Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Sonatrach : la modification de son statut ne change rien à sa gouvernance

par Reghis Rabah*

Certains relais médiatiques affiliés à la cellule communication de Sonatrach ont intentionnellement laissé fuiter une lecture totalement euphorique du décret présidentiel numéro 18-152 du 4 juin 2018 paru sur le Journal officiel numéro 33 du 6 juin 2018 et visait une très légère modification du décret 98-48 du 11 février portant statut de la société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures par abréviation « SONATRACH ».

Rappelons que ce dernier a été signé par le président Liamine Zeroual sur proposition du feu Abdelhak Benhammouda pour doter ce puissant instrument de l'Etat des organes statutaires pour la conduire dans le sens des objectifs que lui tracent son propriétaire et surtout de la verrouiller contre toute convoitise par la règle dite des 3I : inaliénable, insaisissable et incessible. Ainsi lit-on dans ces fuites, que le nouveau PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, vient ainsi d'être conforté par le président de la république dans sa nouvelle vision pour Sonatrach lui donnant ainsi « carte blanche » pour mettre en place son méga projet SH2030. Il lui transfert selon ces abasourdissements le pouvoir d'émettre ou de démettre les membres du conseil d'administration qui était jusqu'à là de la compétence du ministre de l'énergie. Sous entendu qu'il vient d'obtenir les pleins pouvoirs pour certainement faire taire les grognes en interne. Or, ce décret modificatif n'a soufflé aucun mot sur le plan de développement que compte faire le mastodonte et peut être qu'il ne sera même pas mis en œuvre ni aujourd'hui ni demain. Il a seulement validé une situation qui existe déjà et qu'il jugeait temps de la régulariser. L'objectif, lorsqu'on fait une lecture pragmatique, est le renforcement des organes de gestion et surtout le contrôle de l'Etat. Ainsi, dans son article premier il annonce clairement ce qu'il vise modifier dans l'ancien statut à savoir : les articles 10.1, 11.2, 11.5. Que disent ces articles ? L'article 10-1 a renforcé le conseil d'administration par doubler le nombre des membres du comité exécutif en charge des activités de base passant de 4 dans l'ancien statut à 8 dans le nouveau. Il a élargie aussi la compétence des membres en ajoutant des financiers, des business développement et ceux qui pourraient s'occuper de la stratégie. C'est certainement ce dernier terme qui devait être instrumentalisé par l'équipe en place pour laisser entendre que « nous venons d'obtenir la bénédiction de la présidence pour la mise en œuvre des changements stratégiques de Sonatrach », Or c'est complètement contradictoire car le PDG de Sonatrach qui vient de terminer une tournée dans toutes les structures de l'entreprise d'Est en l'Oust en passant par le Sud pour dire que « nous allons passer de la théorie à la pratique ». Cela voudra dire que le projet a été déjà examiné par le conseil d'administration. L'article 11-2, vient aussi de renforcer le contrôle de l'Etat en soumettant même les vices- présidents aux enquêtes d'habilitation pour ne pas donner la possibilité au PDG de nommer qui il veut au poste stratégique à l'exception des cadres dirigeants de niveaux n-2 et plus bas. Quant à l'article 10-5, il enlève tout pouvoir de décision sur la nomination des vices présidents qui resteront comptables de leur bilan directement au propriétaire.

1- L'assemblée Générale reste l'organe suprême des prises de décisions

Le conseil d'administration, présidé par le PDG de Sonatrach a toujours été dominé par un nombre majoritaire des éléments du secteur de l'énergie 4 contre 9 dans l'ancien statut et 4 contre 13 dans la nouvelle modification(0 2 représentants du ministère de l'énergie, 02 de celui des finances, 1 de la banque d'Algérie,2 représenteront les travailleurs du groupe Sonatrach,8 membres du comités exécutif, une personnalité choisie, en raison de sa compétence dans le domaine des hydrocarbures par le ministre de l'énergie, tous sont présidés par le PDG de Sonatrach). Cependant cette majorité s'applique dans des décisions qui relèvent de sa compétence à savoir un examen et une approbation des demandes des titres miniers, les extensions, les concours bancaires et financiers, le reste ne sont que des projets entres autres les projets de création des sociétés à l'étranger et la modification de son statut que seule l'assemblée générale pourra en statuer. Cette assemblée générale, présidée par le ministre de l'énergie est composée du ministre des finances, du gouverneur de la banque d'Algérie, l'autorité chargée de la planification et d'un représentant de la présidence de la république. Le PDG de Sonatrach participe à l'assemblée générale pour l'éclairer sur les dossiers sur lesquels elle devra statuer sans aucune influence particulière. Tout porte à croire que cette dernière modification reste entachée d'une certaine précipitation qui pourrait être une demande expresse du nouveau PDG de Sonatrach. En effet, moins d'un mois après les révélations par les medias d'un conflit interne, notamment avec la responsable de l'exportation du gaz de la direction commercialisation, Ould Kaddour a laissé fuité que le sort de ces cadres est scellé, ce n'est qu'une question de temps et voilà donc la nouvelle modification qui le met en phase avec le ministre de l'énergie sans pour autant changer grand-chose. La modification en question ne fait aucune allusion référentielle au décret 2000-271 du 23 septembre 2000 qui relève les nominations des vices présidents au niveau de la présidence de la république.

2- Sonatrach a toujours dévié des lois de la république

C'est un groupe puissant qui a réussi à surmonter avec succès toutes les contradictions liées aux objectifs politiques qui lui sont assignés. Son rôle de transporteur qui s'est déployé progressivement dans les autres segments de l'activité économique de la nation, sa position d'instrument puisant de pourvoyeur de capitaux pour le développement de l'économie nationale, ces attributions de contrôler un secteur hautement stratégique, sa contribution prédominante au financement des budgets de la défense et de la sécurité nationale, fait de lui un outil puissant de souveraineté nationale qui déroge aux règles de commercialités ordinaires en vigueur en Algérie. Pourtant, Sonatrach depuis sa création est censée être une société commerciale à capitaux publics, alors que sur le terrain, sa gestion n'a jamais été transparente et tout est fait pour qu'elle le soit ainsi. Les organes statutaires : assemblée générale, conseil d'administration exercent un pouvoir mais n'assument aucune responsabilité, même leurs résolutions de fin d'exercices ne sont jamais publiés et portés avec exactitude à la connaissance de l'opinion publique en tant que Société nationale appartenant à l'Etat et donc au peuple. Elle ne fait pas de publicité légale des bilans de fin d'exercices comme le stipule le Code de Commerce. En plus si l'on se réfère à l'article 639 du code du commerce, il ne peut y avoir plus que deux adjoints au PDG alors qu'il en en réalité il y'en 4 : activité amont, transport par canalisation, aval liquéfaction raffinage et celle de la commercialisation sans compter les directeurs exécutifs qui l'assistent dans les prises de décisions. Le secrétaire général et le chef de cabinet font d'elle une institution qui dérogent aux réglés de la commercialité. L'article 640 du code du commerce prévoit une révocation de tous les adjoints de la compétence du conseil d'administration et en aucun cas celle de la présidence. Sa position de mamelle de tous les Algériens justifie peut être que le président de la République nomme le PDG de l'entreprise nationale Sonatrach Spa, mais la logique commerciale légale exige que les vice-présidents et les directeurs généraux adjoints et le reste soient nommés par le PDG en accord avec le ministre de tutelle pour une simple raison qu'il est plus proche sur l'évaluation de compétence et de confiance envers eux, censés être ses collaborateurs directs dans l'activité. Cet imbroglio dans la conduite des affaires d'un aussi grand groupe stratégique fait que le poste de PDG jouait depuis pratiquement sa création le rôle de « shock observer ». C'est toujours le PDG qui saute lorsqu'il ya un problème. Les organes statutaires exercent un pouvoir occulte sans en assumer la moindre responsabilité déversée dans sa totalité sur le premier responsable du groupe qui lui reçoit des instructions d'en haut .Il se trouve justement qu' Ould Kaddour qui a eu dans le passé des déboires dans l'affaire de BRC qui lui ont valu plus de deux ans de prison effectives semble selon toute vraisssemblance décidé de ne pas jouer le rôle de lampiste comme l'ont été certains de ses prédécesseurs. Dans ce cadre, justement, il cherchait par cette légère modification d'avoir beaucoup plus mais en vain, mettre chacun devant ses responsabilités en jouant la transparence et en exerçant une réelle hiérarchie sur ces collaborateurs. Par cette modification, il n'a obtenu que des miettes, mais son offensive pour informer l'opinion publique sur les activités et les perspectives du groupe qu'il gère peuvent sans aucun doute changer les choses. Le grand challenge reste la redynamisation des travailleurs qui ont avec le temps perdu confiance en optant pour l'absence sociale. Le travailleurs du secteur public ne sont pas loin de ceux que de décrit Jean Bothorel (01).Ils sont des citoyens purs. Ils récusent les notions de l'Etat, d'intérêt général, de la morale sociale. Ils sont des travailleurs narcissiques, ne cherchant en permanence dans le travail que le plus grand plaisir personnel possible. Ils préfèrent dés lors le non travail ou le travail facile voire le gain facile à toute contrainte aussi légère soit-elle.

*Consultant, Economiste Pétrolier

Renvoi:

01-Jean Bothorel «Le prince» édition Grasset 1981