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Le chant des sirènes

par M'hammedi Bouzina Med

Un gala de musique Raï empêché à Ouargla, des manifestations à Béchar, Saïda, Tiaret.. pour différents motifs et un activisme redoublé des partis d'obédience islamiste comme le MSP. Une ère et un air déjà vécus. Alors ?

Empêcher la tenue d'un gala de musique Raï pour protester contre des conditions de vie sociale est en soi, et pour le coup, une hérésie tant l'essence même du Raï ( et de toute expression anticonformiste) est «Contestation». Le Raï a été longtemps subversif, clandestin, interdit d'expression par l'ordre établi. L'histoire de la musique jeune a toujours accompagné leur révolte et leur désir de plus de liberté et de justice. Ainsi donc, la manifestation de jeunes de Ouargla contre la tenue d'un gala musical de Kader japonais, chanteur de Raï à sa manière, est une manifestation «contre soi». Est-ce logique, normal ? Au lieu d'utiliser le Raï et la musique jeune en général comme moyen de revendication et de contestation de l'ordre social et politique contre lequel ils se révoltent, les jeunes le contestent et le placent (l'accusent) dans le camp adverse, c'est à dire celui du pouvoir politique qu'ils dénoncent comme l'auteur de leurs malheurs.

Ce nouvel épisode de contestation de Ouargla révèle quelque part qui canalise, manipule et use de la colère légitime des jeunes et des populations fragilisées en général: le courant politique d'obédience islamiste rigoriste, d'inspiration salafiste. Car il a bien fallu un donneur d'ordre pour rallier les jeunes contre la tenue du gala musical en ces temps de précampagne de l'élection présidentielle. Et Ouargla n'est pas la seule ville du sud frappée par des manifestations d'ordre social avec des slogans politiques.

A Béchar, Djelfa ou Saïda des manifestations similaires ont interpelé les pouvoirs publics sur la marginalisation des populations notamment jeunes et pauvres. Et les fortes chaleurs caniculaires de cet été n'expliquent pas à elles seules cette vague de protestations. Elles sont, certes un élément aggravant la tension subie par les gens, mais ne sauraient être la seule explication. La canicule, phénomène naturel, n'a jamais été le moteur de révolution ou de révolte. Auquel cas les gens du désert d'Arabie, du Qatar ou les habitants de Californie aux Usa où les incendies meurtriers sont courants seraient les plus révoltés de la planète. Revenons: interdire un gala musical populaire est une marque déposée bien connue chez nous. Cela ne date pas d'aujourd'hui. L'Algérie a vécu ces interdictions de la musique et de l'expression artistique déjà dans les années 80 et nous savons où cela a mené le pays. Jusqu'aux fêtes familiales, mariages , circoncisions ...où les psalmodies religieuses remplaçaient peu à peu les fêtes d'antan et la joie des familles. L'affaire de Ouargla n'est pas une manifestation isolée. Elle exprime une tendance qui se fait de plus en plus pressante ces derniers temps: le retour au puritanisme de la société par les vagues silencieuses, discrètes et combien efficaces de «l'islamisme politique». D'ailleurs, plus au nord dans la capitale du pays, le parti politique MSP de M. Abderrezak redouble d'efforts ces derniers temps. Le président du MSP s'active dans une tentative de récupération à la fois des contestations sociales, des divisions des autres partis de l'opposition et des disputes entre membres des clans à la périphérie de la présidence de la république. Il y a comme un conjonction hasardeuse ou pas entre la soudain activisme des sectes et groupes de pressions islamistes ça et là dans le pays et le réveil tonitruant du parti MSP de M. Makri. La question ou le problème n'est pas l'activisme des islamistes et leur principal relais officiel qu'est le parti MSP, mais la léthargie, le silence et le sommeil du reste de l'opposition dite démocrate et républicaine. Jusqu'à preuve du contraire le MSP de M. Makri est un parti légal avec des députés, des bureaux régionaux, des militants etc. Et il a tout le droit de bouger, occuper le terrain laisser vide par les autres. Le vide laissé par l'opposition dite démocratique, républicaine est tel que M. Makri ne trouve à négocier qu'avec les partis au pouvoir, principalement le FLN et le RND.

Comble d'une situation politique irrationnelle et déconcertante pour les analystes politiques: Tout en dénonçant le système du pouvoir, le MSP parti de l'opposition tente une stratégie de négociation avec ceux au pouvoir que sont le FLN et le RND. Ces derniers n'en demandaient pas tant de sollicitations en réalité: le MSP replace de fait le FLN et le RND en pole position incontournable pour l'élection présidentielle. Mis ainsi sur la rampe de lancement pour le choix du prochain président, les FLN et le RND ont désormais les cartes en mains pour ramener le MSP à leur stratégie et non l'inverse. Il n'est pas exclu que le MSP de Makri soit gratifié de quelques promesses de postes ministériels et autres avantages sous conditions de son alliance au FLN et RND lors de l'élection du printemps prochain. Il rentrera dans le rang comme avant que ne lui prenne l'idée de devenir le leader de l'opposition pour la conquête du pouvoir. Ce jeu de «course-poursuite» pour la finale de l'élection présidentielle se joue comme dans un série télé, loin des réalités et surtout des appels «au secours» du bon peuple du sud comme du nord, désorienté par les calculs des partis politiques, livré en fin de compte aux appels de sirènes des populistes et islamistes aux aguets comme à Ouargla et ailleurs. Dans cette histoire il y a deux enjeux diamétralement opposés et mis en semble malgré eux: les manifestants à Ouargla et ailleurs dénoncent à juste titre leurs conditions de vie et leur besoin de dignité et de respect, pendant que les «manipulateurs» et stratèges islamistes viennent en appui et mettent dans leur mire de tir le «chanteur Raï». Kader Japonais ou tout autre artiste jeune n'est pas la source des problèmes des jeunes et le chanteur l'a fait savoir en acceptant l'interdiction de son gala.

En revanche, le mouvement intégriste salafiste surfe sur son ?succès» d'avoir capoté l'événement et gagne une carte pour la négociation politique dont n'hésite pas d'en user le MSP de M. Makri et bien d'autres courants obscurantistes. Ce péril islamiste qui guette le pays pèse de plus en plus dans l'équation politique du pays. L'erreur serait de le sous-estimer et de le mettre sur le compte d'un simple coup de soleil de cet été torride et si lourd à supporter en particulier par les plus fragilisés socialement et des pauvres gens. Poussés à bout, ils se jetteront dans les bras au premier qui leur promettra le paradis. A bon entendeur.