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Plaidoirie pour la réhabilitation de la pédiatrie en Algérie (Suite et fin)

par Bouchikhi Nourredine*

La pédiatrie vue par les officiels

Cette vision tronquée de la pédiatrie se retrouve malheureusement même dans la législation de la sécurité sociale et qui constitue une parmi les causes du rejet par la majorité des pédiatres de la convention, puisque les textes stipulent dans le cadre de la prise en charge du tiers payant communément connue sous le vocable de «carte Chiffa» que seuls les enfants de moins de six ans peuvent être exempts d’une lettre d’orientation pour une consultation directe chez le pédiatre donnant la fausse impression qu’au-delà de cet âge (six ans) l’enfant ne relève plus de l’exclusivité de la spécialité pédiatrique ! Et décourageant ainsi les parents à consulter un pédiatre et de là à rater une opportunité de dépistage. De même que certains médicaments dont les indications sont du ressort du pédiatre ne sont remboursables que si le spécialiste adulte les a d’abord prescrits, autant dire pour la réalisation de certaines explorations spécifiques à l’enfant une aberration bien assumée !

La réalité du terrain et les perspectives

Depuis, certaines données ont nettement changé dans le pays. De plus en plus de pédiatres sont formés par nos universités mais en l’absence d’une stratégie globale orientée autour de la prévention et le dépistage qui prend en compte le profil démographique et réalités socioculturelles de la population en particulier pour ce qui est des maladies congénitales, génétiques et métaboliques dans une société où tous les indicateurs plaident pour ce choix : un taux de mariages consanguins encore alarmant, une pyramide d’âge dont la base est constituée de jeunes , un taux de naissances assez élevé TAN (taux d’accroissement naturel :2.15)(6), un taux de fécondité et un nombre de couples en âge de procréer élevés particulièrement boostés par l’amélioration des conditions de vie en terme de logement surtout. Tous ces paramètres font que la pédiatrie doit avoir une place prépondérante dans l’organigramme des spécialités médicales et dans les programmes de prévention et de la stratégie de dépistage au lieu qu’elle reste injustement et contre son gré cloîtrée dans un petit cadre restreint pour s’occuper des petits bobos et ennuis de la petite enfance.

En Algérie, au vu des contraintes financières engendrés par la mise en place d’un tel programme, il serait judicieux de commencer par le dépistage ne serait-ce que d’une ou de deux pathologies les plus fréquentes et les plus accessibles au traitement mais qui sont en même temps les plus pourvoyeuses de handicaps sévères. Les retombées en économie de santé pour la collectivité seront sans commune mesure avec le coût généré par la prise en charge des conséquences gravissimes de ces lourdes pathologies. Tous les pays ayant opté pour ce choix ont abouti à la même conclusion. Un choix sensé qui plaide favorablement pour la mise en route de ces programmes sans délais.

La pédiatrie doit accéder au rôle qui lui revient de droit dans les différents programmes de santé publique ; programme national «Périnatalité» dont la finalité est de réduire le TMI et surtout le programme vaccinal à l’instar de tous les pays du monde d’autant plus qu’on est confronté depuis peu à une situation inhabituelle de «vaccino-phobie» qui n’est pas propre à l’Algérie mais dont les proportions commencent à devenir inquiétantes et dont les raisons ont été abordées dans un précédent article (7) pour ce qui concerne notre pays. Les conséquences en sont la chute du taux de couverture vaccinale et l’émergence d’épidémies, ce qui exige la conjonction de tous les efforts pour en venir à bout. La vaccination est restée longtemps du ressort exclusif des structures publiques. L’existence d’une circulaire qui autorise les pédiatres libéraux à la pratique de la vaccination dans leur cabinets n’a rien changé sur le terrain. Le pédiatre est confronté à l’hostilité de l’administration, au climat de suspicion et à l’absence de mécanismes d’approvisionnement régulier et décentralisé, puisque seul l’Institut Pasteur d’Alger est détendeur du monopole d’importation et de livraison de vaccins contrairement au reste des pays où les vaccins sont disponibles dans les officines sous la présentation de monodoses ; les citoyens peuvent s’en procurer et se faire vacciner par leur médecin qui assume ainsi pleinement son rôle de prévention et de relais aux programmes nationaux.

Les sur-spécialités : une nécessité pour l’essor de la pédiatrie

Les nombreuses maladies chroniques pouvant affecter l’enfant et l’augmentation de leur fréquence en rapport comme précédemment évoqué avec la modification du profil épidémiologique et environnemental et la complexité de leur suivi et traitement comme nous pouvons en citer de façon non exhaustive l’asthme, le diabète, l’obésité, les épilepsies, les maladies métaboliques héréditaires et congénitales et leurs complications, les troubles de la croissance, et la liste n’est pas près d’être close, exigent des compétences aguerries et ceci ne peut se concevoir qu’avec le développement des sur-spécialités pédiatriques et la création de pôles de référence judicieusement répartis à travers le pays surtout pour ce qui est des maladies génétiques qui nécessitent un savoir-faire et des moyens de diagnostic et de prise en charge dédiés avec un équipement de laboratoire spécifique au-delà des moyens du secteur privé et de ses objectifs centrés d’abord sur la rentabilité. Nos concitoyens se déplacent pour réaliser ces examens en Tunisie par exemple et pour les plus chanceux en Europe, en France notamment, sinon pour les plus fortunés ils ont recours à des laboratoires étrangers dans le cadre de la sous-traitance pour réaliser ces analyses ; non seulement cela représente une perte en terme de dépenses et de temps précieux surtout, mais aussi une occasion loupée pour parfaire les connaissances et l’acquisition d’une précieuse expertise par nos spécialistes.

Le développement des sur-spécialités est devenu indispensable du fait des découvertes et connaissances encyclopédiques au-delà des capacités d’un cerveau humain c’est en fait le seul et unique garant pour accroître le niveau de compétences et ceci est valable pour toutes les branches de sciences. Il est bien révolu le temps où une personne pouvait détenir tout le savoir contemporain. Même la spécialité tend de plus en plus à se ramifier au point qu’il devient obligatoire qu’elle soit une affaire d’équipe dont chaque élément s’occupe d’un chapitre. Cette vérité exige la définition d’une stratégie de formation claire et clairvoyante avec l’implication des ministères de la Santé, de l’Enseignement et de la Recherche scientifique ainsi que des sociétés savantes, relais indispensable pour l’élaboration d’objectifs modernes et actualisés de formation. La corporation pédiatrique, consciente de cet état de fait et confrontée à la réalité du terrain sans attendre une hypothétique réaction salvatrice, s’attelle déjà à se former et combler les lacunes mais en l’absence d’une action concertée dans le cadre d’une politique définie où chacun doit assumer un rôle précis prenant en compte la démographie médicale et la répartition des compétences sur le terrain. Chacun agit selon ses possibilités et les opportunités à sa portée. Des laboratoires et sponsors, dont d’ailleurs ce n’est pas le rôle naturel, s’attellent à participer à cet effort de formation surtout pour ce qui est du secteur libéral dont c’est la seule source de financement en dehors de ses propres fonds en l’absence d’une volonté qui intègre ce secteur à une politique globale de formation établie selon une feuille de route définissant clairement des objectifs da santé publique. Même aux structures étatiques l’existence d’un budget consacré à la formation continue sans mécanismes de rétrocontrôle et sans finalité précisément établie n’est alors que dilapidation de deniers publics.

L’occasion se présente là pour saluer certaines initiatives louables de professeurs de la nouvelle génération, encouragés il faut le dire par des universités entreprenantes, qui ont été des pionniers pour montrer le chemin et créer des chaires sous forme de diplôme inter-universitaire (DIU) dans le cadre de jumelage avec des universités étrangères, telle l’université de Tlemcen et le service d’endocrinologie pédiatrique qui ont mis sur pied le DIU de la sur-spécialité (d’endocrinologie pédiatrique) ; beaucoup d’organismes privés ont senti le filon pour proposer aussi des formations à la carte, mais l’absence d’autorité d’évaluation et de certification ne permet pas de juger du sérieux des uns et des autres.

En l’absence d’encouragements et d’incitations, comme par exemple la valorisation des honoraires de la consultation pédiatrique qui prend beaucoup de temps et exige patience et concentration, la pédiatrie est guettée par un autre danger celui de l’abandon par les jeunes médecins de cette spécialité au profit d’autres spécialités plus lucratives et moins astreignantes comme c’est le cas par exemple de ce qui se passe en France où cette spécialité est de plus en plus boudée au regard des nombreux problèmes médico-légaux et de l’ingratitude à laquelle elle se trouve confrontée. Le déficit en couverture pédiatrique a obligé les autorités, vu l’importance de la spécialité et dans l’intérêt de la population et de la nation, à revoir les cotations de l’acte de consultation et même à faire fi des conditions draconiennes d’exercice dans l’Hexagone pour permettre à des médecins hors Communauté européenne dont beaucoup d’Algériens, de venir s’y installer. Ils n’ont pas hésité aussi à aller prospecter dans d’autres pays pour combler ce manque de pédiatres.

Il est donc temps de réhabiliter la pédiatrie dans un pays jeune où tout peut se jouer dans les premiers mois de la vie, c’est un investissement dans le capital santé du pays qui vaut la peine d’y réfléchir et d’y apporter les remèdes qui s’imposent.

*Dr - Pédiatre
Notes:
- [6] ONS (Office national des statistiques)
-[7] Le Quotidien d’Oran : la vaccination une autre manière de l’aborder 09-03-2017