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Tentations

par Omri Ezrati*

Cette semaine, pour les lecteurs du Quotidien d’Oran, Omri Ezrati a scruté l’actualité littéraire de la semaine et repéré quelques jolies perles. Mercredi dernier, le jury du Prix Femina a dévoilé sa liste de nominés. 13 romans français et 14 étrangers figurent dans la sélection du prestigieux prix qui sera proclamé le 3 novembre prochain. Parmi les auteurs sélectionnés, ma tentation va vers les ouvrages de Julia Deck et celui de Marie-Hélène Lafon.  Tentation pour Joseph, le roman de Marie-Hélène Lafon. Ce roman est l’une des belles surprises de cette rentrée paru  chez Buchet Chastel. Joseph est ouvrier agricole dans une ferme du Cantal. Il a bientôt soixante ans. Il connaît les fermes de son pays, et leurs histoires. Il est doux, silencieux. Il a aimé Sylvie, un été, il avait trente ans. Elle n’était pas d’ici et avait beaucoup souffert, avec et par les hommes. Elle pensait se consoler avec lui, mais Joseph a payé pour tous. Sylvie est partie au milieu de l’hiver avec un autre. Joseph s’est mis à boire, comme on tombe dans un trou. Joseph a un frère, marié, plus beau et entreprenant, qui est allé faire sa vie ailleurs et qui, à la mort du père, a emmené la mère vivre dans sa maison. Joseph reste seul et finira seul. Il est un témoin, un voyeur de la vie des autres. A lire. Je vous le recommande.

L’autre tentation que je souhaite vous faire partager c’est celle pour le dernier roman de la journaliste Julia Deck, paru aux Editions de Minuit.  Mademoiselle ne veut plus travailler. Mademoiselle est criblée de dettes. La vie serait tellement plus simple sous une nouvelle identité. Qu’à cela ne tienne, elle emprunte celle de la romancière Bérénice Beaurivage, change de ville et rencontre l’Inspecteur, dont elle tombe aussitôt amoureuse. C’est sans compter la journaliste Blandine Lenoir, éprise du même homme et résolue à la confondre. Bientôt le soupçon gagne sur tous les côtés du triangle que forment ces trois-là, parfaitement équilatéral.

Je suis aussi tenté de revenir sur une nouvelle plume découverte par notre ami Yves Michalon ; Anne-Véronique Herter. Avec Zou !, Anne-Véronique Herter a écrit une œuvre tout à fait remarquable. Ce premier roman servi par une écriture tout en douceur évoque Chance et sa maison de vacances. Ce n’est pas seulement la maison de vacances appartenant à sa famille depuis plusieurs générations que Chance doit quitter, mais aussi tous les fantômes qui l’habitent, ceux de son imagination, ceux de son passé, ceux des histoires que lui racontait son père. Avec la perte de cette immense demeure, nichée dans un grand jardin séparé de la mer par un petit muret en pierre, lieu d’introspection privilégié de tous pour observer le bleu à l’infini, Chance perd également ses repères et se pose des questions quant à son identité. Est-elle vraiment, comme l’a toujours dit sa grand-mère, la réincarnation de son frère qu’elle n’a pas connu ? « Zou ! «, c’est le signal d’un nouveau départ, d’un renouveau qui s’impose comme une nécessité, un impératif de survie. « Zou ! «, si simple à écrire, si court à prononcer et pourtant si difficile à accepter.

Enfin, je ne pouvais pas terminer cette chronique parisienne sans évoquer le dernier bouquin de François Roux, Le bonheur national brut, paru chez Albin Michel. Le 10 mai 1981, la France bascule à gauche.Pour Paul, Rodolphe, Benoît et Tanguy, dix-huit ans à peine, tous les espoirs sont permis.Trente et un ans plus tard, que reste-t-il de leurs rêves, au moment où le visage de François Hollande s’affiche sur les écrans de télévision ?Le bonheur national brut dresse, à travers le destin croisé de quatre amis d’enfance, la fresque sociale, politique et affective de la France de ces trois dernières décennies. Roman d’apprentissage, chronique générationnelle : François Roux réussit le pari de mêler l’intime à l’actualité d’une époque, dont il restitue le climat avec une sagacité et une justesse percutantes.

*Journaliste et éditeur