Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les Arabes vont-ils s'entendre ?

par El Yazid Dib

Alger abrite la 35ème session du Conseil des ministres arabes de l'Intérieur. Savoir lutter contre l'extrémisme, le terrorisme, la radicalisation et leurs activités connexes est une expérience devenue une science algérienne acquise dans la chair et le sang et qui n'est plus à démontrer. Pourvu qu'il y ait de l'écoute de part et d'autre.

Cette réunion des ministres de l'intérieur des Etats arabes va encore se plonger dans les mécanismes utiles pour la lutte contre affres du terrorisme. Devenu un cauchemar persistant, ce fléau qui pour des raisons transparentes presque à moitié connues ne sévit presque que dans l'espace arabo-musulman. Ailleurs, il semble être étouffé. L'Algérie en a été « bien » servi en la matière. C'est à ce titre que la lutte algérienne ait pu influencer tous les modes tactiques de combat pour devenir un référentiel incontournable dans toutes les approches manant à éradiquer cette monstruosité. Loin de vouloir fédérer définitivement les Arabes, le Conseil d'Alger va avoir au moins cette prouesse de les réunir malgré un climat interne délétère, pour leur faire sentir la lourdeur de la géopolitique qui se pend au-dessus de chaque tête. Du terrorisme au droits de l'homme à la démocratie jusqu'au statut de la femme, à l'impact des soubresauts économiques, la haute menace sécuritaire ou une intifadha populaire demeure dans son entièreté face à tous les systèmes actuels de gestion des affaires publique dans ces pays.

L'histoire des Arabes, si elle avait connu de l'apogée et des mérites reste tout de même assez riche en événements douloureux. Elle ne fut en réalité qu'une kyrielle de guerres, de combats et d'éloges post mortem à l'honneur des grandes victoires d'une ère enterrée. Le nouveaux temps avec leurs nouveaux défis et enjeux font qu'il n'est plus possible de vivre sur ses lauriers ou continuer encore à s'adosser sur des légendes et des épopées. Pour certains, le lâcher du lest n'est qu'une adaptation aux nouvelles exigences d'une jeunesse montante qui ne pense plus comme ses aïeux ni croit en ces délégations de pouvoir divin. La commune mesure est une convergence, pour eux, dans l'optique de la destinée de leur peuple. Ils s'estiment investis de l'oracle astral. Les régimes politiques des provinces arabes, tellement distincts dans leur anatomie constitutionnelle, surviennent difficilement à tracer une distance commune, ne serait ce qu'en vertu d'une défense collective de la question palestinienne. Les royaumes considèrent avec acuité, l'intérêt de survie du trône, les républiques le font d'une manière à garder une telle apparence, les autres s'essayent à la continuité d'une vie tranquille et paisible.

C'est au Caire en 1977 qu'il fut décidé de mettre sur pied un conseil des ministres arabes de l'intérieur. Il n'y avait alors aucun signe prémonitoire d'un éventuel printemps arabe. Cependant le climat fut tout de même plein de lourdeur et de mauvaises perceptions dues aux effets contestataires de l'accord camp David. En 1980, à Taif le conseil a vu le jour. Il s'est assigné toute une multitude de missions. De la consolidation de la coopération en termes de sécurité publique à la conjugaison des efforts pour lutter contre la criminalité. Le terrorisme et sa phénoménale expansion n'étaient pas encore à la une des priorités, mais faisaient cependant resurgir certains zéphyrs annonciateurs d'un proche avenir macabre et douloureux.

L'Algérie, faudrait-il le dire sans langue de bois n'a de leçon à ne recevoir de personne. Où étaient ces pronostiqueurs, tous ces laboratoires d'analyse quant le sang a commencé à couler au début des années 90 ? En ce moment là, l'éclatement des crânes de nos gosses, nos vieux et l'éventrement de nos femmes faisaient l'ouverture des flashs d'info des satellites alors balbutiants. L'on ne peut oublier qu'en face de cette terreur, de cette monstrueuse atrocité, les pires commanditaires roulaient la mécanique, en toute impunité dans les sofas des salons somptueux sis à Londres, Paris, Washington ou dans certaines tentes dorées golf-persiques. . Les puissances mondiales de l'époque et certaines entités arabes méconnaissaient les méfaits de ce que nous avions préludé, dans nos chairs, à qualifier de terrorisme. Ils prétendaient qu'il s'agissait là, de mouvement politique ou de manifestations populaires. Le « qui tu qui » finissait le travail de sape pour aboutir dans un cycle diabolique à un isolement entier et hypocrite. L'Algérie se trouvait être l'enfant contagieux, le lépreux. A ne plus approcher. Seuls nos mines et gisements, nos bouches et nos hydrocarbures continuaient à nous faire exister sous la forme d'un marché glouton. Dans le corps d'un concitoyen en voyage, l'on décryptait un tueur, l'on y sentait un assassin. A peine prononcé, que le nom de l'Algérie, comme effluve répugnant giclé de nos tombes se répandait sur le visage étranger qui vous faisait face. Pour certains, l'on est arrivé aux limites de la dénégation pour se faire passer maladroitement pour un autre, qu'Algérien. En ce moment, nous enterions nous même nos morts et couvrions de pleurs nos nécropoles. Bref. Nous avons traversé le tunnel. Nous vivons la paix que nous voulons partager dans une réconciliation nationale.

Ce « sommet des intérieurs » s'annonce dans l'actualité inter-arabe comme étant un menu vitaminé pour la sortie de l'engourdissement que vivent ces pays. Pour le monde arabe, il semble ne revêtir qu'un autre aspect d'un quelconque et énième regroupement de dirigeants arabe. Mais en réalité il en est autrement. La conjoncture internationale démontre bien l'utilité d'un sérieux et d'une profonde conviction en l'unité arabe. L'hégémonie anglo-saxonne, l'Europe et la « fâcherie » de l'oncle Sam, exigent des entités arabes nonobstant la zizanie qui mine leurs liens du fait d'un alignement donné, à plus d'écoute et d'attention de l'un vers l'autre. Il faudrait savoir s'écouter et s'entendre de se dire des choses, des vérités et des réalités pas toujours bonnes à dire.

L'idéal n'est plus dans le regroupement conjoncturel que ne l'est l'accord pour la nouvelle vision de co-gérer la chose arabe. Néanmoins il est attendu de ce Conseil un moindre effort pour une refondation de ce qui devra dorénavant lier les membres de la ligue. Certes il ne s'agit là que des ministres de l'intérieur, mais autrement dit c'est à partir de ces grands ministères que toutes les politiques intérieures se font et se défont. La politique étrangère de chacun des pays membres est basée en toute légitimité sur ses propres intérêts. Cela ne devrait pas par principe causer des troubles relationnels quand l'intérêt cesse d'être partagé. Cet intérêt, on le voit n'est plus confiné dans sa case originel d'un simple gain économique. Il se situe en plein centre d'une hégémonie géostratégique. Chacun cherche à sa façon de dominer la région où la course au leadership est toujours en vogue. Le plus dramatique dans ces perturbations avait dépassé le plan diplomatique et s'est installé carrément dans une guerre chaude, meurtrière et inutile en tous cas tant pour les uns que pour les autres. Qu'a-t-elle rapporté l'hostilité entre l'Arabie saoudite et le Yémen ou le Qatar ? Que vont-ils nourrir ces sentiments anti-syriens au sein de la masse des futurs enfants de ce pays ? Si chacun a ses raisons, chacun aussi a ses tords. L'unique victime dans ses affrontements sont les peuples. Alors qu'au moment où les autres, les « kouffars » s'investissent dans des conglomérations, les nôtres s'éparpillent et se pulvérisent de jour en jour. A cette cadence nous arriverons à la reconstitution de la matrice initiale pour ne se reconnaitre que dans l'étiquetage de petites tribus grégaires, familiales et clanales.

Heureusement que l'Algérie, par une diplomatie de niveau avait su et œuvre encore pour une totale stabilité du monde arabe. Le positionnement pour les justes causes est un percept novembriste qui avait tout le temps imprégné la démarche diplomatique du pays. Ainsi, dans les confits qui se font et opposent les uns aux autres ; elle n'est ni contre l'un ni pour l'autre. La neutralité agissante et positive fait d'elle une solennité et une sérénité afin de dénouer les imbroglios tout doucereusement et surtout par la permanence d'un dialogue studieux. Va-t-on en parler profondément ? y aura-t-il de l'écoute mutuelle cependant ?

Il y a toutefois une triple équation à résoudre dans cette conjoncture du regroupement. Le ministre de l'intérieur de l'Arabie saoudite s'est annoncé en visite officielle en Algérie à deux jours de l'ouverture des travaux de la 35 eme session du conseil des ministres de l'intérieur. Chercherait-il à se distinguer ainsi de ses collègues ? Il était invité, lit-on par deux ministres. Bedoui et Louh l'accueillant à l'aéroport. Si l'un est tout désigné par attributions, l'autre ne constitue-t-il pas là une pléthore protocolaire ? Et il a été reçu par le Président de la république. La résolution ne se trouverait-elle pas dans ces « relations historiques privilégiées » ?