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La réforme des subventions et transferts sociaux

par Ahmed Bouyacoub *

Les pouvoirs publics ont commencé à s'affoler vers la fin de l'année 2015 en constatant les déficits budgétaires grandissant et l'amenuisement des ressources du Fonds de régulation car la moyenne annuelle du baril de pétrole algérien exporté est passée de 100,2 $ en 2014 à 53,1 $ en 2015 pour arriver à 45 $ en 2016(1).

Cet affolement a amené des hauts responsables à incriminer les transferts sociaux comme sources de déséquilibres et ne pas admettre leur responsabilité dans les choix et les erreurs de gouvernance. Ainsi, ils ont avancé une multitude de chiffres (40 milliards de dollars et parfois 27 milliards de dollars) «de subventions» que la société encaisserait «sans contrepartie». Cet affolement est bien visible dans le Rapport de présentation de la loi des finances de 2016 qui présente des données sur des subventions explicites et implicites et qui conclut que «ainsi, le cumul pour l'exercice 2014, des transferts sociaux budgétisés (1 991,3 Mrds DA) et des subventions implicites (2 560,8 Mrds DA) s'est élevé, globalement, à 4 552,1 Mrds DA, représentant 26,5% du PIB de 2014(2)». Ces données introduisent sciemment la confusion dans les notions utilisés et font porter la responsabilité des déséquilibres enregistrés aux bénéficiaires des «subventions», alors que les transferts sociaux sont pratiqués dans tous les pays, et notamment les pays développés, de manière plus importante qu'en Algérie. Enfin, cette question ne fait pratiquement pas l'objet de recherches scientifiques publiées comme dans la base de données ASJP créée par la direction générale de la recherche scientifique regroupant actuellement plus de 231 revues d'économie, de management et de sciences sociales(3). Plusieurs aspects méritent d'être éclairés pour participer à un débat serein sur les subventions.

1. Ne pas confondre subventions et transferts sociaux.

Beaucoup de discours ont été tenus sur les subventions et les transferts sociaux depuis quelques années. Il s'agit de deux notions différentes et regroupant des contenus totalement différents. En Algérie, la notion de subvention est restrictive et regroupe les aides financières accordées par l'Etat au soutien des prix certains biens et services, de manière explicite (budgétisée) et implicite (par des prix administrés).

Les subventions explicites concernent actuellement quatorze produits dont les prix sont administrés comme le pain, les céréales, le sucre, le lait, les huiles alimentaires, l'accès à l'eau, l'électricité et le gaz? Ce type de subventions est budgétisé annuellement.

Les subventions implicites concernent principalement les produits énergétiques, comme les carburants (essences, gasoil?), le gaz (destiné aux centrales électriques pour produire de l'électricité) et le gaz vendu directement aux utilisateurs (industries?) et aux ménages.

Généralement l'OMC (Organisation mondiale du commerce) est hostile à ce dernier type de subventions qui, selon les règles du commerce perturberait la concurrence entre les différents pays.

Par contre, les transferts sociaux concernent toutes les aides accordées par l'Etat, y compris les multiples subventions accordées aux producteurs et aux consommateurs.

Les transferts sociaux se présentent sous des formes différentes et visent à lutter contre les inégalités sociales, à protéger les catégories démunies et faibles et à lutter contre les conditions fragiles de vie, d'habitat et de consommation. L'Union européenne les définit de la manière suivante :

«Les transferts sociaux sont des transferts de ressources (en espèces ou en nature) à caractère non contributif (sans cotisation), financés par des fonds publics, directs, réguliers et prévisibles aux individus ou ménages pauvres ou vulnérables, visant à réduire leurs déficits de consommation alimentaire, à les protéger des chocs (économiques et climatiques notamment), et, dans certains cas, à renforcer leur capacité productive»(4).

2. Les transferts sociaux sont plus importants dans les pays développés.

Les études montrent que les pays développés et notamment ceux qui affichent le niveau de développement humain le plus élevé au monde consacrent une partie très importante de leur richesse à la protection sociale sous des formes différentes d'aides et de prestations concernant les familles, la santé, le chômage, le logement, la retraite, l'invalidité, la scolarité, etc? Ces aides sont budgétisées et concernent différentes catégories sociales vulnérables et fragiles.

D'après les données de la Banque mondiale, les transferts sociaux, dans le monde ont atteint 12,91% (moyenne mondiale) du PIB en 2016.

Comme le montre le tableau que nous avons élaboré à partir des données de la Banque mondiale, la France, l'Allemagne, la Suède, les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège ? sont considérés comme les pays les plus «généreux» à l'égard des couches sociales fragiles(5). Les transferts sociaux se situent entre 20 et 30 % de leurs PIB. Tout comme en Russie et dans de nombreux ex-pays socialistes. Dans d'autres pays, ayant d'autres systèmes de protection sociale (Canada, Espagne?), les taux sont compris entre 12 et 18 % du PIB en 2016.

A l'inverse, les pays les plus pauvres ne consacrent que très peu de ressources à ces transferts sociaux comme le Mali et le Togo dont le pourcentage n'atteint pas les 3 % du PIB en 2016.

En Algérie, on constate, que le taux des transferts sociaux a connu une baisse importante entre 2011 et 2016 passant de 13,26 % à 9,80 % du PIB. Ce dernier taux montre bien que l'Algérie est loin d'être «le modèle» de la générosité à l'égard des plus démunis et des couches fragiles, comme on a tendance à l'affirmer parfois. En 2011, son taux était inférieur à ceux de la Tunisie(6) et de la Turquie. Mais en 2016, malgré les déséquilibres budgétaires, les transferts sociaux sont restés à un niveau très appréciable, presque 10 % du PIB. Pour 2018, l'Etat projette d'arriver à 8,4%(7).

Subventions et transferts sociaux en % du PIB

2011--------2016

Algeria--13,26--9,80(1)

Egypt--12,15--11,25

Tunisia--15,34--n.d

Mali--2,38--2,88

Turkey--15,34--17,30

Sweden--22,64--22,80

France--24,86--26,64

Germany--23,11--22,97

World--11,89--12,91

Calculs effectués par A.Bouyacoub d'après données de la Banque Mondiale, Avril 2018

3.Les transferts sociaux regroupent, en Algérie, six catégories différentes de transferts de ressources budgétisés.

Les transferts non budgétisés (comme les subventions implicites, doivent faire l'objet d'études particulières par groupes de bénéficiaires). Pour le budget révisé de 2017, on constate, que les transferts les plus importants ne concernent pas les soutiens des prix, comme on a tendance à l'affirmer tout le temps. Les enveloppes les plus importantes concernent le logement (différents types d'aides..) et la santé (soins médicaments, ....). Ces deux catégories absorbent plus de 40 % des transferts sociaux en 2017.

Le soutien des prix directs ne représente «que» 15,22 % des transferts, soit 247 milliards de dinars, à peine 3 % de la consommation des ménages en 2017. Les subventions directes aux prix ne représentent donc que 15,22 % des transferts sociaux budgétisés.

Le soutien à la santé et aux retraites concerne le rétablissement des équilibres des caisses par le biais du budget national. Tous ces soutiens sont discutés et avalisés par le parlement lors des débats annuels sur la loi de finances.

Au total, les transferts directs budgétisés ont représenté 14,6 milliards de dollars en 2017. Les subventions implicites restent à identifier par une étude précise concernant les consommations par types de ménage. Des chiffres fantaisistes sont parfois avancés.

Données du Budget de 2017 révisé en milliards de dinars--en %

Soutien à l'habitat--305--18,77

Soutien aux familles--406--24,96

Allocations familiales--42--2,56

Soutien à l'éducation--117--7,18

Soutien au prix du lait, céréales, huile et sucre--182--11,21

Accès à l'électricité, au gaz et à l'eau--65--4,01

Soutien aux retraites--237--14,57

Soutien à la santé--330--20,32

Soutien aux Moudjahidine--198--12,18

Soutien aux démunis, aux handicapés et aux titulaires de faibles revenus?--150--9,21

Total Transferts sociaux en milliards de dinars--1625--100,00

En % du PIB--8,40       

Calculs effectués par A. Bouyacoub, selon Rapport du Ministère des Finances, Alger, décembre 2017

En conclusion, on peut souligner cinq aspects principaux :

1. Les subventions explicites sont connues et font partie des transferts sociaux budgétisés chaque année. Par contre, l'impact de ces subventions et transferts reste inconnu.

2. Les subventions implicites restent inconnues du point de vue de leur importance et de la nature des bénéficiaires. A titre d'exemple, le raisonnement consistant à dire que l'essence sans plomb ne coûte que 35,33 dinars en 2017 et qu'en Europe elle coûte en moyenne 1 euro est un peu court, car il faut tenir compte du système général des prix de chaque pays pour avoir un raisonnement scientifique. Le SMIG en France permet d'acheter 1300 litres d'essence. En Algérie, malgré «la faiblesse» supposée du prix de l'essence (35,33 DA en 2017, soit 0,28 euro), le SNMG ne permet d'acheter que 509,5 litres. Dans quel pays, l'essence sans plomb est-elle la moins chère ? Dans le pays pétrolier ou dans le pays importateur de pétrole ? Sujet difficile même pour des doctorants en économie !

3. Les transferts sociaux incluant les subventions sont importants surtout dans les pays développés et servent à assurer l'équilibre socio-économique et à lutter contre les inégalités et les fragilités sociales. Avec ses 10% du PIB, l'Algérie est loin d'avoir l'un des taux les plus élevés. La question importante qui se pose ne concerne pas le niveau mais la nature des bénéficiaires réels de ces transferts.

4. Enfin, les subventions directes comme les subventions implicites, dans le domaine de la consommation, doivent être étudiées et mieux évaluées pour être orientées vers les ménages qui en ont le plus besoin, avec la mise en place d'un véritable système d'observation et de contrôle. Des chiffres fantaisistes sont avancés en matière de «gaspillage» des produits soutenus. Des études détaillées sont nécessaires et doivent expliciter ce phénomène.

5. La réforme des subventions et des transferts sociaux est nécessaire. Elle ne peut se faire que dans la transparence et nécessite un état des lieux précis. Dans ce sens, des propositions comme celles du Collectif NABNI doivent être prises en charge et discutées.

*Larege, Université Oran 2

Notes

1- Données de la Banque d'Algérie sur la moyenne annuelle du prix du baril exporté.

2- Ministère des finances, Rapport de présentation du projet de la loi des finances 2016, décembre 2015, p.17

3- Asjp-cerist, base de données des articles scientifiques publiés dans les revues nationales, regroupant pour tous les domaines presque 46000 articles dans 388 à ce jour 25 avril 2018.

4- Commission européenne Brussels, Luxembourg, Les transferts sociaux dans la lutte contre la faim par Nicholas Freeland & Cécile Cherrier, Avril 2012, p. 11

5- Ministère de l'emploi et de la solidarité, Etudes et résultats n°5, février 1999, sur Les transferts sociaux en Europe, Paris, 1999

6- La Tunisie avait un taux qui tournait autour de 10% avant 2010. En 2012, elle a affiché le taux de 16,4% du PIB.

7- En 1998, au sortir du PAS (Programme d'Ajustement structurel), l'Algérie affichait exactement le même taux que celui qui est visé en 2018, à savoir le taux de 8,37% du PIB.

8- Ce taux est celui du Rapport du Ministère des Finances présentant la loi de finances 2018.