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Les Néo-Zélandais sont des crétins

par Abdelhak Benelhadj

Tout le monde cherche et trouve des espions russes, sauf eux.

La saison de la chasse au Russe est désormais ouverte. On tire à vue. Les Occidentaux voient de l'espion partout. Tout cela ressemble à des épisodes peu glorieux de la grande et illustre Amérique de McCarthy, de la chasse aux sorcières, de la « Liste noire », de l'espionnite maladive...

Plus d'une centaine de diplomates a été expulsée des principaux pays qui gravitent autour de « l'hyper puissance » nord-américaine de là où on donne le « la », de là où on coordonne un mouvement d'ensemble terriblement dangereux qui pourrait menacer la paix du monde. Un emballement qui n'est pas seulement rhétorique, seulement destiné à tester les intentions et les résistances. Il est là aussi pour pousser à la faute, au flambage, à la disruption, à la rupture des organes internes de l'adversaire. Un jeu morbide à celui qui tiendra le plus longtemps possible.

Pourtant, tout ne tourne pas exactement comme prévu.

C'est passé inaperçu, mais tous les pays ne se sont pas alignés comme des gentils petits soldats obéissants derrière le donneur d'ordres qui gesticule à partir du Sénat ou de la Maison Blanche, peu importe (on devine le jeu de rôles et ses partitions distribuées par des think tank et des spins doctor aux manettes, derrière les rideaux, côté cour et côté jardin).

Un tout petit pays insulaire, un petit village d'Astérix de moins de 5 millions d'habitants, inconnu de la plupart des hommes qui peuplent la planète, qui orbite dans le Pacifique sud, à des milliers de kilomètres par-delà la mer de Tasman et le quarantième parallèle sud, a osé faire différence.

Et cela dans une posture et un langage en totale rupture avec le bavardage ordinaire, convenu, codifié, rabâché, martelé, une lexicologie et une technique que, sur ce versant-ci du monde, la « novlangue » orwellienne d'Océania n'aurait sûrement pas reniée.

La Nouvelle-Zélande a assuré ce mardi 27 mars qu'elle aimerait bien expulser des espions russes dans le cadre des représailles coordonnées du camp occidental à l'empoisonnement d'un ex-espion russe au Royaume-Uni. Le problème est qu'elle n'en avait pas sous la main.

« Nous avons mené des vérifications en Nouvelle-Zélande. Nous n'avons pas ici d'agents du renseignement russe non déclarés. Si nous en avions, nous les expulserions », a déclaré à la radio publique la Première ministre Jacinda Ardern. (AFP le mardi 27/03/2018) [1]

Les New zélandais expriment leur chaleureuse et affectueuse solidarité avec les Britanniques mais expulser les méchants espions russes, point. Tout simplement parce qu'ils déclarent ne pas en avoir « détectés ».

Comment est-il possible d'être idiot à ce point ?

Personne ailleurs n'a démasqué d'espions russes nulle part. Chercher, trouver pour expulser des espions russes n'a jamais été le but de cette opération. Là n'est pas la question.

La question est qu'il faut expulser des Russes et les taxer d'espions avec ou sans preuves. Tous les médias (démocratiquement libres d'expression, cela coule de source) accompagnent cette opération avec zèle, unanimisme et professionnalisme. Il faut juste le faire. Choisir le nombre et les noms. Même les Belges ont réussi à en trouver un.

Par exemple, les Américains ont décidé la fermeture du consulat russe de Seattle parce que qu'il se situe à proximité de bases navales sensibles et des usines Boeing.

Mais ça ils le savaient depuis longtemps. Il fallait juste trouver un prétexte pour expulser des Russes. Qu'ils soient des espions (ils le sont peut-être) ou pas là n'est pas la question.

Au reste, les Britanniques n'ont produit aucune preuve incriminant les Russe dans l'empoisonnement de l'ex-espion russe retourné et de sa fille.[2]

Il est même possible qu'il n'y ait jamais eu d'empoisonnement.

Des prétextes comme ça ils en sortent depuis plus d'une décennie pour justifier leurs sanctions contre la Russie.

Le vrai problème est l'existence en Russie d'un régime (et aussi d'un peuple qui le soutient) qui refuse de se coucher, qui refuse de laisser le pays pillé par des prédateurs et des vautours ainsi que la présidence de B. Eltsine[3] l'avait laissé entrevoir , et même plus que cela.

Cela ne veut pas dire que V. Poutine et son gouvernement sont des saints.

Cela veut dire qu'un pays qui ne se soumet pas à l'oligarchie économique, financière et militaire transnationale qui domine la planète à partir de l'Alliance transatlantique est une offense et un mauvais exemple.

Vue de Washington, mais aussi de Londres, de Paris... une alliance « eurasiatique » projetée entre l'ancienne zone Mark, la Russie et la Chine, dans une sorte de rétablissement de la route de la soie (esquissée par la ligne de chemin de fer Duisbourg-Moscou-Chongqing prolongé jusque-là Lyon en 2016), ne doit sous aucun prétexte avoir la moindre chance de voir le jour.[4]

Précisément parce que l'un des principaux flux commerciaux mondiaux se déroberait alors au contrôle exercé par les Etats-Unis dans l'Océan Indien, la Mer Rouge et la Méditerranée.

Pour mieux mesurer l'importance stratégique de ces projets, on peut y ajouter une autre « route de la soie » passant par l'arctique, donnant naissance à un « passage du nord-ouest » jusque-là labyrinthique et mythique voie de passage entre Atlantique et Pacifique.

Grâce aux brise-glaces russes et au réchauffement climatique, diminuant les contraintes logistiques et sécuritaires, sa réalisation est devenue envisageable.

On comprend en ces circonstances l'irritation occidentale devant la naissance d'une nouvelle géo économie qui relativise et limite les capacités de nuisance des forces américaines dans cette très vaste région du monde.[5]

Après son opposition à la guerre en Irak en 2003[6], la France de J. Chirac était favorable à une telle idée. Mais celle-ci fut étouffée dans l'œuf, dès l'arrivée en 2007 à l'Elysée de N. Sarkozy qui fit placer les forces armées françaises sous commandement de l'OTAN, c'est-à-dire aux ordres de Washington.

C'est la même oligarchie qui veut que l'Algérie révise sa règle des 51/49 pour mettre la main sur les richesses naturelles du pays. C'est pourquoi de nombreux supplétifs dûment patentés activent dans les coulisses pour faire aboutir ce projet (ancien) en révisant les lois sur les hydrocarbures devant à terme aboutir à la privatisation des entreprises nationales déjà largement ouvertes au capital intérieur, en association avec l'étranger.

Ce qui est en jeu c'est la mise au pas des indociles et des rebelles.

Naguère Cuba était dans la même situation. Son embargo abominablement scandaleux depuis le début des années soixante n'est pas justifié par ce que réellement et objectivement représente Cuba. Le problème est que cette petite île des Caraïbes résiste à l'Empire et représente ce que les transnationales ne voulaient à aucun voir se généraliser en Amérique Latine et dans le monde, bousculant des rentes de situation et des rapports d'intérêts d'une extrême minorité.

Des embargos semblables sont ourdis contre des pays comme le Venezuela, la Bolivie, l'Equateur ou le Nicaragua. Des pays comme le Brésil, l'Argentine ou le Chili ont subi des coups d'Etat soft qui dissimulent une violence similaire à celles des castes militaires par lesquelles pendant des siècles le nord dominait le sud. Des gouvernements qui n'avaient pourtant rien de particulièrement révolutionnaires : ceux de Lula, de Dilma Rousseff, de Kirchner, Michelle Bachelet ou de S. Allende « exécuté » un 11 septembre... 1973).

Tous les conflits et déstabilisations actuels déclenchés par l'Amérique (Ukraine, Proche Orient, Sahel, Amérique Latine) relèvent peu ou prou de la même problématique : mêmes causes, mêmes auteurs, mêmes conséquences...

Des cartons on ressort les plans imaginés dans les années 1960 de guerres limitées, « propres », rapides, « chirurgicales »... pour subvertir le camp d'en-face avec un minimum de dégâts et de victimes.

Ça, c'est de la science fiction pour adolescents attardés.

Il n'y a pas de guerres propres, ni de guerres humanitaires. On voit ce que ce genre de campagnes font depuis plus de 15 ans en Afghanistan et en Irak, comme naguère au Viêt-Nam. La sempiternelle politique de la canonnière qui ne profite qu'à un seul parti : le système militaro-industriel.

Sur plusieurs fronts la guerre est déclarée, y compris sur le plan économique, monétaire et financier. C'est un vœu pieux mais :

* Il est temps que les Etats-Unis mettent de l'ordre dans leur économie, leurs finances et leur commerce.

* Ils ne peuvent imposer une ouverture généralisée des frontières à une concurrence débarrassée de toutes entraves et, « en même temps », ériger unilatéralement des barrières tarifaires et non tarifaires, au mépris des lois internationales auxquelles ils ont formellement souscrites.

* Il n'est plus acceptable que le dollar, monnaie oligarchique entre les mains d'une seule Banque Centrale, a fortiori privée, continue de perturber les échanges internationaux et à recycler l'épargne mondiale pour combler les déficits d'une économie parasite.

* L'Europe devrait se ressaisir et ne devrait plus soutenir une politique contraire à ses valeurs, à ses intérêts, inadaptée à ses contraintes géographiques et ses racines historiques.

Faudrait-il que ce soit un pays du bout du monde qui vienne le lui rappeler ?

La Nouvelle Zélande n'a rien compris, parce qu'elle ne voulait pas « comprendre ».

Le monde serait assurément plus pacifique, plus prospère et moins dangereux s'il était peuplé de nations semblables, gouvernées par des idiots et des naïfs, par ces crétins courageux qui osent offenser les puissants de ce monde en appliquant les règles communes, en respectant les traités et qui ont un égard élémentaire pour le bons sens et la raison.

Notes :

[1] Pourtant, la Nouvelle-Zélande appartient au club très fermé des « Five Eyes », alliance rassemblant autour des Etats-Unis ses services de renseignement et ceux de la Grande-Bretagne, du Canada et de l'Australie. Cela après le retrait depuis les années 1980 de Wellington de l'ANZUS (Australia, New Zealand, United States Security Treaty), pacte équivalent de l'OTAN dans le Pacifique sud conclu en septembre 1951, dérivé de « La Charte de l'Atlantique » signée alors dans le plus grand secret au large de Terre Neuve par Churchill et Roosevelt. À la fin des années 1990, le journaliste néo-zélandais Nicky Hager divulgue l'existence du programme ECHELON; cette révélation déclenche le débat sur la surveillance de masse au Parlement européen et, dans une moindre mesure, au Congrès des États-Unis. Edward Snowden acheva en 2013 de révéler, documents à l'appui, des informations primordiales sur le fonctionnement et les objectifs des « Five Eyes ».

[2] Lire Abdelhak Benelhadj « La Russie accusée d'avoir empoisonné un espion passé à l'« ouest ». « Froide » ou « Chaudes », toutes les guerres sont brûlantes » Le Quotidien d'Oran, 15 mars 2018.

[3] Président de la Fédération de Russie de 1991 à 1999, décédé en 2007, honni par la majorité des Russes, ainsi d'ailleurs que son malheureux prédécesseur, Mikhaïl Gorbatchev.

[4] Lancée en 2011, la ligne est entrée en activité en 2014. Le tracé Duisbourg-Chongqing, baptisé « Yuxinou » lors de sa création est de 11000 km reliant deux des principaux pôles excédentaires de l'économie mondiale. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Allemagne en Asie, et l'Allemagne, le premier de la Chine en Europe.

[5] A préciser que le trafic maritime domine encore 95% des échanges entre ces deux régions.

[6] Guerre à laquelle la Nouvelle Zélande a refusé de participer.