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En cette année-là?

par El Yazid Dib

J'ai vu monter les uns à la descente des autres. J'ai vu des cornes se faire pousser à des poules et ai vu démolir celles des béliers. Une cadence habituelle qui a pris le dessus sur toute autre valeur maintenant disparue, dirait l'autre.

2017, en chronologie chinoise était l'année du coq de feu. Cet animal fier, brûlant, combattif aurait quitté tous les poulaillers. Je les ai vus cependant ces coqs, isolés dans leur enclos ne montrant qu'une fine crête ramollie, parfois reclus et émasculés n'enviant en rien les poulardes. Tout est naturel, chacun des espèces porte en soi, qui une moitié de vaillance, qui un morceau de lâcheté.

Les alliances ne sont plus le fruit d'une conviction, elles se font au grand jour et au gré des intérêts immédiats et des pourboires instantanés. Rien ne semble venir par la force convaincante, tout semble presque s'imposer de part et d'autre. Ramener quelqu'un à adhérer à un programme ou à n'importe quelle approche n'est plus un souci de manager. Il devient celui d'un banquier. Payer et tout viendra, diront ceux qui l'ont aléatoirement essayé. Les voix, les sièges, la majorité, le claquement des mains et les youyous portent tous un écriteau de prix négociable et des enseignes lisibles d'à vendre.

Elle aurait vu cette année réussir encore l'audace des froussards là où échouait la patience des braves. La marginalisation et l'exclusion avaient emporté dans leur élan la qualité et l'habileté, ne laissant les marques de la vertu qu'aux seuls paramètres de la caporalisation et du copinage de bas étages. Tout persévère à se morfondre dans l'indifférence et le je-m'en-foutisme et rares sont les âmes qui respirent encore l'air sain et se nourrissent de la gaillardise et du gabarit.

Cette année a vu s'élire des élus nationaux pour se voir dormir dans les sofas des assemblées au bois dormant. Certains qui faisaient le guet aux listes comme une femme enceinte en détresse d'accouchement, ont omis au passage électoral chez eux leurs voix et leur hargne à débiter des promesses et montrer patte blanche. D'autres croyaient obtenir la présidence locale du seul fait d'avoir été par défaut tête de liste ou porté stagiaire à une fonction élective à laquelle l'on prend goût très vite. Que vaut-elle cette alliance adultérine voire cette politique de revanche qui ne se pratique que pour un deal temporaire et aventureux ? Ainsi, cette année a vu des partis opposés l'un à l'autre ne s'allier clandestinement que pour taquiner le concurrent. Bouteflika a refusé un jour « d'être un président ¾ ». L'on voit aujourd'hui certains jubiler au niveau local d'être un « président à moins d'un tiers ». Drôle de réjouissance, drôle d'autosatisfaction. L'acte manipulatoire en politique, s'il arrive quand bien même à justifier tout ne doit pas se mettre en porte-à-faux d'un cahier des charges morales et de challenge personnel. C'est à l'humilité et à la décence qu'il faudrait recourir en pareille mauvaise posture. N'est-il pas judicieux d'être tout court un élu, membre en entier et en sa totalité avec ses indépendances relatives, ses libertés présumées que d'être un « chef » amoindri, fragile, amputé et en quête quinquennale de secours et d'assistance?

Elle m'a fait montrer cette année-là que d'un seul vœu l'on ne peut faire un avenir sans y penser et agir. Elle m'a fait défiler pour les côtoyer des frileux et des forts, des prétentieux et des séducteurs, des humbles et des m'as-tu-vu. L'amour pour cette année-là y était pour beaucoup, parmi les miens. La famille et les amis. La haine avait également son lot de jalousie. Elle n'était qu'un effet de miroir à faire briser face à ceux qui voulaient l'afficher.

J'ai vu des scribouillards frémir sous la signature d'un décret qui n'aura qu'un impact salarial sans pour autant faire rejaillir la prétendue lumière d'un cursus manquant ou inachevé. D'autres que la frustration carriérale et la dépossession du destin n'avaient pu leur offrir un minime commandement ; prendre celui-ci pour une vengeance sur le temps. D'une chaise à l'extrémité à un fauteuil paraissant étoffé, la ruralité en effet arrive bien à estampiller en apparence le faux label d'un modèle mal déposé. Porter un costume scintillant et une cravate métallisée ou mélanger les pinceaux ne traduit pas forcement la brillance de l'esprit. Bien au contraire, l'on devient une curiosité et un chef-d'œuvre de rire et de dérision. Quand on a cet esprit marécageux, rien ne sert de se montrer que l'on sait aussi emprunter le sol carrelé. Que ceux qui se prennent pour les nœuds gordiens de l'intelligence ou du savoir aient, et je les ai vus ne pas en posséder, de l'humilité et de la pudeur qu'exige un titre académique. La scène politique n'est pas un amphithéâtre et les militants ne peuvent être pris pour des élèves en phase d'apprentissage. La police de séance n'est pas dans ce cas une hiérarchie doctrinale mais une discipline basique et un engagement primordial. Dans le parti l'on trouve de l'idéologie et de la camaraderie, il n'y a pas de place pour le leadership par tchatche et l'on n'y impose pas son avis. On l'expose.

J'ai vu des fous ou se prenant pour tels abattre l'art et couper le sein des femmes figées qu'eux seuls voient leur nudité. J'ai écouté des poètes pleurer leur ville et sa statue, des musiciens chanter nos espérances et les leurs, le monde gémir l'inertie arabo-musulmane et la perte d'El Qods. L'année 2017 a privé, je me le rappelle, les supporters nationaux à aller one-two-threyer à Moscou quand le football n'est plus une affaire de la Faf mais une affaire d'Etat. C'est ainsi et dans ce sillage que des gouvernements sont partis, d'autres sont réapparus. La valse des cadres, l'envie de la ministrabilité, la recherche des points cardinaux continuent et persistent à se mouvoir dans des carrefours pourtant à sens unique.

J'ai vu également de belles choses, bu de beaux paysages et me suis logé dans de jolies natures. J'ai entendu de certains, dire certains beaux discours et semer beaucoup d'espoir sur nos chemins parsemés de crainte et d'inquiétude. Les logements en milliers se disent se construire, des festivals se tenir et des trophées à flot se remettre. La réalité n'est pas complètement faite de contrefaçon et de mauvaises perceptions. Il y a dedans du merveilleux, du génie et du grand partage. Il y a ce qui vous épate et tout ce qui vous rend fier d'appartenir à cette terre qui malgré les coups et les faux dévots résiste et vous tient haut la tête. J'ai vu revenir à l'Etat algérien les droits d'auteur de son hymne national et c'était une réalgériannisation de la mélodie qui nous a tous tant bernés. Une espèce de recouvrement philharmonique de l'identité nationale en tous ses couplets. J'ai eu cette année 2017 ma carte biométrique, je ne discute plus avec un guichetier pour l'octroi de mon papier de naissance. Mon interlocuteur est une machine. Impersonnel et beaucoup plus humain, voire logique, il connait tout de moi et me guide sans humeur, ni bonne ou mauvaise mine par un clic pour ramener la monstrueuse administration à mon domicile. C'est dire que tout ce qui est informatique et électronique amadoue les durs sentiments et apprivoise les pires attitudes. Malgré cet effort d'un secteur, les autres sont encore fixés dans la paperasserie et à Algérie-Telecom, le passeport biométrique valide ne fait pas foi d'identité et le contrat de location ne tient pas lieu d'une attestation de résidence. Un leurre ce secteur de technologie et de télécommunication.

J'enjambe le temps d'une année à une autre avec toujours cet espoir qui défie sans partage les désarrois et les mauvais présages. Je voudrais cependant le faire partager, cet espoir insaisissable à toute l'espèce humaine sans distinction d'identité, d'âge, de genre, de verbe, de géographie, de rhésus ou de croyance. Je dirais tout simplement : souriez et illuminez vos nuits et jours, l'extinction vous attend. Rêvez avant de crever. A défaut, prenez l'illusion pour une vie et la vie pour une dérision. Meilleurs vœux de santé et de bonheur pour cette autre année-là.