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Assouvir les divinités des guerres

par Nadia Abdat

Ce début du XXIe siècle sera-t-il celui du bellicisme larvé et généralisé alors que la planète vient de basculer dans une nouvelle ère climatique dont les effets dévastateurs se manifestent d'ores et déjà, donnant lieu à des exodes massifs de populations ?

Aucun continent, aucune partie immergée de ce globe n'est à l'abri, nous préviennent les climatologues. Mais ce qui semble préoccuper le plus les puissants de ce monde, c'est la stabilité financière mondiale chancelante et la préservation du bien-être de 1% qui détient ces avoirs financiers, car la paix en dépendrait, selon les experts autorisés. Le décorum reproduit à l'envi depuis 2007 est déprimant pour les opinions occidentales dont certaines sont désabusées: augmentation inédite de la dette, publique et privée, dans leurs riches pays; une évasion fiscale qui performe comme jamais, une propagation sournoise de la pauvreté et la menace lancinante du terrorisme.

Les récentes études ont révélé que 20% en moyenne de la population à l'intérieur de l'UE vivent pauvrement. Les inégalités sont de plus en plus criardes au sein de leurs sociétés mais s'inquiète-t-on de celles qui frappent pratiquement toutes les couches sociales dans ce qu'on nomme, avec dédain, le reste du monde ? Des populations toujours plus nombreuses tombent dans le dénuement et se retrouvent résignées à un exil forcé. Cette autre partie du monde est culpabilisée pour une démographie dite alarmante au regard de ses très faibles moyens, au grand dam des vieilles nations, infécondes au regard de leurs substantiels moyens. La démographie du Sud est décriée comme une tare, mais, somme toute, cette démographie est toute précaire, car annihilée et inactivée par la recrudescence d'une mortalité qui a pour ingrédients : la famine, les pénuries d'eau, les épidémies, les guerres fratricides et une espérance de vie dégradée. Les pays occidentaux ont proliféré à leur guise, ils ont prospéré en exploitant et en surexploitant les sols et les sous-sols chez eux et ailleurs, polluant l'atmosphère et réduisant numériquement les populations subjuguées au cours des siècles de leur domination. Les conséquences des avancées technologiques qu'ils réalisent frappent durement les peuples du Sud qui, eux, n'ont même pas eu le temps de se relever afin de réunir les conditions et autres moyens leur permettant de remuer la poussière de leurs champs. Après avoir tiré sur leurs ressources épuisables et épuisées, par la force puis par la corruption de leurs élites politiques, ils s'en séparent. Un peu comme l'avouait de Gaulle dans une de ses confidences : « A défaut d'égalité, donnons- leur la liberté ».

Les habitants deviennent peu à peu des migrants

Drôle de séquence historique que la répétition du négoce de l'ébène et de la traite des humains. C'est livraison à domicile aux portes de l'Europe, sans frais de port. Ainsi donc, d'un côté, des citoyens menacés et inquiets, et de l'autre, pas trop loin d'eux, des mutants qu'on appelle migrants. Les migrants sont non seulement catégorisés entre déplacés fuyant les guerres et autres génocides, migrants économiques, appauvris par la pseudo-coopération Nord-Sud et in fine, les migrants écologiques. Ces migrants sont scientifiquement hiérarchisés et mis en concurrence. Cette discrimination est correcte, elle comporte de la diversité. Non, ce n'est pas une prise d'assaut menée par des conquistadors à la recherche d'or à piller, ni une campagne de colonisation pour que prospère l'empire. Que nenni ! Ce ne sont que de frêles et précaires embarcations à bord desquelles s'entassent des fuyards, des embarcations d'un autre âge qui dérivent à mort, au large des paisibles mers. Les ridicules quotas d'absorption des flux migratoires que distribuent les voisins de la rive nord, n'en « régulent », en fait, qu'un très faible débit, acceptable. Il y a, en effet, des ratios de supportabilité qu'il faut respecter ! On confiera cyniquement, aux forces de la mer, l'œuvre de dissoudre ces milliers de corps sans vie des malheureux candidats à la traversée « frauduleuse » des frontières. On ne peut pas prendre toute la misère du monde !

L'ONU estime que d'ici 2050, 250 millions de personnes seront contraintes de s'exiler à cause des bouleversements du climat. L'exode a déjà commencé depuis de nombreuses années, en Asie du Pacifique, avec 42 millions de réfugiés entre 2010 et 2011, 14 millions de déplacés en Afrique entre 2009 et 2015. Et la série continue...

Le continent européen connaît, à son tour, de graves désordres climatiques et aura aussi la surprise de dresser des listes de candidats à l'exil. La direction des fuyards sera sans doute vers le Sud en attendant de concrétiser, mais pour le prochain millénaire, le rêve de peuplement d'une terre amie quelque part, dans une proche galaxie. L'urgence, dit-on, est de conjurer la crise financière qu'on prédit tragique et c'est dans la guerre qu'il faut investir, et si possible, des guerres de religion. La religion, ça passionne, ça divise et ça occupe pour longtemps les foules. A défaut de pouvoir assouvir les Forces de la Nature, on assouvit les divinités de la guerre.