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Pékin renvoie la balle commerciale à Washington

par Akram Belkaïd, Paris

On pourrait appeler ça une escalade progressive et incertaine. Le point de départ, lui, est réel. Les Etats-Unis ont bel et bien décidé d’imposer des taxes à l’importation pour l’acier (25%) et l’aluminium (10%). Mais il faut relever une précision de taille : pour le moment, cela ne concerne ni le Canada, ni le Mexique, ni les membres de l’Union européenne (UE). Seule la Chine est touchée (de même que d’autres pays dont la Corée du Sud et l’Inde) et l’on parle de plus en plus d’une possible guerre commerciale entre Washington et Pékin.

Réplique chinoise

Sans pratiquer de surenchère extrême, les dirigeants chinois ont décidé de ne pas se laisser faire. La Chine a adopté des mesures punitives contre 128 produits américains. Une réponse ferme mais loin d’être brutale. D’un côté, Pékin signifie à l’administration Trump que la réciprocité sera toujours de mise et que toute action protectionniste provoquera une contrepartie. De l’autre, les 128 produits concernés, dont la viande de porc américain, ne sont pas les plus essentiels de la relation commerciale sino-américaine. Pas question, en effet, de s’en prendre aux produits technologiques, aux produits industriels (comme les avions Boeing) ou encore aux produits agricoles (dont le soja, produit essentiel pour les ménages tout comme les éleveurs chinois).

Mais le match est loin d’être terminé. A l’heure où se boucle cette chronique, on est dans l’attente de la décision de Donald Trump d’imposer des sanctions commerciales à la Chine d’un montant attendu de 60 milliards de dollars. La raison est double. D’abord, réagir aux sanctions de Pékin (elles-mêmes provoquées par les sanctions de Washington, faut-il le rappeler). Ensuite, exprimer l’habituel reproche quant aux «pratiques déloyales et non équitables» de la Chine en matière d’exportations à destination du marché américain. Résumons : Trump a le droit de surtaxer les produits chinois mais si Pékin en fait de même (en réponse), cela amènera nécessairement de nouvelles sanctions. Et ainsi de suite ?

C’est ce que craignent nombre d’observateurs. Pour eux, l’hôte de la Maison-Blanche est décidé à faire de la Chine le principal adversaire économique de son pays. Si les retombées électorales de cette stratégie sont évidentes (nous sommes à quelques mois des élections de mi-mandat), cette stratégie interroge. En premier lieu, parce que les Etats-Unis ont bien plus besoin de la Chine que l’inverse. Le mode de vie américain, le boom économique, le pouvoir d’achat des ménages mais aussi la capacité d’endettement de l’Amérique pour, entre autres, combler ses déficits, dépendent d’une relation normalisée avec l’empire du Milieu. C’est une évidence, Trump joue avec le feu et cela inquiète nombre de ses soutiens au sein même du parti républicain.

Risque géopolitique

En second lieu, l’Amérique a aussi besoin de la Chine sur le plan géopolitique. Dans un contexte marqué par un raidissement des relations russo-américaines, Washington ne peut se permettre de se mettre à dos Pékin. Cela vaut notamment pour le dossier du nucléaire nord-coréen. Aucun progrès ne pourra être réalisé dans les tentatives de normalisation entre Donald Trump et Kim Jong Un si Xi Jinping ne joue pas le rôle à la fois de modérateur mais aussi de «honest broker», d’intermédiaire qui pèsera de tout le poids de son pays pour convaincre Pyongyang d’opter pour la détente. Les batailles commerciales vont souvent de pair avec des batailles politiques. Le président américain entend certes affirmer le leadership global de son pays mais cela au risque de se fâcher avec ce qui demeure un partenaire incontournable, tant sur le plan économique que géopolitique.