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La femme entre rue et cuisine

par Tawfiq Belfadel

La jeune fille Ryma a été agressée par un homme avant l'iftar alors qu'elle exerçait son activité sportive.

Des jours après, des femmes sont sorties pour courir à Alger. Leur but est à la fois de dénoncer cet acte lâche et misogyne et de défendre le droit de la femme à l'espace public. Les cheveux voilés ou découverts, elles hissaient ce slogan : « ma place est partout, pas dans la cuisine ».

Le combat féministe change d'armes selon la géographie et le temps. Dans la Grèce antique, Lysistrata a organisé «une grève de lit » pour pousser les hommes à arrêter la guerre ; idée qui a influencé le film « La source des femmes ». Alia Magda El Mahdy manifestait nue pour dire que le corps de la femme n'est pas un bien public. L'Algérienne à son tour exprime sa colère et son indignation par la course.

Etre dans la rue n'est pas donc un simple geste en Algérie. C'est un symbole du combat pour les droits de la femme parce que l'espace public est une dictature masculine. Un geste pour effacer le cliché ancestral : femme de foyer.

Allons au-delà de l'agression !

L'homme coupable, comme le Barbu qui a vandalisé la fontaine de Setif, réduit la femme à un seul mot : corps. Le corps de la femme est la maladie de l'homme ; il veut le cacher, l'effacer, pour exister. Vis-à-vis de la femme, l'homme cultive une relation de duel pas d'altérité : il veut être au devant, elle par derrière. Exemple : lui dans la rue, elle dans la cuisine. Quand les deux se rencontrent dans le même espace, la guerre des sexes se déclenche parce que l'équation a été violée. « Le déni de l'individu est consubstantiel à l'effacement du corps, véritable curseur de l'évolution des sociétés »(1)

À quelques heures du jogging de solidarité, d'autres femmes font circuler sur les réseaux sociaux des slogans islamistes : « Ma place est dans la cuisine et où veut mon mari ». Ces femmes sont enivrées d'islamisme. Ce courant impose à la femme une soumission au nom de la charia. Autrement dit, pour l'islamisme la femme doit se plier aux ordres de l'homme pour aller au Paradis. Sinon elle est maudite par Allah et son Prophète. Elle doit donc supporter le chômage forcé après des études, les insultes, les crachats, et les gifles du conjoint.

C'est son sort. Celle qui veut être libre, sortir dans la rue, se vêtir comme elle veut, manger des sandwichs, est une femme « débauchée » et son mari n'est qu'un « dayouth » (un efféminé).

Pour officialiser cette définition maladive de la femme, l'islamisme s'appuie sur les fatwas wahhabites et les fausses interprétations des versets et hadiths.

Il ne faut pas confondre Islam et islamisme. Résultat : en Algérie ou dans les pays qui lui ressemblent, le grand ennemi de la femme c'est bel est bien la FEMME islamiste. Celle-ci réduit la féminité à la cuisine et voit la rue comme un péché.

Une scène fictive du célèbre roman « L'Immeuble Yacoubian » d'Alaa El Aswany illustre clairement cette réflexion. La jeune fille déclare à sa maman qu'elle a démissionné parce que l'employeur a la main baladeuse. « Ce taré a ouvert sa braguette », dit-elle. La maman répond froidement : « Tant que c'est pas la tienne, tout va bien ».

En Algérie, il est facile de réviser un acte du Code de la Famille ou de punir les misogynes. Le plus difficile, voire complexe, est d'expliquer le concept d'être une femme aux femmes islamistes.

Alors quand celles-ci cesseront-elles « d'inoculer aux filles, avec le goutte-à-goutte de leur lait, les germes de la soumission et aux petits garçons le venin de la misogynie ?» (Malika Mokeddem, ibid p 36). Quand une femme avance vers ses droits, une autre lui met des bâtons dans la roue.

Enfin, le féminisme algérien a deux combats : définir encore la femme, et lutter pour ses droits. La femme quant à elle est reléguée entre deux mouvements : un féminisme qui mène vers la lumière, et un islamisme qui mène vers les ténèbres. Entre rue et cuisine.