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Macron : les premières difficultés sérieuses

par Pierre Morville

Après 10 « mois de grâce », les ennuis se multiplient pour le président français

En avril 2016 ? il n'y a que deux ans à peine - Emmanuel Macron fonde son propre parti politique, baptisé En marche, et démissionne quatre mois plus tard du gouvernement. Il adopte un positionnement hostile au clivage gauche-droite et un an plus tard, se présente à l'élection présidentielle de 2017. Arrivé en tête du premier tour avec 24,01 % des voix, il remporte, le 7 mai, le second tour, avec 66,10 %, face à la candidate du Front national, Marine Le Pen. Élu à 39 ans, il devient le plus jeune président français de l'histoire et le plus jeune dirigeant du G20. Après les élections législatives de juin 2017, remportées par son parti, il dispose d'une large majorité à l'Assemblée nationale. Il pilote alors un gouvernement composé d'anciens socialistes, de centristes, de responsables provenant de la droite traditionnelle, auxquels s'ajoutent des personnalités de la société civile, sans étiquette politique affichée. Il entame rapidement un programme de réformes d'importance visant à « transformer profondément » la France. La première, la Loi Travail, vise à alléger profondément le Code du Travail. Cette proposition de loi saisit à contre-pied les syndicats mais enchante particulièrement les chefs d'entreprise. Après la réforme du travail, voici celles de l'audiovisuel, de la SNCF, de la carte judiciaire, de l'asile et de l'immigration, des retraites, de la formation professionnelle, de l'assurance chômage, de la fiscalité, de l'apprentissage, du logement social, de l'agriculture et de l'alimentation, « de l'Etat et tant qu'à faire de l'Europe : n'en jetez plus ! Une telle énergie réformatrice finit par donner le tournis », pointait en mars dernier Hervé Gardette, de France Culture.

Tout pourtant semble réussir à ce jeune président, dynamique, décidé, capable d'alliances jugées jusque-là impossible entre différentes sensibilités de vie politique française. Il a même été favorablement accueilli par la communauté politique internationale, notamment en Europe.

Le retour des attentats terroristes

Pendant dix mois d'un galop presque totalement réussi, les premières difficultés sérieuses s'accumulent. « L'état de grâce » ne saurait guère durer cinq ans, le temps du quinquennat. Il semble s'être arrêté en mars 2008.

L'actualité la plus récente a été l'opération meurtrière, le vendredi 23 mars, dans l'Aude au sud de la France, menée par Radouane Lakdim. Avant d'être abattu, le terroriste de 25 ans, déjà condamné pour des faits de petite délinquance, s'est présenté comme un « soldat de l'Etat islamique ». Lakdim était déjà repéré par les services qui suivent le terrorisme depuis 2014, quand il avait été fiché « S » pour « sureté de l'Etat ». Il devait d'ailleurs se rendre à un « entretien administratif », à la fin avril, convoqué par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Est-ce cette nouvelle convocation qui l'a fait basculer dans une opération suicide, notamment par la prise en otage d'un petit supermarché ? Nul ne le sait. Mais il a tué quatre personnes, dont un lieutenant-colonel de la gendarmerie qui s'était présenté sans armes, pour négocier pendant plus de deux heures avec le terroriste. Sans succès. Lakdim a égorgé le militaire avant d'être abattu. Hier, un hommage national et unanime a été rendu à Paris à l'officier Arnaud Beltrame. Ce qui n'a pas empêché dés le lendemain de l'attentat, le lancement d'une vaste polémique, lancée notamment par Marine le Pen du Front national (extrême-droite et Laurent Wauquiez, le nouveau dirigeant du mouvement Les Républicains (droite). Mais les critiques émanent également des rangs du parti macroniste, En marche, puisque l'ancien Premier ministre socialiste, Manuel Valls, qui a rallié Macron, n'a pas ménagé ses critiques. Au menu, l'insuffisance des mesures de précaution et de répression des éléments djihadistes présents en France. Diverses mesures sont proposées par les opposants à Macron : emprisonnement ou affectation permanente à domicile des fichiers « S », expulsion des fichiers « S » étrangers résidant en France, retour à « l'Etat d'urgence »?

Emmanuel Macron s'est pourtant retrouvé vendredi confronté à ce qui semble attendre, inexorablement, tous les responsables politiques successifs au pouvoir : le choc d'un attentat terroriste, la sidération, la douleur, suivis, inévitablement, des polémiques. Même si les propositions faites par l'opposition, s'opposent en de nombreux points à l'état de droit et elles demanderaient également des budgets très importants pour les mener à bien, notamment par un renforcement très importants des effectifs de policiers et de gardiens de prisons dans des prisons à construire, la polémique est essentiellement politique, voire politicienne et vise à capter une opinion publique inquiète : Il faut taper sur le jeune Macron à qui tout réussit trop facilement. Même si la polémique est lacée avec une grande dose de mauvaise foi. Tous les précédents présidents depuis Sarkozy ont connu des attentats djihadistes, sans remonter jusqu'aux attentats de 1986 (rue de Rennes, à Paris) ou de ceux de 1995 organisé par le GIA algérien qui ont fait huit morts, à Paris.

Il est très difficile en effet de sécuriser totalement un territoire notamment quand l'acte terroriste est organisé par un individu isolé ou un tout petit groupe de terroristes non repéré par la police. Ce qui n'empêche pas les progrès réalisée par celle-ci: la police française a fait savoir qu'elle avait démantelé en toute discrétion, une dizaine de préparations d'attentats djihadistes en France dans 18 dernier mois.

Mais une garantie absolue de sécurité est impossible. Si l'opinion publique reste sur un climat « d'union nationale », une répétition d'attentats dans les prochains mois n'empêcherait peut-être pas une remise en cause de l'exécutif, et donc d'Emmanuel Macron. C'est le calcul politicard de l'opposition de droite et d'extrême droite. A l'inverse, Macron serait-il tenté par une politique du « coup de menton » par des mesures autoritaires ? Un durcissement de la politique répressive entrainerait alors immédiatement de vifs débats sur d'autres sujets très sensibles dans la société française, comme la laïcité et la politique d'immigration.

Economie faiblarde, tensions sociales

Le Ministère des Finances a annoncé avec force communiqués, que le déficit budgétaire était après dix ans, enfin passé en dessous de la barre des 3%, la norme fixé par la Communauté européenne pour forcer les états-membres de l'UE à être moins dépensiers.

Les perspectives de croissance s'améliorent aux alentours de +2%. Cela suffira-t-il pour sortir de la grande morosité économique qui affecte autant la France que l'Europe ? La croissance est, certes, de retour, mais de manière si timide qu'elle n'a plus rien à voir avec le passé : 1,8 % en moyenne ces huit dernières années aux États-Unis au lieu de 3,5 % pendant les vingt années précédentes et ceci, sans même tenir compte de la croissance démographique liée à l'immigration. En Europe, c'est pire : il a fallu neuf ans pour que le PIB retrouve son niveau de 2007 (contre six ans outre-Atlantique).

L'année 2018 démarre néanmoins avec quelques bonnes nouvelles : la croissance mondiale s'accélère : elle est passée à 3, 6% en 2017 inaugurant peut-être de meilleurs résultats pour cette année. La zone Euro s'est callée autour de +2%, 2,2% en 2017, 2,1% prévu pour 2018. Mais d'autres indicateurs révèlent une sous-consommation importante en Europe, dû essentiellement à des bas salaires. Le maintien d'une politique d'une main d'œuvre à coût réduit demandée par les entreprises, est obtenue dans les faits par les pressions d'un chômage endémique (en France plus de 6 millions de demandeurs d'emplois, 3,5 millions de « chômeurs reconnus »), et la multiplication des emplois précaires (stagiaires, contrée à durée déterminée, intérimaires?). C'est l'Allemagne qui a connu la plus grosse croissance de ce type d'emplois précaires. Du coup : si le chômage est contenu, (5,7% en février, 9% dans la zone Euro), cela s'accompagne d'une hausse des inégalités. La baisse du chômage en Allemagne s'est accompagnée d'une hausse de l'emploi atypique (temps partiel, CDD). Celui-ci ne représentait que 13 % de l'ensemble des emplois en 1991. En 2015, c'était plus d'un emploi sur cinq (21 %) qui était atypique. Au résultat, Entre 1995 et 2015, alors que les 20 % de salariés allemands les moins bien payés connaissaient une baisse de salaire réel de 7 %, les 30 % de salariés les mieux payés bénéficiaient d'une hausse allant de 8 % à 10 %. Les tendances négatives, à l'exception du bon résultat allemand en matière de chômage, sont les mêmes dans une grande partie de l'Europe.

Bref, sans une relance de la consommation interne, le redressement économique imposé par la crise internationale de 2007/2008, reste fragile et difficile à consolider. Un contexte difficile pour Emmanuel Macron et sa politique de réformes rapides. D'autant que l'agacement des Français devant la politique continue de « rigueur » devient de plus en plus perceptible. Octobre 2008 a vu un réel réveil des mécontentements avec une grande manifestation des retraités (de nouveau plus imposés) et celle de la fonction publique française et des cheminots de la SNCF. Ces derniers bénéficient d'une garantie d'emploi par leur statut, un « privilège » que le gouvernement aimerait bien leur supprimer.

De même, le gouvernement souhaite supprimer 120 000 postes de fonctionnaires qui eux aussi, bénéficient d'un statut protecteur. Mais il faut savoir que les « contractuels », qui travaillent dans la fonction publique, sans statut et donc sans protections, sont en nombre croissant depuis plusieurs années : sur les 5,3 millions de fonctionnaires, il faut ajouter le chiffre de900 000 contractuels pour mesurer les effectifs de la fonction publique.

C'est d'ailleurs dans le secteur public français au sens large que l'on voit s'intensifier la mobilisation sociale tant dans les hôpitaux, les maisons de retraite, les pilotes d'Air France, les éboueurs, les personnels de la fonction publique territoriale (mairies, départements, régions)?

Pour l'instant, le gouvernement français a fait mine de minimiser ces mobilisations qui se multiplient. Cela tient au style Macron : « je suis jeune, je suis intelligent, je suis très compétent, je suis déterminé, je ne peux pas me tromper et je veux réformer vite et profondément la France. Et j'ai raison et vous, les opposants, les syndicalistes, les grévistes, vous vous trompez ».

Pour l'instant, les grèves et conflits se cantonnent essentiellement au secteur public, mais il faut se rappeler que la grande crise sociale de 1995, sous la présidence de jacques Chirac, lors de laquelle le premier ministre de l'époque, Alain Juppé avait du céder à la pression sociale, était déjà menée par une forte grève de la SNCF?

Premier signe d'un petit pas en avant de Macron : jusqu'à présent, le gouvernement ne rencontrait les syndicats que dans une démarche imposée de « concertation « (on vous présente nos projets, et après on papote), dorénavant, le gouvernement accepte des « négociations », qui suppose au moins une égalité, même théorique, des différents négociateurs, ministériels et syndicaux. Un gros progrès.

« J'ordonne » : le style Macron de gouvernance

Macron, dans la plupart de ses réformes, procède par « ordonnances ». Vieille histoire : une ordonnance royale était une loi édictée par la puissance royale, incontestable et applicable dans tout le royaume sous l'Ancien régime en France (et sous les monarchies constitutionnelles au XIXe siècle). Cette prérogative royale a été reprise par la république : une ordonnance est une mesure prise par le gouvernement dans des matières relevant normalement du domaine de la loi. Elle relève d'une procédure législative déléguée, elle prive donc le Parlement de ses prérogatives mais ne peut être appliquée qu'occasionnellement, dans ces circonstances d'urgence particulière. Car la méthode des ordonnances réduit le Parlement à un rôle très ponctuel? le jour où le parlement signe les ordonnances ? et elle cantonne le débat à une discussion très générale : pour ou contre une réforme de la SNCF, pour ou contre modifier le droit du travail? En revanche, pour ce qui est du détail des mesures, tout cela est arbitré dans les ministères, loin de la controverse publique. Macron en a fait pour la plupart des ses réformes, sa méthode permanente de gouvernement. Alors qu'il dispose pourtant d'une majorité confortable à l'Assemblée nationale. Tout un programme !