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RÉVOLTES > RÉVOLUTION > LIBÉRATION (?)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Les insurgés de l'an 1. Marguerite (Aïn Torki), 26 avril 1901. Etude de Christain Phéline. Casbah Editions, Alger, 2012.870 dinars, 270 pages



L'affaire de Margueritte (aujourd'hui Aïn Torki) sur les pentes du Zaccar... une révolte populaire (100 à 200 personnes conduits par un certain Yacoub, appartenant à une famille maraboutique) certes circonscrite à un petit village colonial, mais qui trouve une grande valeur annonciatrice... préfigurant tout ce qui allait se passer jusqu'à la révolte suprême, celle de 54. Elle avait commencé à mettre en lumière, aux yeux des plus conscients des observateurs (si peu nombreux et encore bourrés de préjugés), les pratiques par lesquelles la puissance coloniale, au cours des cinq décennies suivantes, fermera obstinément la voie à toute issue pacifique. Elle a préfiguré les méthodes (dépossession, exploitation, racisme ou mépris...) qui, avec des conséquences irréversibles, allaient se développer à grande échelle à partir des événements de Guelma et de Sétif en 1945... accroître l'«anticolonialisme» et, surtout, développer la conscience nationale.

26 avril 1901. Un petit centre de colonisation (du côté de Hammam Righa... avec sa placette, son église, ses «petits blancs», son garde-champêtre, son institutrice laïque, ses petis colons, son caïd, ses vignobles... et un gros propriétaire terrien détenant à lui seul quelque 1.299 hectares, la plupart acquis par licitation et spoliation... et, tout autour, des tribus réduites à la ruine, à la misère, à l'errance et à la mendicité.

Un soulèvement populaire (des individus «à la recherche d'une mort plus digne qui n'était leur survie»),.. cinq Européens et un tirailleur «indigène» morts (et non 30 ou 50 comme il est rapporté au public). La répression s'abat assez vite sur la région et ses habitants musulmans; ordre est donné «d'amener tous les indigènes de 18 à 60 ans rencontrés». Il y en aura 400.

188 inculpés, 137 incarcérés et renvoyés devant les assises... et des dizaines et des dizaines de victimes (200, selon un article du journal «Turco») des exactions, soit des militaires (tirailleurs, chasseurs et zouaves) organisant des «battues» et des «chasses à l'homme», tuant, brûlant, pillant et violant, soit de colons armés se vengeant à qui mieux mieux.

Un procès en France. Certes, quelques défenseurs. Mais, pas assez pour plaider la révolte politique et un traitement de «prisonniers politiques», les accusés ayant été pris «les armes à la main». Par contre, beaucoup pour accuser le fanatisme religieux. Certes, aucune condamnation à mort mais des travaux forcés à perpète (à Cayenne, en Guyanne, connue pour être «la guillotine sèche») pour 9 dont quatre y trouveront rapidement la mort... y compris Yacoub qui avait été «affecté» aux îles du Salut, un lieu suscitant «l'effroi de tous les bagnards», de lourdes peines allant de 5 à 15 ans.

Et des interdictions de séjour. Peu d'acquittements (81). Encore faudrait-il préciser qu'en cours de route (en plus des séquestres des biens), étant donné les conditions inhumaines de transport (maritime), de détention, de non-prise en charge médicale et psychologique, beaucoup (19 entre avril 1901 et l'ouverture des assises) sont morts de maladie ou de déprime... et même les acquittés, ne connaissant pas le français, dénués de tout, furent abandonnés, à Montpellier, à leur sort en terre inconnue peuplée d'«infidèles». Les interdits de séjour, «rapatriés», seront accueillis par les agents de l'Administration qui les enverront, menottes aux mains, dans le Sud de l'Algérie, au pénitencier. Quant aux «acquittés», il ne leur sera pas permis de revenir auprès de leur famille et seront «interdits» de pénétrer dans le village.

L'auteur: Membre de la cour des comptes (France), ancien coopérant au ministère algérien de l'Agriculture et de la Réforme agraire (fin des années 60), arrière-petit-fils du magistrat colonial qui avait été chargé des premiers constats de l'«Affaire Margueritte».

Extraits: «Sous la pression de l'opinion coloniale, s'était cependant imposée une inculpation massive, en disproportion manifeste avec la réalité des responsabilités individuelles» (p 80), «Trois décennies plus tard, les tenants de l'«école psychiatrique d'Alger» continueront... à invoquer le soulèvement de 1901 à l'appui de leur théorie de «l'impulsivité criminelle de l'indigène algérien», théorie dont Frantz Fanon, le premier, dénoncera le caractère grossièrement raciste» (p 80), «Je ne suis ni voleur, ni assassin, proclame Yacoub (lors du procès). J'avais du bien, on me l'a pris. Je regrette ce qui s'est passé (la mort d'hommes)... mais je ne crains pas d'en assumer hautement la responsabilité». (p 158)

Avis : Ni idéologue, ni militant, modeste et rigoureux, s'interdisant tout commentaire ou jugement de valeur. Un maximum d'éléments d'information? sur un événement que beaucoup d'Algériens ont mis aux «oubliettes» de leur Histoire. Et, pourtant, une page (parmi les toutes premières) de la lutte pour la libération. Critique technique: manque de contrôle de qualité car mélange de «cahiers» et répétition de chapitres: Bagne, Mémoires, Bagne, Mémoires... (à partir de la page 205).

Citations: «Le politique en Algérie -et cela explique beaucoup de choses- dépend du colon, l'administration dépend du politique et, au fond, c'est toujours l'Arabe qui, par cette succession de responsabilité, paye les pots cassés» (extrait d'une déposition de témoin... un colon européen, p 151).



La Guerre d'Algérie en France (1955-1962) ou Les combattants du FLN en exil. Récit (romancé) de Ali Boukerma (préface de Kamel Bouchama). Editions Juba, Alger 2017. 600 DA, 159 pages.



Si la Guerre d'Algérie en France n'a pas été aussi meurtrière (quantitativement) pour les Algériens que la guerre en Algérie même, elle a été presque aussi terrible... les militants nationalistes du FLN se retrouvant «immigrés», agissant dans des eaux hostiles à plusieurs niveaux: une forte population européenne, certes pas toute hostile (il y eut les «porteurs de valise» et beaucoup de sympathisants) mais ne comprenant pas le combat pour l'indépendance des «Arabes» («L'Algérie, c'est loin !») et il a fallu attendre les envois massifs d'appelés pour que l'angoisse naisse et se généralise; une vie communataire se déroulant dans des conditions économiques et sociales difficiles, bien souvent dans des «ghettos»; une police qui jouissait de toutes les droits, quand elle était appelée à «ratonner», d'autant que la justice et une «certaine presse» n'étaient guère pressées de demander des comptes quant aux dépassements; toute une armée de «harkis» «importés» d'Algérie dans le but de seconder la police hexagonale... et, pour couronner le tout, les facilités accordées, de manière directe ou insidieuse, aux messalistes du MNA afin qu'ils infiltrent et combattent les militants du FLN. Sans compter les «mouchards et les traîtres» habituels. C'est dans cette atmosphère dangereusement polluée que le jeune militant Khaled (surnom de l'auteur) a tracé son chemin de combattant au sein de la Fédération FLN de France. Un chemin parsemé de luttes, d'héroïsme, de clandestinité, de souffrances, d'embûches, d'emprisonnement, de grèves de la faim, mais aussi d'engagement, de solidarité et de courage.

Quatre chapitres sur: la lutte sur le terrain/la vie en prison et les rencontres d'autres combattants (Othmane Belouizdad, Ali Zamoum, Félix Colozzi, Samir Imalayene, Fadel, Daksi...)/face aux «juges» du tribunal militaire permanent des forces armées/les tentatives d'évasion... Un parcours du combattant en vrai !

L'auteur: Natif de Skikda (1934), jeune militant nationaliste (scouts, MTLD), recherché par la police, il part en France (Nancy) et il devient responsable de zone en qualité de permanent à la Fédération de France du FLN. Emprisonné en 1958... tribunal militaire... deux tentatives d'évasion... et lourdement condamné. Indépendance: membre fondateur de l'Amicale des Algériens en Europe... Alger: contrôleur national du FLN, inspecteur central au ministère des Moudjahidine, membre du Conseil national de l'ONM...

Extrait: «Qui aide l'ennemi avec son bien doit son bien, qui l'aide avec son bras, doit sa tête». (p 68)

Avis : Une préface militante et amicale. Bienveillante ? En souvenir du bon vieux temps partagé au sein du FLN de «l'Âge d'or». Pour un récit de combat et de résistance. Un récit avec des phrases simples, claires et parfois rudes. Mais, la forme «romancée» et le récit «scénarisé», se voulant réaliste, font perdre au récit une (bonne) part de réalité.

Citations: «La prison politique est une excellente éducation, puisqu'elle élargit les idées, donne du caractère, et forme les hommes droits et intègres» (p 19), «L'Algérie est un pays superbe où les colons sont de trop» (Théophile Gauthier, cité par un avocat lors de sa plaidoirie devant le tribunal militaire, en faveur des résistants algériens dont l'auteur du livre). (p 24)



Mon testament pour les libertés. Essai de Abdennour Ali-Yahia. Koukou Editions, Chéraga Alger 2017. 800 dinars, 207 pages.



Avdhnour Nath Ibrahimn a vécu trop d'orages et de tempêtes pour accepter que la vieillesse soit un naufrage. Il a connu une grave maladie qui a duré de longs mois. Il n'a plus la même faculté de concentration pour pouvoir écrire avec son style habituel spontané et élégant.

Et pourtant... Il ne veut pas «rester assis devant sa porte à attendre la fin de sa vie terrestre». Ali-Yahia Abdennour veut, simplement et seulement, encore participer au renforcement des rangs des Algériennes et des Algériens qui se battent contre l'arbitraire et l'injustice, «surtout pour mettre fin à la dictature et faire entendre la voix de l'Algérie dans le monde».

Un livre-bilan ? Un point de situation ? Une large réflexion sur les inquiétudes du temps ? Un testament intellectuel et politique ? Un peu de tout, de tout un peu, mais assez suffisant pour se faire une idée sur le monde, sur notre monde, sur notre avenir.

D'abord, tout un chapitre sur «les Droits de l'Homme dans le monde»...: En Afrique, dans le monde musulman, en Palestine, la justice pénale internationale, le panislamisme, Islam et politique, les Talibans, l'Etat islamique, les caricatures du prophète Mohamed, la violence islamique en France... Vingt-deux tableaux, parfois peu réjouissants, souvent pessimistes, tous aux titres qui parlent d'eux-mêmes. Puis «la Société civile et les ONG», «La liberté et les libertés démocratiques», «Les élections», «La décennie noire, la tragédie nationale», le «Statut de la femme: réparer une injustice», «Le système politique», «L'économie en panne» , «La justice aux ordres», «L'Armée au cœur du système politique»...

Une seule alternative: «La démocratie»... tout en rappelant l'expérience de «l'ICSO, l'opposition rassemblée». Et, pour ne pas oublier un de ses premiers grands amours: «l'Algérie berbère» avec la défense et l'illustration de «l'autonomie régionale». Et l'avenir ? D'abord par l'éducation, et grâce à un «peuple qui régnera en maître de sa destinée».

L'auteur: Né en 1921 à Lemkherda, un hameau du grand village Taka (Aïn El Hammam/Tizi Ouzou). Ancien instituteur, militant du PPA-MTLD de 1945 à 1949... Syndicaliste, il rejoint le FLN en 1955. Membre fondateur de l'UGTA le 24 février 1956... Arrêté et interné dans des camps de concentration. Libéré en 1961. SG de l'UGTA. Indépendance: député... participe à la création du FFS en septembre 1963... Membre du CC/FLN... Ministre des TP dans le premier gouvernement formé par Boumediène le 10 juillet 1965... démissionnaire en 67.

Etudes de droit, avocat en 72. Une longue carrière au service des Droits de l'Homme... parsemée d'arrestations et d'emprisonnement. Membre fondateur et président de la première LADDH le 30 juin 1985, puis de la LAD    DH en 1989... Auteur de plusieurs essais politiques.

Extraits: «L'Algérie n'est arabe ni par son histoire, ni par sa géographie, ni par sa culture. Son histoire apprend à déceler les impostures, les intrigues et les trahisons; elle rentre enfin dans la voie des aveux. Seul un peuple qui sait d'où il vient, mu par la volonté de savoir, de connaître, de comprendre les vérités de l'histoire, sait où il va. L'histoire ancienne est un privilège qui ouvre les horizons» (p 7), «La propagande qui désinforme, intoxique, méprise les faits et manipule l'opinion est un élément de la dictature. Si la matière première de l'information est la matière grise, l'oxygène de l'intelligence s'appelle liberté». (p 65)

Avis : Un voyage dans le temps et l'espace. Un diagnostic sans concession. Des «vérités» à prendre ou à laisser, mais toutes essayant de servir une cause juste, celle de la liberté. Un livre certes irrévérencieux à l'égard des tabous... mais l'élégance de l'écriture fait oublier l'orientation... pour ceux qui ne sont pas d'accord avec le «maître».

Citations: «Les Centralistes sont comme des parricides qui comparaissent devant une cour de justice: ils demandent l'indulgence parce qu'ils sont devenus orphelins» (p 10), «Droits et devoirs additionnés, cela s'appelle responsabilité» (p 19), «L'image d'un homme public est le reflet de son écriture médiatique» (p 20), «Le présidentialisme, c'est l'identification du peuple avec celui qui le régente». (p 116)

PS: Décidément, le Festival de Annaba du film méditerranéen, s'il fait des heureux parmi les citoyens à la recherche de lieux de culture et de loisirs conviviaux, si rares, s'il permet de bien remplir les bilans annuels, ne fait pas l'unanimité. Comme d'ailleurs, les autres festivals similaires (les festivals très spécialisés exceptés)... tout particulièrement celui d'Alger et celui d'Oran. Chaque contestataire développe les arguments arrangeant sa vision. Les uns évoquent l'absence d'une production nationale (les longs métrages de fiction) suffisante sinon absente; d'autres évoquent la nécessité de «compter ses sous» pour les utiliser de manière plus utile à une action culturelle de terrain bien plus centrée sur la production culturelle nationale; certains -pensant à l'hirondelle qui ne fait pas le printemps- évoquent l'absence d'un large public, la principale source de financement, et de salles à (ré-) ouvrir en permanence, revenant sans cesse à un passé (mythifié) que personne ne veut admettre bel et bien mort et enterré, etc. Le débat n'est pas près d'être clos, d'autant que les tenants d'une politique culturelle (et cinématographique) quasi totalement (pour ce qui concerne les dépenses... et non pour les recettes, cela va de soi) financée par l'Etat, directement ou non, surtout les «has been» et leurs «rejetons» ou supporteurs, ont encore, de beaux jours, devant eux.

Bien sûr, l'Etat peut encore jouer un certain rôle pour «booster» mais, il est clair, désormais, le décollage ayant trop tardé, qu'il faut non pas seulement «lâcher» du lest, mais se débarrasser de tous les boulets bureaucratiques et administratifs et libérer totalement les initiatives privées, individuelles ou collectives (exemple des associations et des start-up spécialisées...): laisser libre l'ouverture de salles de spectacles petites et moyennes ou louer celles encore rescapées aux jeunes entrepreneurs «mordus» de cinéma et de théâtre, produire librement (comme cela se fait pour le livre et la presse écrite) des longs et courts métrages, de fiction, historiques, documentaires en se pliant aux seules règles du marché, et avec un cahier des charges non contraignant mais seulement indicatif, faciliter et encourager la création d'entreprises d'importation et de distribution... multiplier les festivals (petits et moyens) surtout centrés sur la production... nationale... (à la limite maghrébine)... et oublier, une bonne fois pour toutes, l'histoire des «314 salles héritées de l'époque coloniale» et oublier la «belle époque», lorsque la consommation cinématographique avait vu, en une seule année (1974), 29.500 programmes sortis et 40 millions de tickets vendus (dont 630.000 pour la seule cinémathèque).