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EL DJAZAIR autrement vue : Récit d’un roman national (Suite et fin)

par Ammar Koroghli

Il semble qu’à la veille du déclenchement de la guerre d’indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85%), Constantine (72%) ou Mostaganem (67%) ». L’essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d’habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important; un million et demi de personnes étaient sans emploi (la commune d’Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70.000 habitants en 1953).

Dans ce cadre, l’Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun: le premier élu par les Européens et l’élite algérienne de l’époque et le second par le «reste de la population algérienne». Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l’élection de l’Assemblée algérienne. Il est vrai qu’au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l’égalité, tantôt l’indépendance.

C’est ainsi que plusieurs partis furent créés: l’Association des Oulémas musulmans algériens, l’Association de l’Etoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)…

Le 8 mai 1945, prélude à la révolution

Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d’Algériens dans plusieurs villes de l’Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma); ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l’émeute. La répression par l’armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens.

Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d’Algérie en vue de l’indépendance. Devant l’inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l’Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d’appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs: Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella.

Un Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de Libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d’Algérie» après l’avoir désigné comme étant des évènements d’Algérie jusqu’en 1999). L’action armée intervint à l’initiative des «six historiques»: Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M’hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.

La guerre d’Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelque soixante-dix attentats dans différents endroits d’Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer: «L’Algérie, c’est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès; ce qui n’empêcha pas à l’Armée de libération nationale (ALN) de se développer. De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l’Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre.

La même année, l’affaire algérienne fut inscrite à l’ordre du jour à l’Assemblée générale de l’ONU, tandis que plusieurs chefs de l’insurrection de l’armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef…). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l’instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.

Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l’avion qui transportait la délégation des principaux dirigeants du FLN: Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf. Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l’opération d’intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans douté affaiblis par ces purges internes.

Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l’Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d’un accrochage avec les éléments de l’Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence. En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN.

En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l’indépendance de l’Algérie; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n’est pas anodin de rappeler qu’en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (Sud-algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens ont trouvé la mort; des milliers d’autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.

Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d’état-major de l’Armée de libération nationale.

En 1960, l’ONU annonça le droit à l’autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d’Evian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu’il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l’OAS. Près d’un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l’Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d’autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d’Evian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d’autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d’autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu’en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir: d’un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l’autre côté le pouvoir militaire (le «clan d’Oujda») et l’«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.

De la République algérienne depuis 1962

A l’indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d’encadrement durant la période coloniale. Ce, outre le conflit avec le Maroc en 1963 («guerre des Sables») et plus tard le différend quant à la question du Sahara occidental depuis les années 1970. Ainsi, après plusieurs mois d’incidents frontaliers, il y eut une guerre ouverte (notamment dans la région algérienne de Tindouf) pour s’étendre ensuite à la région de Figuig au Maroc. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) obtint un cessez-le-feu définitif le 20 février 1964, la frontière entre les deux pays étant inchangée. L’armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les Accords d’Evian): Reggane et Béchar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l’indépendance, la France continua d’avoir des bases en Algérie. Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l’ALN au profit de Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l’Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l’algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Le coup d’Etat du 19 juin 1965 vit l’accession de Houari Boumediene au pouvoir jusqu’à sa mort en décembre 1978. La politique suivie fut ce qui a été qualifié par le régime en place de «socialisme spécifique» avec la mise en place de la planification de l’économie et la bureaucratie d’Etat. La rente pétrolière devait servir à la mise sur pied d’une industrie lourde («Révolution industrielle») au côté de la «Révolution agraire» (qui eut pour conséquence de marginaliser l’agriculture avec comme conséquence l’importation croissante des produits alimentaires par l’Algérie). Il y eut la «Révolution culturelle» avec notamment une solarisation massive et une arabisation volontariste de l’enseignement avec des résultats que d’aucuns contestent.

En 1979, Chadli Bendjedid devint le nouveau chef d’Etat. Des réformes économiques avec une libéralisation «sauvage» et une corruption crescendo due à l’affairisme d’Etat. En 1985, l’effondrement des prix des hydrocarbures, l’endettement excessif de l’Etat et l’explosion démographique eurent raison de cette «nouvelle politique économique». Le pouvoir dut également faire face aux mouvements populaires: Printemps berbère de 1980, émeutes de Sétif en 1986... En octobre 1988, l’armée fut instrumentalisée pour tirer sur les émeutiers (plus de 500 morts ?). Le pouvoir concéda une forme de multipartisme par l’autorisation de la création d’associations à caractère politique. Le pouvoir promulgua une nouvelle Constitution qui devait favoriser l’accession d’El Djazaïr à la démocratie. En 1991, le processus électoral fut interrompu à la suite de la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) aux législatives. Ce qui entraîna une guerre civile (officiellement, il s’agit d’une «tragédie nationale»), notamment entre l’Armée algérienne et les groupes islamiques armés (GIA). Ce, durant plus d’une décennie s’étant terminée avec quelque 200.000 morts parmi lesquels des femmes, des enfants, des intellectuels, des étrangers ainsi que des villages isolés (Bentalha), sans omettre les considérables dégradations des infrastructures publiques et économiques.

Face à cette situation, le pouvoir oscilla entre dialogue avec l’opposition et répression. L’assassinat de Mohamed Boudiaf en 1992 plongea davantage l’Algérie dans une période trouble. Le 16 novembre 1995, le général Liamine Zéroual devint président, suite à des élections présidentielles jugées pluralistes, mais aucun accord concret ne fut trouvé pour régler la crise multiple vécue alors par l’Algérie, nonobstant la trêve observée par l’AIS (branche armée du FIS) et la loi dite de la «Rahma» pour les terroristes repentis. La démission de Zéroual en 1999 fut suivie par l’élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République. Se voulant candidat indépendant, il fut soutenu selon nombre d’observateurs par l’armée, ses adversaires s’étant retirés la veille du premier tour des élections. Le nouveau président afficha une volonté de parvenir à la paix civile. C’est ainsi que la loi dite de la «concorde civile» fut votée et approuvée par référendum; ensuite, il y eut une politique dite de «réconciliation nationale». Il a été réélu pour un troisième et quatrième mandats, après amendement de la Constitution. Cette opération est considérée par beaucoup comme une violation du texte fondamental qui date de la période de Zeroual dont le principe premier a été de limiter à deux mandats l’accession à la présidence de la République.

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