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L'Iran menace à son tour

par Reghis Rabah *

L'escalade de langage entre Hassan Rohani est Trump est montée d'un cran la dernière semaine. Le président américain a violemment répliqué, sur Twitter et en lettres capitales aux avertissements du président iranien Hassan Rohani qui lui demandait de cesser sa politique hostile à l'encontre de Téhéran sous peine de déclencher «la mère de toutes les guerres».

Peu avant, le secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, a réitéré son souhait d'isoler économiquement le pays. Il est allé très loin en appelant le peuple Iranien à se soulever contre le régime des mollahs .Selon la dernière dépêche d'un correspondant de la RFI, l'appel du président iranien lancé le 8 mai 2018 commence à ressouder les liens rompus par les dernières manifestations populaires avec leur gouvernement qui a levé les subventions sur certains produits de première nécessité. En effet, dans une intervention diffusée par la télévision d'Etat, le président iranien Hassan Rohani a appelé à l'unité face aux pressions américaines." Nous allons supporter les difficultés et les pressions, mais nous ne ferons pas de compromis sur notre indépendance, notre liberté et le caractère islamique de notre régime ", a déclaré le président Rohani. Il a affirmé qu'aucun Iranien nationaliste n'acceptera de se plier aux exigences de l'ennemi américain. L'Iranien Lambda, est convaincu que ce que dit Trump tout haut est minutieusement préparé dans les officines Israéliennes pour faire subir à l'Iran le même sort que celui de leur voisin Irakien. Ils soutiennent que Trump n'est qu'un businessman tacticien qui poursuit une démarche de realpolitik pour récolter des voix de son électorat et attirer les sympathies des extrêmes droites dans le monde. Pour eux, la vraie stratégie, ce sont les pays de la région qui la font dans le seul objectif est d'affaiblir l'Iran en tant que puissance gênante comme cela a été le cas jadis pour l'Irak. Donc ils résisteront aux pressions à condition de renvoyer la balle aux Américains par tous les moyens qui se trouvent entre leurs mains. Le détroit d'Ormuz, cette étroite voie maritime positionné à l'extrémité des eaux maritimes du Golfe Persique pourraient en être un. D'abord, les Iraniens ont-ils réellement le pouvoir de le faire ? Quelles en seront les conséquences ? Positives ou négatives, vont-elle faire plier les Etats Unis pour lâcher du lest ?

1- Les Iraniens contrôlent le passage d'Ormuz.

Cette petite ouverture qui lie de nombreux pays producteurs de pétrole aux principaux consommateurs de 63 kilomètres de largeur représente la seule issue maritime qui relie les pays du Golfe Persique à la mer d'Oman ensuite l'océan Indien. Il faut d'emblée préciser que d'un côté comme dans l'autre, il existe plusieurs bases et facilités américaines et françaises. Le détroit est entièrement contrôlé par L'Iran et Oman. Cet endroit stratégique a toujours été un enjeu et un moyen de pression de la Perse. Déjà depuis le début de cette décennie, la présence navale américaine n'a pas cessé d'augmenter dans le Golfe persique. L'Iran s'est promis de prendre le contrôle sur le détroit d'Ormuz et de le fermer à la circulation. Le Hezbollah a donc décidé de mettre la main à la pâte et de livrer ses conseils pour aider l'Iran à se débarrasser facilement de ses ennemis dans la région. C'est aussi l'un des couloirs maritimes les plus stratégiques du monde. Chaque jour 18,5 millions de barils de brut - soit 30 % de la production mondiale - extraits par les pétromonarchies du golfe Arabo -Persique transitent par son rail de sortie pour rallier la mer d'Oman, puis l'océan Indien. L'essentiel de ce pétrole est destiné à la Chine, le Japon, l'Inde, la Corée du Sud, Singapour. Un blocage du détroit d'Ormuz ferait flamber les cours, ce qui entraînerait un tsunami dans l'économie mondiale pour ne pas dire un autre choc pétrolier. Les experts tablent dans le cas où ce scenario se réalise, un prix du baril à 200 dollars. À noter que ce détroit est aussi vital pour le transport de gaz naturel liquéfié (GNL) produit notamment par le Qatar. Pour mettre en place ce blocage, les Iraniens pourraient utiliser des mines maritimes, des sous-marins et des frégates, selon des spécialistes.

Le Corps des gardiens de la Révolution ne dispose en effet pas d'une marine puissante, mais a développé des moyens de combat asymétriques, avec vedettes rapides, batteries de missiles sol-mer portatifs et mines marines. L'Iran avait déjà menacé de bloquer le détroit d'Ormuz en 2011, en plein bras de fer avec les Occidentaux sur le dossier du nucléaire et des sanctions. Mais la menace n'a jamais été exécutée. Le pays avait seulement procédé à des manœuvres navales. Les Américains avaient alors dépêché leur cinquième flotte basée dans le Golfe, à Bahreïn. Aucun incident notable n'avait été signalé et le trafic des navires avait été assuré.

Le détroit avait en revanche été le théâtre d'affrontements lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Les deux pays s'étaient livrés une "guerre des tankers" de 1984 à 1987 au cours de laquelle plus de 600 navires ont été attaqués, touchés par des missiles antinavires et par des mines. Au stade actuel, il n'existe aucun moyen pratique de le contourner en dépit des déclarations des uns et des autres. En effet, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis disposent de pipelines qui peuvent transporter le pétrole en dehors du Golfe persique. Pour l'Arabie Saoudite, il y a la possibilité d'utiliser le pipeline "East-West" dont la capacité totale est de 5 millions de barils par jour et qui permet d'acheminer le pétrole vers la mer rouge. Problème: ce niveau est inférieur aux volumes exportés qui dépassent les 7 mb/j. En 2017, le géant pétrolier saoudien, Saudi Aramco, avait fait part de son souhait d'accroître la capacité de ce pipeline. Les travaux devaient s'achever fin 2018 mais "à ce jour, il y a eu peu de progrès dans l'expansion du pipeline", si l'on se refere au rapport de l'Agence Internationale de l'Energie. Les Émirats arabes unis quant à eux disposent aussi d'un pipeline de 360 kilomètres, capable d'acheminer le pétrole depuis les champs de Habshan (sud-ouest de l'émirat d'Abou Dhabi) au port de Foujeirah (est des Émirats sur le Golfe d'Oman), sans avoir à transiter par le détroit d'Ormuz. Sa capacité est de 1,5 mb/j. Mais "la plupart des options potentielles pour contourner Ormuz ne sont actuellement pas opérationnelles", confirme l'AIE. Un auteur disait que si le Golfe Persique est le cœur énergétique du monde, le détroit d'Ormuz en est l'artère principale. Il vient juste après le détroit de Malacca avec prés de 16 millions de barils par jours. Vient après le cap de Bonne Espérance avec 5,8 millions de barils par jours au même niveau que le canal de Suez

2- L'Iran, veut sauvegarder les acquis économiques.

Du 28 décembre 2017 au 1er janvier 2018, l'Iran a été en proie à des manifestations massives. Contrairement à 2009, la colère de la rue tient davantage à un malaise socio-économique qu'à des revendications purement politiques. La lutte contre la corruption, le rejet du chômage et de l'inflation, sont au cœur de la frustration des manifestants. C'est manifestement sur cette fibre que veut jouer l'administration Trump pour attaquer le régime. Pour le très veulent Mike Pompeo, le régime iranien est dirigé "par quelque chose qui ressemble plus à une mafia qu'à un gouvernement". Il accuse les dirigeants iraniens d'avoir bénéficié de détournements de fonds, de contrats avantageux et d'autres gains mal acquis. Dans ce contexte, les États-Unis n'ont "pas peur" de sanctionner "au plus haut niveau" le régime de Téhéran, a-t-il expliqué. "Les dirigeants du régime, notamment ceux à la tête des Gardiens de la Révolution voire même l'armée d'élite iranienne et de la Force chargée des opérations extérieures doivent payer chèrement pour leurs mauvaises décisions".Pour accentuer la pression sur le régime, Washington va, en plus des sanctions économiques, lancer une chaîne multimédia (télévision, radio, numérique et réseaux sociaux) 24 heures sur 24 en langue farsi, "afin que les Iraniens ordinaires en Iran et à travers le monde sachent que l'Amérique est à leurs côtés".

Alors que l'administration Trump est régulièrement soupçonnée de caresser l'espoir d'un changement de régime en Iran, Mike Pompeo a réaffirmé vouloir uniquement "que le régime change de manière significative son comportement, à la fois à l'intérieur de l'Iran et sur la scène mondiale". "Il reviendra in fine au peuple iranien de choisir ses dirigeants", mais "sous le président Trump, les États-Unis ne resteront pas silencieux", a-t-il prévenu. Pourtant, après quelques années de crise, l'économie iranienne se porte mieux : après une croissance moyenne de 0,8 % entre 2010 et 2015, la croissance du PIB est passée à 3,3 % en 2017 d'après les estimations de Banque Mondiale. La levée partielle des sanctions des Nations Unies et surtout des États-Unis et de l'Union européenne en 2016 a permis à l'économie iranienne de respirer. En proie à de très fortes tensions géopolitiques avec les puissances occidentales et du Golfe, le pays est au cœur des relations diplomatiques et économiques.

L'embargo subi entre 2005 à 2016 a mis à mal le potentiel économique du pays. Aujourd'hui, si l'économie iranienne semble se relever, elle reste vulnérable tant au niveau domestique qu'à l'international. Sur le plan de son importance et sur la base même des rapports de la banque mondiale, l'Iran est la deuxième économie de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord en termes de PIB (412,2 Mds USD en 2016) après l'Arabie Saoudite. Son poids démographique (82 millions d'habitants en 2018), ses ressources (notamment pétrolières et gazières) ainsi que sa situation géographique en font un pays clé de la zone.

En 2015, l'économie iranienne s'est contractée d'environ 2 %, mais s'est nettement redressée en 2017, à 13,4 % selon les estimations de la Banque Mondiale. Si la croissance a ralenti en 2018, elle devrait rester relativement soutenue en 2019 (3,6 % d'après les estimations de la Banque Mondiale). Cependant, cette croissance a été essentiellement portée par le secteur pétrolier.

Sur le premier semestre 2017, la croissance du PIB était de 7,4 %, alors que la croissance du PIB non pétrolier s'élevait à seulement 0,9 %. En effet, après une forte chute en 2012, la production pétrolière a progressivement augmenté depuis la levée partielle des sanctions internationales. Dès mars 2017, la production atteignait son plus haut niveau des sept dernières années (3,8 millions de barils par jour, contre un plafond de 1 million par jour pendant la période des sanctions), tout comme les exportations de pétrole, qui ont atteint 3 millions de barils en 2017, soit leur plus haut niveau depuis la Révolution islamique de 1979. Cet acquis appréciable pourrait être perturbé par le départ massif des investisseurs et surtout une baisse drastique des exportations des hydrocarbures. Les dirigeants confortés par les cinq puissances s'accrochent sur l'accord nucléaire afin d'isoler Trump. Toute la question est tournée vers ce que pourront faire les pays européens et est ce qu'une telle situation n'arrangerait pas les affaires de POUTINE ?

*Consultant, Economiste Pétrolier