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La vacance de M. Hulot : «La République en marche» trébuche...

par Abdelhak Benelhadj

« Achetez de la terre, on n'en fabrique plus. » Mark Twain

« La question fondamentale qu'il faut se poser est :

- Est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions à effets de serre ? La réponse est non !

- Est-ce que nous avons commencé à réduire l'utilisation des pesticides ? La réponse est non !

- Est-ce que nous avons commencé à enrayer l'érosion de la biodiversité ? La réponse est non !

- Est-ce que nous avons commencé à se mettre en situation d'arrêter l'artificialisation des sols ? La réponse est non ! »

« Je vais prendre la décision la plus difficile de ma vie. Je ne veux plus me mentir. (...) Je prends la décision de quitter le gouvernement. Aujourd'hui. »

Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire. France Inter, mardi 28 août 2018, 8h30.

Ce tremblement de terre soudain prend tout le monde politico-médiatique français par surprise. C'est rare dans des milieux spécialisés dans l'art de la mise en scène politique servie ordinairement aux Français. Pour une fois, ce n'est pas eux qui assurent le spectacle. Ce faisant, E. Macron, metteur en scène émérite de la République, en visite à l'étranger, perd le plus populaire de ses ministres, une « prise de guerre » qui lui éclate au visage.

« L'affaire Hulot » ouvre des fenêtres intéressantes sur l'ordre politique contemporain.

1.- Echec de «l'entrée du papillon dans le bocal pour le faire bouger»

Jean-Pierre Chevènement a eu un jour un mot opportun. N. Hulot découvre à son détriment qu'on ne peut agir de manière efficace de l'« intérieur » d'un système politique pour en influencer la direction. D'autres l'avaient découvert il y a longtemps avant lui.

Le Parti Communiste français l'a payé très chèrement en entrant sans précaution suffisante dans le piège de l'« Union de la Gauche » tendu par F. Mitterrand qui l'a affaibli au point que le PC menace de disparaître de l'Assemblée et pas seulement en tant que groupe parlementaire.

Avec duplicité et mauvaise foi, Antony Blair reprenant une antienne à son compte, proposait une « Troisième voie » à ses partenaires continentaux, hostile à l'Atlantisme, y participer pour le changer. Son prédécesseur MacMillan avait fait une proposition similaire à C. de Gaulle.

N. Sarkozy a décidé le retour des forces armées de son pays dans l'OTAN en 2009. Aucun des objectifs affichés (à supposer que le président français y croyait) n'ont été atteints. Aucune contrepartie n'a été concédée par Washington. En revanche, la France supplétive a disparu du paysage diplomatique international et ne participe plus aux tours de table dans la résolution des crises que ce soit en Europe, en Méditerranée, en Afrique ou au Proche-Orient.

Désormais, les présidents français bavardent...

2.- Le mythe de la société civile, politiquement asexuée.

Un acte politique est d'abord un acte d'opposition. Une parole qui dit « non !».

Pour rester dans le dogme libéral, l'opposition est comme les concurrents sur un marché. Tous en reconnaissent la légitimité et la nécessité, mais tous ne songent qu'à s'en débarrasser. D'où une multitude de stratagèmes imaginés pour contourner les principes.

Le pouvoir est toujours tenté de compléter ses armées de fonctionnaires, constitutionnellement neutres et « muets », par une cohorte d'acteurs politiquement asexués. Ce faisant, la société politique est ainsi doublement représentée : par ses élus et par ces acteurs recrutés par le fait du Prince.

L'idée de prendre dans un gouvernement des personnalités occupant des maroquins le plus souvent mineurs (rarement stratégiques : Francis Mer en 2002 puis Thierry Breton en 2005 à Bercy), qui ne sont pas marquées politiquement soit en raison de leur expertise avérée, soit pour leurs actions remarquées dans un domaine « sociétal » particulier, soit pour leur image positive de personnes intègres, morales, éthiques, humanistes... a tenté divers chefs d'Etat.

La Nobel de physique Irène Joliot-Curie dans le gouvernement du Front populaire en 1936, l'alpiniste Maurice Herzog appelé par le général de Gaulle en 1958, la juriste Simone Veil investie par Valéry Giscard d'Estaing en 1974, avec le destin que l'on sait, le médecin Léon Schwartzenberg brièvement apparu dans le gouvernement Rocard en 1988, le géochimiste Claude Allègre dans celui de L. Jospin en 1994... tous ces exemples -et il y en est d'autres- montrent que l'idée n'est pas nouvelle.

Il est rare que la compétence soit le seul paramètre justifiant ces choix. Le recours à ces femmes et ces hommes publiquement affranchis de liens partisans est surtout un moyen de contourner les partis politiques et de minorer leur poids et la pression qu'ils exercent sur l'exécutif.

Cela marche dans un sens mais cela ne marche pas toujours. Ces « électrons libres » sont quelques fois instables et dangereusement immaîtrisables.

L'exemple de L. Schwartzenberg prestement « démissionné » et surtout celui de N. Hulot, au moment où la popularité de E. Macron est au creux de la vague, en témoignent.

3.- « Les visiteurs du soir »

Nicolas Hulot explique qu'un des éléments qui justifient sa démission tient à la présence du lobbyiste Thierry Coste, conseiller politique de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), lors d'une réunion de haut niveau décisionnel lundi à l'Elysée. La présidence annonce la baisse du prix du permis de chasse de 400 à 200 euros à l'issue de cette réunion dans laquelle le lobbyiste des armes de chasse a joué un rôle « décisif ».

« J'ai découvert la présence d'un lobbyiste qui n'était pas invité à cette réunion. » Il « n'avait rien à faire là » explique N. Hulot.

Une « goutte qui a fait déborder le vase » ? Un prétexte ? Une bonne occasion pour quitter un navire menacé de naufrage ? Peu importe.

Le ministre de l'écologie solidaire en profite pour dévoiler des pratiques discrètement soustraites à l'opinion publique en France, jamais évoquées de manière aussi claire et circonstanciée ; les protocoles de décision politiques sous l'influence de puissances occultes.

Il pointe du doigt ces éminences qui murmurent à l'oreille des politiques. Ombres anonymes qui hantent les couloirs des Assemblées et des Cabinets pour peser sur les décisions.

Des usages banals à Washington ou à Bruxelles où les créanciers se rappellent au bon souvenir des politiques dont elles ont financé les campagnes.

« C'est symptomatique de la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir. C'est un problème de démocratie. Qui a le pouvoir ? Qui gouverne ? » s'interroge Hulot. [1]

4.- De la pertinence des partis « vert »

La protection de l'environnement est globalement observée sous deux angles antinomiques.

* Une première approche considère cette question comme trop importante et trop générale pour être « appropriée » par un parti politique. Au même titre que bien des questions sociétales trans-partisanes, la vieillesse, l'éducation des enfants, la sexualité, la maladie, l'évolution technologique, la sécurité, le terrorisme... concernent tous les partis, toute la société et même tous les pays.

A leur manière, tous les partis politiques sont écologiques et intègrent dans leurs problématiques et leurs programmes, à divers degré, une préoccupation pour l'environnement et sa préservation. Toute la question est d'en mesurer et d'en apprécier le niveau d'urgence et l'importance des moyens mis à la disposition des acteurs désignés pour cette tâche. Direction, Secrétariat, Ministère, Ministère d'Etat[2]... selon les cas, exprime cette importance.

* Tout au contraire, une seconde approche - est-ce pourquoi on l'appelle « écologie politique »- pose la question de l'environnement et de la dégradation des supports de la vie sur Terre, comme intimement liée à celle du pillage de la planète et de l'exploitation des hommes par un système prédateur et destructeur des milieux naturels. Ce système ultralibéral génère des richesses et de l'ordre localement, pour une minorité, et appauvrit globalement la majorité des hommes, dans la majorité des pays sans se préoccuper du renouvellement des ressources, indispensable à la perpétuation de la vie.

Ainsi, chaque année qui passe voit croître la dette écologique de l'humanité et se réduire dangereusement et inéluctablement les capacités de régénération des écosystèmes. C'est en cela que consiste le concept du « jour du dépassement ».

Au 1er de cette année, l'humanité a consommé l'ensemble des ressources que la nature peut renouveler en un an et vivra « à crédit » pendant cinq mois. « Il nous faudrait aujourd'hui l'équivalent de 1,7 Terre pour subvenir à nos besoins ».

L'empreinte écologique des hommes, par la faute d'un système déraisonnable, devient mortifère.

Croire qu'il suffirait de mettre au point de nouveaux dispositifs technologiques ou d'ouvrir et internationaliser un marché mondialisé de la pollution, serait pratiquer une fuite en avant sans espoir de succès.

En attendant, la démission de N. Hulot est une bombe qui fait exploser une partie importante du système Macron et constitue une crise majeure pour ceux qui lui ont permis de parvenir à l'Elysée.

C'est d'autant plus préoccupant que sa politique n'a produit aucun résultat significatif. Ni sur le chômage, ni sur l'inflation, le commerce extérieur, l'endettement, l'investissement, le taux de croissance... Tous les voyants demeurent en rouge et rien ne permet d'imaginer que l'équipe en place sera plus performante en ces domaines que les deux quinquennats précédents.

Les gouvernements changent, les promesses se succèdent et les Français toujours déçus.

« La République qui marche » a fait exploser le paysage politique français. L'avantage commence à devenir un handicap. Macron est en train de réussir un tour de force rare : en face de LAREM tous les partis politiques deviennent s'unissent dans leur opposition à un président qui ne les pas ménagés.

Les déconvenues s'accumulent : déjà qualifié de « président des riches », les dernières décisions impopulaires lui valent le second qualificatif de « président contre les pauvres ».

L'« affaire Benalla » pour laquelle la commission du Sénat va reprendre ses audiences, a contraint le président à un silence, une discrétion inhabituelle. Lui le maître des horloges, le prescripteur en chef des ordres du jour, toujours un coup d'avance sur ses adversaires, se trouve pris de court. C'est à lui désormais de courir derrière les événements et d'improviser les répliques.

Le départ de N. Hulot provoque un choc dont il est encore prématuré de mesurer les conséquences. Il est probable que cet événement marquera une étape décisive du quinquennat.

« La mort est une expérience intéressante qu'il faut avoir vécu au moins une fois dans sa vie. » Les Shadoks.

[1] Cf. le film « Miss Sloane ». John Madden, 2016. Ou la série «House of cards».

[2] Il n'y a que deux Ministres d'Etat dans le gouvernement Edouard Philippe : l'Intérieur et la Transition écologique.