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Messali Hadj ou l'esprit de résistance

par Amine Bouali*

L'historien et militant de la cause nationale, feu Mohamed Guenanèche, compagnon de route de Messali Hadj, ne se lassait jamais de raconter cette anecdote qui donne un aperçu de l'admirable esprit de résistance qui a animé, sa vie durant, le père du nationalisme algérien.

Alors qu'ils étaient tous les deux emprisonnés au pénitencier de Tazoult (ex-Lambèse) près de Batna, entre mars 1941 et avril 1943, Messali Hadj étonna son camarade de détention en lui demandant un jour s'il ne connaissait pas quelques couplets de haouzi.

Enseignant de langue arabe dans sa prime jeunesse, Guenanèche était rompu à la pratique de la vieille poésie populaire de Tlemcen et répondit par l'affirmative. «A partir de demain, nous allons commencer à chanter afin de garder le moral !», déclara alors Messali.

Le directeur de la prison de Lambèse fut réveillé, dès le lendemain (et pour un certain temps !), par les belles mélopées qui provenaient des cellules du lugubre centre pénitencier et s'empressa de demander à ses subordonnés de bien vérifier si ces ritournelles n'appelaient pas à la sédition.

«Ce ''moûl el-khalya'' (cet homme des ''catastrophes''), je ne l'ai connu que dans les cachots»!, confiait Mohamed Guenanèche, avec sa causticité coutumière, sous laquelle il cachait souvent la grande complicité qui l'unissait à ses frères de lutte. «Messali Hadj impressionnait même ses geôliers. Entre la prison, l'assignation à résidence, la résidence surveillée, il a vécu une trentaine d'années, enfermé». Dans son livre «Une vie partagée avec mon père, Messali Hadj» qu'elle publia en 2013, à Alger, Djanina Messali-Benkalfat, raconte qu'«au parloir de la prison de Lambèse, on voyait mon père arriver traînant ses chaînes aux pieds entravés. Puis devant nous, il s'arrêtait, s'accrochant aux grilles pour supporter les chaînes de ses mains. Ma mère lui attrapait les doigts à travers la grille, elle le regardait fixement et captait son attention en lui donnant des informations sur l'actualité, sur la guerre, sur le parti, sur la famille, les yeux de mon père commençaient à briller au milieu de son visage émacié par la maigreur».

Pour l'avocat Zine El-Abidine Kahaouadji, qui est intervenu lors du colloque de «réhabilitation de Messali Hadj», organisé en mars 2001 à Tlemcen, «Messali a été emprisonné dans des conditions inhumaines mais n'a jamais été rongé par le sentiment d'abattement, il a toujours résisté. Ce personnage hors norme a vécu, de tout temps, dans la précarité, n'a jamais eu de ressources financières stables. Il était issu d'une famille pauvre, n'a possédé aucune maison personnelle, ni en Algérie ni en France. Son unique patrimoine matériel, qu'il léguera à ses enfants, sera un petit lopin de terre d'une superficie de 435 m² environ, situé à Saf Saf, dans les environs de Tlemcen, qu'il a lui-même hérité de son père. Il rédigeait ses discours sur une valise qui lui servait de bureau, une valise qui était le symbole de «l'éternel déplacé» qu'il aura été, une bonne partie de sa vie. Le petit peuple de l'Algérie combattante s'est reconnu en cet homme qu'évitaient, par contre, comme le diable, la petite bourgeoisie naissante et la bourgeoisie alliée aux colons. Ce n'était pas une mince affaire de construire l'idée de l'indépendance à un moment où personne n'y croyait».

Maître Kahaouadji avance une hypothèse originale selon laquelle Messali Hadj aurait souffert de ce que les psychologues appellent le «syndrome du prisonnier». «Cette sorte de distorsion du discernement l'aurait rendu suspicieux envers ses plus proches collaborateurs, en plus du fait que les données qui lui parvenaient, durant ses phases de détention, sur la période pré-révolutionnaire, étaient incomplètes. Tout cela expliquerait sa position (non encore élucidée) au sujet du 1er novembre 1954. Cette hypothèse, en tout cas, permet d'écarter les condamnations sans appel».

*Libraire à Tlemcen