, parfois incompréhensible, qui doit se lire tout en réfléchissant, car tellement porteur d'espoirs, certes modérés... car si Rosina est l'idéal, le héros n'est qu'un roseau... sentimental.

L'auteur : Enseignant de langue française. Plusieurs romans (3) dont «Faty, sa fille Thas et Monsieur Pons» à l'Enag

Extraits : «Depuis que le parti avait investi le village, la méthode traditionnelle d'élection de ce dernier (l'Amin ou l'Amghar, « c'était du pareil au même»), était volontairement dévoyée, bafouée» (p.15), «Le chef suprême du Parti unique jugea que Si M'hend et son double Si Slimane devenaient de plus en plus fous. Il leur fallait bien du repos. Mais au Parti... unique, Parti unique ! on avait plus besoin de fous que d'intellos» (p. 22), «Rien ne se disait ouvertement/ Tout se chuchotait/Tout se négociait sous cape» (p.25), «Qu'ils meurent ces taureaux, ces paysans ! Qu'ils finissent dans l'abattoir ! Peu importe si le village mourait avec eux. Il y avait les autres Si M'hend et Si Slimane... Tinhinan pleurait le sort des vaches» (p. 70)

Avis : Un roman ? Un poème ? Un roman-poème... Difficile à commencer (à lire),mais dès les premières pages parcourues, vous en êtes possédé.

Citations : «Aujourd'hui, le village pleure les vivants qui lui font peur ;ces vivants cupides qui le vident de ses entrailles. Les vivants que j'appelle les morts. Oui, les morts tels qu'ils le méritent» (p. 44), «La vérité était masquée.

La vérité était introuvable. Il faut la chercher même si elle est introuvable» (p. 77), «La lâcheté a fait de l'homme un «être erreur», un parasite qui doit sa vie à la démagogie envers les autres, et cela a créé en lui sa propre subordination» (p. 120), «Me briser plutôt que de ployer, plutôt que de me plier, puisque à force de se plier on finit bien par se briser. Se briser mal» (p. 147), «Quand la mer est pure, nul égout ne peut la brouiller mais quand le cœur est pur, une simple parole blessante peut définitivement le souiller» (p. 149)



L'otage. Roman de Salah Chekirou. Editions El Qobia, Birkhadem/Alger 2017. 1.800 dinars, 351 pages.



Elle... Suzanne Planturier, Suzie pour les amis, une Canadienne de Montréal, infirmière de son état : d'aventure en aventure. Au départ, elle croyait vivre une grande et belle histoire d'amour. Mais, cela ne dura que... cinq années. Son compagnon, un Canadien médecin de son état, Sylvain Beauregard, la quitte pour aller soigner, loin d'elle, très loin, les malades démunis du monde. Dépression... Psy'... Elle se retrouve affectée dans un service de soins palliatifs d'un autre hôpital de Montréal. Elle re-découvre la vie, la vraie vie et, surtout, des raisons de ne pas désespérer, et surtout l'espoir de re-découvrir... l'amour, même s'il est numérique.

Lui, 8.000 km plus loin,... Dahmane, un Algérien de Hassi El Ghella, technicien des télécoms : de peur en peur. Dans un pays qui verse peu à peu dans la violence et sous la coupe (non officielle mais bel et bien présente, tout particulièrement dans les quartiers populaires des villes, les villages et la campagne) des terroristes islamistes.

Les années 90 ! Une guerre civile ne disant pas son nom. La mort qui pourchasse tout le monde. Les massacres collectifs, la lutte anti-terroriste... La quête du «pouvoir»... le pouvoir, l'abîme, le trou noir, le crime, le désastre et la honte...

Pour fuir la peur et la terreur, Hamdane part au Canada. Il rencontre (en fait, il avait déjà établi un lien virtuel -en «tchatchant»- grâce à internet) Suzie et il l'épouse. Cinq années de bonheur, deux enfants et la paix des corps et des esprits. Dieu que le Canada est accueillant !

Puis, comme tout Algérien, ne voilà-t-il pas qu'il a des «envies» d'Algérie... Revoir la maman. D'abord, un séjour -avec femme et enfants- de rêve aux        Andalouses... puis, le départ au village natal.

Le cauchemar va débuter sur le chapeau des roues : Papiers confisqués par les «tangos» du coin... obligation de réparer du matériel de télécommunications... arrêté par les forces de sécurité... enlevé par des terroristes... Cela ne va s'arrêter à ça. Suzanne voulant s'enfuir avec ses enfants est, elle aussi, enlevée par un groupe de terroristes et séparée de ses deux enfants. Moutabaridja à la peau blanche et douce «comme du yaourt», considérée comme butin de guerre» (ghanima harb). Devenue «esclave», comme beaucoup d'autres femmes kidnappées, elle est brutalisée, exploitée, violée par le chef puis livrée aux autres... Aucune limite à la sauvagerie. Au nom d'un Islam d'une autre dimension...

Un jour, elle retrouvera (dans un maquis des monts du Tessala) son époux, lui aussi otage (un otage utile, en tant qu'«ingénieur», spécialiste des télécoms). Ils s'enfuiront. Il périra. Après vingt-cinq mois séquestrée dans le maquis terroriste, elle repartira («extradée» et soupçonnée d'aide aux terroristes, pour avoir «participé» à la mise en place d'une infirmerie) au Québec... mais sans ses enfants, Sajid Jean et Okba Romuald... disparus. Certainement, elle reviendra, un jour, les (re-)chercher. Un autre livre dans une Algérie cette fois-ci réconciliée ? Elle a, de nouveau, beaucoup d'espoir, car... tenez-vous bien, elle s'est convertie à l'Islam... demandant même à son futur (et ex-compagnon) époux, le Canadien bon teint... de se convertir avant. Une drôle de chute, n'est-ce pas ? Syndrome de Stockholm ? Elle ne nous dit pas si elle va porter désormais le djilbab.

A signaler une annexe avec des «Notes et Contexte historique» en fin d'ouvrage. Très riche... Mais notes trop nombreuses et contexte trop fouillé. On s'y perd.

L'auteur : Longtemps journaliste en Algérie, près de 35 ans, résidant actuellement au Canada, écrivain, auteur, déjà, de plusieurs livres en Algérie ; livres publiés aussi à l'étranger, dont «Le grain de sable» traitant de l'assassinat du président Mohamed Boudiaf et «Le Tycoon et l'empire des sables» traitant de l'affaire Khalifa (livre rapidement «épuisé» car «ramassé» par ??? des librairies et des dépôts de distribution). L'auteur était alors directeur de l'édition au sein de la Sn. Anep. Il ne fera pas long feu.

Extraits : «Tout au début de cette effervescence religieuse, il falait l'orienter ou la stopper ; mais le temps avait fait son œuvre et ce fut ainsi que la bêtise incontrôlable s'érigea en intelligence, et la force remplaça l'idée motrice conduisant toute une nation vers un rituel préhistorique au sein duquel les frontières entre le bien et le mal n'étaient pas encore clairement définies» (p. 55), «Il est des particularités dans l'utilisation des klaksons des véhicules chez les conducteurs algériens, bizarres : on se salue à coups de klakson, on fait la fête à coups de klakson, on étale sa vantardise à coups de klakson, on s'insulte à coups de klakson, on drague à coups de klakson, on s'invite, on s'interpelle, on se parle, on communique, on s'avertit à coups de klakson.» (p. 109).

Avis : Long, très long, trop long... et très cher... roman. Une histoire qui se traîne dans des longueurs, parfois avec des digressions souvent inutiles. Il est vrai que l'auteur est un amoureux du détail. Journaliste un jour, journaliste toujours ! Et, l'utilisation de termes (inconnus chez nous) franco-canadiens ne facilitent pas la lecture, obligeant à avoir un dico près de soi... sans être certain de trouver de significations, l'Académie française n'ayant pas encore décidé. Un ouvrage surtout destiné aux Canadiens... Québécois, par le biais des multiples digressions et explications sur le fonctionnement des institutions et de la société algérienne. Et, aux Algériens par le biais des multiples digressions et explications sur le fonctionnement des institutions et de la société canadienne qui, elle aussi, a connu, dans son passé, des moments «pas roses» suite à l'emprise de l'Eglise.

Appel à l'éditeur bien plus qu'à l'auteur : Attention aux «coquilles». Ce n'est pas parce que c'est la langue française qu'il faut la «mal-traiter». Problème de respect des lecteurs... qui payent.

Citations : «Si tu cours après le bonheur, jamais tu ne le rejoindras. Si tu t'assoies pour l'attendre, jamais il n'arrivera. Si tu le cherches, jamais tu ne le trouveras. Va simplement sur ton chemin et au moment où tu t'y attendras le moins, tu rencontreras le bonheur... » (p. 38), «Les Algériens sont devenus des zombies, depuis que le pays s'est embourbé dans cette horrible guerre ! Plus personne ne réagit devant la mort. Plus personne ne se sauve de la mort. C'est plutôt la mort qui pourchasse tout le monde» (p. 181), «Pour quelqu'un qui subissait la torture physique et le diktat de l'oppression, c'était toujours la première gifle qui faisait le plus mal. C'était celle qui rabaissait, qui plongeait dénudé, qui écorchait. Elle éloignait sa victime des proportions de l'estime de soi» (p. 280), «Dans les société en guerre, il n'y avait pas que les faux dévôts, ceux qui guerroient, le dénuement, les privations, les restrictions des libertés, les violations des droits de la personne qui étaient les ennemis avérés de l'humanité ; il y avait aussi les profiteurs qui trouvaient, dans ces situations exceptionnelles, un terreau favorable pour se développer» (p. 319)

PS : Le créneau des romans à l'eau de rose, ou encore la romance, un genre littéraire un peu tabou en Europe depuis plusieurs décennies, et encore plus chez nous d'autant que son importation s'était trouvée grandement réduite, cartonnerait. Les études de marché montrent que tous les profils existent. «À force de lire des classiques, j'avais besoin de me détendre, d'aller au-delà d'un certain snobisme littéraire et j'ai trouvé un espace d'évasion», témoigne une lectrice.

Le créneau cartonne donc. Ainsi, en France, la maison d'édition Harlequin, n°1 du genre, vend 5 millions de livres par an. Si l'univers des auteur(e)s reste très anglo-saxon, les français(es) commencent à prendre de la place, déclarant vouloir «faire passer des messages sur l'évolution de la société et de la femme». A noter que bien des auteur(e)s sont d'illustres inconnu(e)s produisant, bien souvent, une grande quantité de titres sans pour autant se prévaloir du titre d' «écrivain(e)». «C'est un sous-genre qui est décrié, mais il brasse quand même énormément de gens, donc je trouve ça un peu dommage de pointer du doigt ce lectorat», explique une spécialiste.

Nos éditeurs (existants ou à venir) devraient, quand même, tenir compte de cette tendance internationale et arrêter de «mépriser» ce genre. Et nos «critiques» devraient ne pas le décrier ou de l'ignorer. Il faut donc encourager de nouveaux auteurs (en français et en arabe) à écrire des romans «à l'eau de rose». Cela (re-)boosterait, peut-être, le marché de la lecture et du livre... et, surtout, sortir nos jeunes de la déprime sans issue en leur offrant certes du «rêve» mais surtout l'espoir d'un «mieux-être»... grâce... à l'Amour... dans leur pays même.

Il ne faut pas se voiler la face : la chanson a déjà bien réussi dans ce crénaeau. Et on se souvient encore du début des années 90, années de grande liberté dans l'expression et l'information, du succès rencontré par la nouvelle presse... «rose» (qui publiait entre autres énormément de lettres sentimentales de jeunes lectrices et lecteurs)... ce qui a fait la fortune de certains... Aujourd'hui, l'hypocrisie ambiante, sous l'effet d'une religiosité mal assimilée, a créé des freins, mais les problèmes sentimentaux sont partout. «L'eau de rose» est partout présente chez nous... Hélas, nos nez sont bouchés.