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Passé pas si simple !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

La femme arabe au Maghreb et au Machrek. Entre luttes passées et promesses d'avenir. Etude de Sonia Ramzi Abadir. Enag Editions, Alger 2017 (2e édition, 1ère édition par l'Enal/Alger en 1986), 800 dinars, 260 pages.



La première édition date déjà de trente ans... et pourtant, cette seconde édition reste d'actualité parce que «les préoccupations, les interrogations soulevées alors demeurent». L'auteure avait cru (ou espéré), comme beaucoup d'autres, en étudiant les mouvements arabes au Moyen-Orient et au Maghreb au cours de la deuxième moitié du XXè siècle et l'image de la femme chez de grands écrivains (Naguib Mahfouz, Assia Djebar, Mohammed Dib et bien d'autres) en de grands progrès. Le temps des grande illusions «révolutionaires» !

Bien sûr, des avancées incontestables ont vu le jour en plus de trente ans, mais à quel prix ! D'autant que ces avancées restent fragiles devant l'avancée des «idées infécondes» et la «déferlante» des tentations de régression liées à un retour (bien souvent imposé par la «déferlante» conservatrice, sinon radicale, teintée de religiosité exacerbée) aux valeurs et aux coutumes (?) d'un temps que l'on croyait révolu.

De ce fait, la femme, qui commençait à devenir acteur, sinon principal du moins important, (quantitativement et qualitativement) de la société, est redevenue, peu à peu, par glissement brutal ou «soft», au gré des changements ou des évènements politiques et des bouleversements socio-économiques, dans bien des aires culturelles, la problématique centrale majeure. Une certaine régression puisque certaines «coutumes» se (re-) trouvent «acceptées par les femmes elles-mêmes alors que les mouvements des femmes dans la période étudiée dans la première édition confirmaient, de plus en plus, leurs droits. Voilà qui a entraîné même une certaine «nostalgie» des «dictatures» au niveau des démocrates et des libéraux, déçus par un tel «retour de manivelle».

Il est évident que la lecture de cette édition va fournir des éclairages sociologiques et culturels pouvant mieux contribuer à mesurer l'évolution ou les régressions successives.

Première partie : De l'histoire à la littérature. Ou comment cerner la réalité à partir d'œuvres d'historiens et de sociologues pour suivre le processus d'évolution réelle de la femme arabe... et voir dans quelle mesure la colonisation a participé au blocage des valeurs.

Six romans du Machrek (auteurs : Layla Baalbacki et Naguib Mahfouz) et cinq du Maghreb (auteurs : Assia Djebar, Mohammed Dib, Driss Chraïbi et Rachid Boudjedra) constituent le corpus littéraire.

Deuxième et troisième parties : L'analyse des textes littéraires et la reconstitution de l'image de la femme (d'abord en «millieu traditionnel»... puis en frayant sa voie «vers la majorité») d'après les éléments essentiels (objectifs ou subjectifs) fournis par les écrivains... et l'évaluation objective de la distance séparant l'image trouvée du réel.

Conclusion : «Que les écrivains s'expriment en arabe ou en français, dans les différentes parties du monde arabe, une révolutioon culturelle est à faire»... et elle se fera (en tout cas la littérature y contribue..et, c'est peut-être pour cela qu'elle n'est pas aimée... et l'écrivain, comme le journaliste, est sinon «haï» du moins ignoré ou méprisé. mal-aimé !) : la littérature du monde arabe est, en fait, désormais entraînée dans un processus universel (boosté ces dernières décennies par l'émergence et la domination des TIC) de «libération totale de l'homme contre les castrateurs, et tous les discours qui tendraient à le maintenir dans le sommeil des origines... et la véritable libération de l'homme passe par la femme». Lourde et délicate mission (pour la femme, encore) ! Mission impossible ?

L'auteure : Originaire d'Egypte. Fonctionnaire à l'Unesco, chargée de la promotion de l'héritage culturel (en 1983). Thèse de doctorat soutenue à Paris 3. Pas de biographie-express en 4ème de couverture... et préface non signée. C'est dire le niveau de rigueur de notre édition !

Extraits : «L'écrivain doit se libérer de toute fausse pudeur devant le fait vécu. C'est à lui d'imposer l'innovation et de renouveler les thèmes. Il doit jouer son rôle de critique et d'éveilleur, c'est ainsi qu'il libérera. Dans le cas contraire, il risque de rester tourné sur un passé aliénant» (p. 255).

Très belle couverture.Titre un peu trop long : tout un programme.

Citations : «La modernité devient intolérable lorsqu'elle n'est qu'acculturation» (p. 15), «Les peuples sont avides de modernité, ils attendent de l'écrivain qu'il parle de ce qu'ils n'osent pas dire, de ce qui est leur préoccupation majeure inavouée :le rapport homme-femme» (p. 255), «Il n'existe pas un problème de la femme. Le problème est celui de la femme et de l'homme» (p. 256).



L'Algérie dans le jeu du cinéma français, 1897-1962. Etude de Ali Aid. Enag Editions, Alger 2017, 550 dinars, 260 pages.



De 1911 à 1962, les cinéastes français ont tourné une centaine de films environ en Algérie (voir liste et descriptif en annexe, p. 241)... dont une cinquantaine de production étant des adaptations de romans, de pièces de théâtre, de drames et de biographies.

Globalement, ils ont choisi la glorification directe de la conquête, de ses bienfaits, de ses «apports» à l'Algérie et à ses populations. Le parti pris manifeste «gomme les Algériens» et, dans les meilleurs des cas, les cinéastes (tous ou presque tous) «les utilisent en produits sous-jacents pour des arrières-plans douteux».

Au départ, à l'époque où les techniques cinématographiques étaient rudimentaires (et période durant laquelle les seules salles étaient dans les villes et les quartiers européens et les publics étaient, quasi-totalement, les seuls Français) on a eu droit à des images «tournés» sur le vif sur des sujets en apparence réalistes mais aux reflets «exotiques». En face d'une «mère-patrie» noble et lissée, les autochtones sont saisis en groupes, voilés, dans des rues délabrées au pied de murs fissurés... Ainsi, «L'Appel du Muezzin» est une «véritable caricature animée soumettant son personnage aux lois d'une pesanteur déréglée», installant l'islam «comme un capharnaüm de cultes barbares et insolites». Objectif conscient ou non... soutenir le colonialisme en quête de maintien de la société algérienne... à faire évoluer !

Une parenthèse... celle de la Grande Guerre (14-18)... le système lâchant un peu du lest. Les images parlent de «dévouement». Les comportements racistes sont momentanément mis de côté. La «chair à canon» -les Indochinois, les Maghrébins, les Africains- est «ménagée» et leurs fêtes respectives sont célébrées avec faste et bruit... Tous ces hommes ne sont plus des «sauvages» à libérer, mais des «hommes» venus libérer la République.

Une (petite) parenthèse qui ne va pas durer... Les «anciens combattants», les indigènes issus des colonies sont assez vite renvoyés aux oubliettes. La fin de la guerre redynamise la production cinématographique mais «elle n'éloigne pas pour autant les bobines des voies faussées». L'image des Algériens exploitables revient au galop ; et «les voilà affublés de nouveau de tous les maux de la vie». «Des hommes à histoires, un peuple sans Histoire».

D'ailleurs, à travers toute la production cinématographique, les Algérien(ne)s ne sont que rarement associé(e)s... surtout comme figurant(e)s à la mine patibulaire ou confiné(e)s dans des rôles de serviteurs, de guides, de chauffeurs, de proxénètes et de bandits sans foi ni loi, de gibiers de potence, de sauvages, de barbares, d'épouses asservies, de servantes, de femmes faciles partiellement nues, de prostituées... dans des contrées attardées. Bien sûr, on a eu Mohamed Iguerbouchen (pour la musique de certains films), Tahar Hannache, Himoud Brahimi, Ksentini Ahmed... et d'autres noms qui traversent, tous et toutes, les génériques à grande vitesse. Des places de faire-valoir... comme les décors d'ailleurs, conçus pour la plupart de l'autre côté de la mer, avec des raccords d'extérieurs, comme ceux de la Casbah, filmés à Marseille et à Sète... défigurant ainsi les réalités.

Une telle démarche ne changera pas jusqu'à l'indépendance du pays. On peut même affirmer que cela a été de mal en pis, «l' image (bien lissée) supplantant l'histoire (en vérité tragique)» (comme pour les massacres du 8 mai 1945), l'inimitié (ou la haine ou la rancune... et il n'y a qu'à se référer au fameux article 4 de la fameuse loi du 23 février 2005, évoquant le «rôle positif de la présence française outre-mer»... et attendre octobre 1999 pour que le Parlement français reconnaisse «l'état de guerre en Algérie» dans les années 50... et le film «J'ai huit ans» de Poliakoff et Le Masson, réalisé en 1961 n'a obtenu son visa de diffusion... qu'en 1974) allant de mal en pis au fur et à mesure de la montée en puissance et en actes (à partir de 54) de la résistance et du déclenchement de la guerre de libération nationale. Les récits restent enfermés dans leur histoire, sans se défaire de l'obsession colonialiste. Et, alors que «la guerre fait rage, les images parlent de paix», les conflits n'étant pas abordés ouvertement et l'attachement à la vision colonialiste persistant pernicieusement . «L'Algérien passe du sauvage à le hors-la-loi, de malfaiteur à criminel et de brigand à terroriste». Peu d'exceptions. Il a fallu que des cinéastes (français comme René Vautier dès 49 à sa sortie de l'Idhec -avec un film «Africa 50», tout de suite interdit et projeté publiquement seulement dans les années 90-, Cécile Decugis, Pierre Clément, Yann le Masson et Olga Poliakoff, Jacques Panijel ou algériens comme Djamel Tchanderli et... un peu Jean-Luc Godard avec «Le petit soldat», mettant en scène un déserteur, tourné en en Suisse en 1960 et vite interdit de diffusion en France... ) «prennent le maquis» et filment la réalité parfois en remontant le temps, dévoilant ainsi les abominations du colonialisme. Aujourd'hui encore, en France, le «(beau) temps colonial», à quelques rares exceptions près, reste encore dominant soit au niveau des productions soit au niveau des débats.

Quelques titres dont la seule lecture, à elle seule, annonce un certain contenu, sans parler des premières productions franchement islamophobes et racistes, comme «Le musulman rigolo» en 1897 ou «Le Sorcier arabe», «Vengeance kabyle» (1911), «Visages voilés, âmes closes» (1921), «Sarati le terrible» (1922), «La fille des Pachas» (1926), «L'Esclave blanche» (1927), «Dans l'ombre du harem» (1928), «Le Bled» (1928), «El Guelmouna» (1931), «Ombres sur le Rif» (1932), «Tartarin de Tarascon» (1934), «Légion d'honneur» (1937), «Pépé le Moko» (1937), «Sos Sahara» (1938), «L'Appel du Bled» (1942), «L'Escadron blanc» (1949), «La soif des hommes» (1949), «Au cœur de la Kasbah» (1951), «Sidi Bel Abbès» (1953), «Les Suspects» (1957), «Sergent X» (1959)...

L'auteur : Né en 1954 à Azzefoun. Etudes à l'Ehdss-Cinéma de Paris. Plusieurs études et articles... journaliste reporter.

Extraits : «Les cinéastes, indissociables de l'histoire qui les porte, épousent les contours des situations ambiantes. Ils chargent leurs bobines de préjugés rentables et incitent les consommateurs à ne regarder les choses qu'en surface.

Leur cinéma s'arroge d'entrée le rôle de miroir déformant des réalités visibles et de traducteur des desseins colonialistes» (p. 12), «Que le sujet soit en relation ou non avec l'Algérie, l'éviction de ses fondements sociologiques et de sa réalité accompagne la colonisation au-delà de l'indépendance» (p.67), «La progression du récit situe les Algériens ignorants, têtus et irresponsables.

Menaçants, conservateurs, inaptes au progrès, ils tendent une embuscade à leurs bienfaiteurs et pour ennoblir la culture, l'Européen et la science qu'il met en avant, l'auteur, pétri par les préjugés fixés par ses prédécesseurs, fait de sorte que ces «arriérés» blessent la princesse (commentaire du film «Vénus», 1930)» (p. 97), «L'industrie, l'agriculture et les infrastructures sont filmées et commentées avec passion et ardeur en justification de la colonisation. Le présentateur (d'un film réalisé pour le compte du Gouvernement général en janvier 1949) les expose presque d'un souffle. Les points et les virgules trouvent tout juste l'espace nécessaire au soupir dans son commentaire» (p. 145)

Passionnant. Les vérités sur l'essence du colonialisme -et de ses suppôts- à travers les films coloniaux et l'esprit colonialiste.

Citations : «En Algérie, comme en Métropole, seuls l'exotisme et les rêveries irriguent les écrans» (p. 41) «L'Algérien en tant qu'être n'intéresse pas les cinéastes de la colonisation. L'important est en ce qu'il représente : la peur. Et dans ce que la manière dont il est filmé provoque : le rejet» (p. 50), «La cause commune aux colonisateurs et aux cinéastes exclut l'Algérien de sa terre, de sa maison, de sa cité et de son histoire ; c'est dans l'ordre de la logique colonialiste.

La France tente d'absorber l'Algérie en substituant son histoire à la sienne» (p. 51), «L'Algérie, reliée à la France à coups de sabre, de canon, de lois scélérates et de manipulations extrêmes, est maintenue hors de son histoire» (p. 74)



PS : Il était temps que cela arrive après tant et tant d'années de léthargie, seulement bousculée de temps en temps par des initiatives officielles ou para-officielles, presque toujours de circonstance. Bénie soit donc la crise financière qui a obligé l'Administration en charge de la Culture à revoir à la baisse ses interventions (-15% pour les budgets alloués aux grandes manifestations), et qui pousse les sponsors et autres mécènes à être plus stricts dans la gestion de leurs budgets. Elle a surtout permis la «libération» de plusieurs projets culturels initiés par des individus ou des groupes aux «cheveux courts, parfois à la barbe bien taillée, mais aux idées longues», toujours en faveur de leur association, de leur quartier, de leur cité...

Création de bibliothèques ou de points de lecture, projection de films et débats en faveur des enfants, des jeunes et des familles, festivals de musique, de contes et de théâtre, journées thématiques, concerts, rencontres-débats, édition, prix, salles d'exposition, salles de théâtre... une ébullition à nulle autre pareille. Les mauvaises habitudes politiques et bureaucratiques et les actes d'«interdire», bien qu'encore fortement ancrés chez nos «administrateurs» sont en train de disparaître peu à peu sous la poussée «jeuniste» et libéralo-culturelle. Il est vrai que l'Etat a désormais fort à faire, ailleurs, sur le terrain des TIC et des réseaux sociaux qui baignent, il faut le reconnaître, dans une anarchie certaine. Comme d'ailleurs l'audiovisuel et la publicité.

Il était temps que l'Etat se désengage (cela ne veut aucunement dire «laisser tomber» ou ne plus «réguler» par le biais de cahiers des charges générales ou ne plus «contrôler» les flux financiers) de l'animation proprement dite en se limitant aux très grandes manifestations nationales (qui pourraient d'ailleurs être «externalisées» pour ne plus les laisser entre les mains d'organismes officiels budgétivores gérés par les nouveaux «capitalistes» en col blanc). Il était temps que la société réapprenne à se prendre en charge pour fructifier les aspects culturels qui lui semblent les plus profitables. Il était temps que l'animateur culturel en particulier, l'homme de culture et l'intellectuel en général, revienne au centre de la problématique du développement culturel... pour le plus grand profit des citoyens et des promoteurs (associations ou entreprises privées)... d'abord et avant tout. L'Etat n'a qu'à s'occuper de la collecte des impôts -si impôts il y a- durant cette première étape !

390 revues scientifiques dont 322 relevant des sciences humaines (le reste concerne les domaines des sciences et techniques et sciences de la nature et de la vie, ce qui est bien peu, désolant même) existeraient, selon la Dgrsdt /Mesrs et déjà visibles sur la plateforme «Algerian Scientific Journal Platform», Asjp... Sur un total de 553 revues scientifiques nationales. Il était temps que ce pan de l'Université soit organisé, d'autant que le nombre de revues et éditeurs scientifiques «prédateurs» (modèle auteur-payeur) ont proliféré devant le vide existant, ainsi d'ailleurs que d'autres à l'étranger attirés par un marché porteur car (alors) abandonné. En espérant que les publications éditées (et les comités scientifiques des revues) soient de qualité et se sortent du comportement de copinage.