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Service civil : le nœud de la discorde !

par Dr Bouchikhi Nourredine

Le service civil est actuellement une obligation réservée exclusivement aux médecins spécialistes fraichement diplômés ; il s'agit de passer une durée minimum dans une structure de santé publique avant de pouvoir s'installer pour son propre compte, cette durée est variable en fonction de l'endroit où l'on exerce ; elle est d'autant plus courte que l'on s'éloigne du littoral ou des grandes agglomérations ; façon d'inciter ces médecins à opter pour les Hauts plateaux et le grand Sud ; régions en déficit permanent en spécialistes qui pour la plupart d'entre eux préfèrent exercer dans le Nord pour des raisons de commodités de la vie quotidienne et de meilleures conditions techniques ; un autre facteur et pas des moindres est venu se greffer pour renforcer les appréhensions suite à la tournure prise par les récents événements médicolégaux qui ont secoué quelques hôpitaux de l'intérieur (Djelfa-Béchar) et qui de fait découragent un grand nombre d'y exercer dans ces zones par crainte de subir les mêmes conséquences ; le risque est beaucoup plus important vu les sollicitations plus pressantes et le nombre de professionnels moins important.

Le service civil a été souvent un facteur régulateur de la démographie médicale ; il a été instauré chaque fois que le besoin s'est fait sentir ; il a concerné à une certaine époque même les médecins généralistes.

Les spécialistes ont été dispensés du service civil avec la présence des missions étrangères dont certaines étaient à cheval dès l'indépendance (la mission chinoise notamment) dans les endroits les plus reculés du territoire. Avec la raréfaction des ressources financières, leur nombre a considérablement diminué et même si les facultés algériennes ont formé des centaines de spécialistes en plus des généralistes, il n'a pas été possible de combler le déficit surtout avec la démographie galopante et la demande en soins de plus en plus importante. Beaucoup de jeunes diplômés préfèrent s'installer ou bien carrément s'exiler et même ceux qui étaient en poste dans les structures étatiques ont fait ce choix, attirés par le secteur libéral plus porteur et en pleine expansion depuis surtout l'émergence de cliniques privées sans omettre que la décision prise du temps de l'ancien Premier ministre M. Sellal de revoir les conditions de départ en retraite anticipée a eu des conséquences sur le secteur de la santé avec pour effet l'aggravation de la situation de pénurie dans les hôpitaux publics surtout à l'intérieur du pays.

Mais bien avant cela, l'instauration d'un service civil obligatoire semblait constituer la solution miracle à cette impasse sauf qu'il faut reconnaitre que cette décision a été prise sans qu'elle soit accompagnée de mesures à même d'inciter les spécialistes fraichement diplômés à en accepter le principe.

Et même une fois mis sur les rails, des aberrations sont constatées de prime abord dans les affectations ministérielles, à en juger ; alors que des hôpitaux souffrent d'un manque flagrant en compétences, des spécialistes sont affectés dans des polycliniques pour assurer des consultations au moment où des blocs de chirurgie et de services hospitaliers en sont dépourvus, des chefs-lieux de wilaya manquent de médecins alors que ceux-ci sont affectés dans certaines daïrates ou communes qui ne disposent même pas d'hôpitaux !

Il existe un déséquilibre flagrant dans le nombre de médecins affectés pour des villes distantes seulement de quelques dizaines de kilomètres, les villes déjà dotées de CHU sont aussi favorisées par l'affectation de nombreux spécialistes au niveau de leur dairates, des spécialistes sont affectés dans des structures ne disposant pas du plateau technique requis pour exercer leur spécialité !

Pour les autres qui n'ont pas pu avoir un meilleur choix, ils se retrouvent dans des villes où la charge de travail est énorme ainsi que les risques, certains passent leur temps à se chamailler avec la direction pour qu'on puisse leur procurer le matériel nécessaire, d'autres au contraire ne pointent que le jour de leur garde ; complètement démotivés, leur efficacité est alors limitée. Si le service civil est considéré par les autorités comme une solution aux déserts médicaux, il en est autrement perçu par les médecins concernés qui ressentent cela plutôt comme une injustice car il s'agit du seul corps relevant de la fonction publique à en être assujetti, toutes les autres corporations en sont dispensées bien que des besoins en sont exprimés comme on peut citer à titre d'exemple les universités des Hauts plateaux ou du Sud où l'encadrement en professeurs de rang magistral est insuffisant et d'ailleurs dans beaucoup d'autres secteurs d'utilité publique un manque en cadres supérieurs est constaté sans que l'on exige d'eux d'effectuer un service civil !

Il s'agit donc d'une véritable entorse aux règlements de la fonction publique, le sentiment d'injustice est encore plus marqué chez les spécialistes hommes dont certains doivent aussi se soumettre aux obligations du service militaire ; une double sanction en quelque sorte. Cette situation est à l'origine d'un bras de fer qui se poursuit depuis plusieurs mois entre résidents, futurs spécialistes et ministère de la Santé.

Quelles solutions pourraient être proposées pour mettre un terme à ce blocage qui risque de durer ou bien de resurgir régulièrement ? Si le terme de service civil semble constituer en lui-même un écueil, il pourrait être tout simplement supprimé tout en gardant l'esprit du service public, cela permettra une sortie honorable de la crise.

L'exercice dans des zones qualifiées de déserts médicaux doit être attractif et non oppressif pour pouvoir perdurer dans le temps et en tirer le maximum.

La première des incitations sont les conditions d'exercice qui sont un ensemble indivisible constitué du plateau technique, du confort matériel, de la sécurité, sans oublier bien sûr le salaire qui fait la différence entre le Nord et l'intérieur; et même le logement de fonction n'a plus d'attrait aujourd'hui comme c'était le cas autrefois quand les médecins pouvaient bénéficier d'un logement social cessible qui constituait en quelque sorte une prime d'installation qui a été à l'origine de prise de la décision par beaucoup de professionnels de passer plusieurs années au niveau du secteur public et de s'installer après sur place ; bien que certains ont dû partir après services rendus mais c'était quand même bénéfique pour la région.

Le logement est aujourd'hui cher et il va falloir trouver d'autres solutions pour le rendre accessible à l'achat avec un prix attractif pour ceux qui optent d'exercer là où on a le plus besoin en impliquant les collectivités locales ou en mettant sur pied un fond spécial ; une autre solution en l'absence d'un parc immobilier est l'octroi d'une indemnité de loyer réaliste et qui reflète les prix du marché et non symbolique comme c'est le cas aujourd'hui (mille cinq cents dinars par mois) elle constituera aussi une réponse aux prétextes souvent avancés d'un certain nombre de spécialistes qui sont absents à longueur de semaine sauf durant leur jour de garde faute d'un pied à terre. Le regroupement familial doit être facilité pour les médecins dont le conjoint occupe déjà un poste soit par la mutation d'office ou bien le détachement. D'autres incitations peuvent être proposées comme par exemple l'autorisation de faire des remplacements dans les cabinets privés pendant leur congé et en dehors des heures de travail.

Ce qui pourrait donc assurer des prestations à la population durant la période des vacances.

Quand au service militaire, le ministère de la Santé pourrait faire un geste pour les médecins qui doivent le passer en les dispensant carrément du service civil puisque ils se seraient d'une autre manière amplement acquittés de leur devoir envers leurs concitoyens. Le service civil dans les dites zones pourrait aussi prendre une autre forme en exigeant des médecins désireux de s'installer d'emblée d'exercer en même temps dans des structures publics soit sous forme de tranches horaires quotidiennes soit sous forme de journées prédéfinies en concertation avec les responsables de ces structures, ou bien sous forme de gardes pendant une durée déterminée en fonction du lieu d'exercice. Ces avantages n'auront de valeur que s'ils concernent exclusivement des régions déshéritées.

Quant aux hôpitaux des grandes villes ou dans les centres hospitalo-universitaires et les établissements spécialisés, le recrutement doit être soumis à l'appréciation du conseil d'administration qui doit faire son choix sur la base d'un CV qui en plus du diplôme et des compétences devra comporter un minium d'expérience et un engagement d'occuper le poste pour une durée minimale à définir ; ceci aura pour conséquence d'avoir la garantie d'embaucher les meilleurs éléments dans les structures de référence et de carrément bloquer la route à tous ceux qui ne remplissent pas ces conditions surtout celle relative à l'expérience.

Sachant toutefois que tôt ou tard l'offre et la demande se réguleront d'elles-mêmes vu le nombre important de médecins concentrés dans les villes les plus importantes, surtout du littoral, poussant alors les jeunes diplômés à tenter leur chance ailleurs.

L'installation dans les grandes villes doit être soumise à des conditions, tel l'exercice auparavant à l'intérieur du pays, que ce soit dans le secteur public ou privé ; un numerus clausus en quelque sorte qui pourra être reconsidéré régulièrement en fonction des besoins.

Ces propositions pourraient bien contribuer alors à une organisation plus équitable de l'exercice des spécialistes en toute transparence et mettre fin au sentiment de discrimination.