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Le projet SH2030 de Sonatrach ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau

par Reghis Rabah *

«La Sonatrach, c'est l'Algérie et l'Algérie c'est la Sonatrach» n'arrête pas de marteler (Dr Abderrahmane Mebtoul)

Historiquement, chaque cadre qui a étudié ou exercé à l'étranger et à qui on lui confie la charge de la société nationale, commence sans diagnostic profond et crédible, sur la base d'une simple opinion à lui imposer des critères économiques en violant sa démarche qui reste et demeure primordialement politique. Le résultat, observable d'ailleurs ne sera que sa fragilisation sur tous les plans. Ainsi, à en croire la presse, le nouveau PDG, Abdelmoumen Ould Kaddour, qui était en visite à Hassi R'mel le lundi dernier devait profiter de l'occasion pour annoncer d'emblée que la nouvelle " stratégie du groupe " pourrait être finalisée avant la fin de l'année. S'agit-il d'une nouvelle feuille de route prête à la mise en œuvre ou un simple projet qu'il soumettra au propriétaire de l'entreprise pour un débat. Pour lui, il s'agira de définir d'ici la fin de cette échéance ce que Sonatrach va devenir et avec quels moyens et organisation va-t-elle y parvenir. Il est facile de comprendre par là qu'en un peu plus d'une décennie et avant même que tout le pays mette une stratégie de diversification qu'il peine même à visionner clairement, Abdelmoumen Ould Kaddour, réorientera les objectifs de la mamelle de tous les Algériens pour en faire une entité à sa taille qui respecte " de délais, de coût et de la qualité " des projets. C'est là un concept qu'il maitrise bien dans sa vie professionnelle antérieure. Pourtant, l'approche du redéploiement d'une " National Oïl Company (NOC), est devenu un cas d'école. La dernière en date est celle Saoudi Aramco dont le lifting est éminent si l'on croit les déclarations du prince héritier Mohamed Ben Salmane à l'agence Reuters. D'abord son assainissement a commencé voilà plus de 10 ans pour qu'en 2018, elle rentre en bourse pour une valeur estimée à 2000 milliards de dollars. Pour crédibiliser sa cotation en bourse, elle cédera, 5% de ses actions et à qui ? A celui qui non seulement dispose de l'argent mais aussi concurrence les Etats Unis en dépit de son régime dictatorial. L'annonce même n'a pas manqué de donner la sueur froide aux grands groupes pétroliers qui fond pression sur l'Etat Fédéral pour empêcher ce projet à tout prix d'ailleurs en vain. La raison est simple, la Saoudi Aramco par son envergure menace l'emprise des réserves des hydrocarbures par les sept sœurs. Mais en parallèle, Mohamed ben Salman a également évoqué le projet de mégapole de l'Arabie saoudite, un chantier de 500 milliards de dollars que Ryad souhaite également introduire en Bourse. Cette opération s'inscrit aussi dans le cadre de la diversification de l'économie saoudienne, Baptisée Neom, cette zone d'activité, qui devrait s'étendre sur 26.500 km2, se déploiera au bord de la mer Rouge, sur trois pays, l'Arabie saoudite, l'Egypte et la Jordanie. Tout cela, se fera sur la même échéance, c'est-à-dire 2030. Ryad espère y attirer des entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables, les biotechnologies et le divertissement et permettre la création de millions d'emplois. Cet exemple, devrait inspirer les responsables des grandes entreprises Algériennes pour comprendre que la stratégie est globale et n'a aucun effet si elle s'opère par itérations successives pour ne pas l'appeler carrément " essai " Quelles sont les circonstances de la naissance de Sonatrach ? Quelles en sont les étapes de sa décadence ? Et par qui?

Un bref historique riche d'enseignement

Sonatrach a été crée le 31/12/1963 comme un instrument de l'Etat pour rechercher, exploiter et commercialiser les richesses fossiles de la nation algérienne et mettre à sa disposition des capitaux pour le développement des autre secteurs de l'économie nationale. Elle est aussi un réservoir pour le recrutement afin d'assurer des emplois pour la majorité d'une population active qui n'a que trop souffert de l'indigénat. Ceci a été planifié et connu de tous les Algériens dans le cadre du premier plan triennal qui vise le plein emploi et c'est normal sinon à quoi aurait servi l'indépendance nationale ? Est-ce une bonne ou mauvaise approche, n'est plus une question à poser 50 ans plus tard. Il s'agit d'un choix consensuel pris après le départ massifs des colons et la vacance des moyens de production et surtout la soif du citoyen algérien de recouvrir sa dignité après 130 ans de colonisation. Toujours est-il ! Jusqu'à la mort du Président Boumediene, elle assumait parfaitement les contradictions entre ces objectifs politiques et sa démarche managériale. Elle a confirmé sa mission pour le compte de l'Etat et au service de la nation Algérienne dés sa naissance en construisant en 1964 le premier oléoduc algérien, l'OZ1, d'une longueur de 805 KM, reliant Haoud El Hamra à Arzew. Elle décide de lancer la grande aventure du gaz, en mettant en service le premier complexe de liquéfaction de gaz naturel, dénommé GL4Z (CAMEL - Compagnie Algérienne du Méthane Liquéfié), d'une capacité de traitement de 1,8 milliards m3 gaz/an et mis en service de la raffinerie d'Alger. Ces œuvres seront suivis par de nombreux complexes et découvertes de gisements sans compter le lancement d'un vaste programme de formation des cadres aussi bien en Algérie qu'à travers le monde pour les préparer à la relève et surtout à la capitalisation, la consolidation et la fertilisation du savoir et du savoir faire pétrolier pour les générations futures. Sa stratégie de l'époque visait non seulement la recherche, l'exploitation et la commercialisation des hydrocarbures mais aussi un espoir de transférer l'expertise parapétrolière dans la vision de l'après pétrole. C'est ainsi que sont crées en partenariat avec les multinationales les fameuses " AL " Alfor, Alsim, Aldim, Alfluide, Alreg, Aldia etc. Il s'agissait d'injecter les cadres formés à l'étranger, à l'IAP et l'INH pour justement apprendre et maitriser les opérations parapétrolière afin de limiter à long terme l'intervention des compagnies étrangères.

le premier tripotage de Sonatrach

A la mort du président Boumediene et l'arrivé au pouvoir de Chadli Bendjedid, le discours devait changer avec des implications sur le terrain qui s'écartaient peu à peu de la ligne suivie pour atteindre les objectifs, objet du consensus : le gigantisme des sociétés nationales, l'efficacité selon le principe " Small is beautifful ", la tentative d'abandon des hydrocarbures comme stratégie de développement, le désengagement progressif de l'état vis - à - vis des différentes institutions publiques, pour, selon le discours politique, une meilleure efficacité budgétaire. Cette approche qui ne se fonde sur aucun diagnostic sérieux devait mener Sonatrach comme toutes les autres entreprises nationales à subir un lifting forcé par une restructuration suivant le décret 80-242 du 4-10-80 portant sur la restructuration organique et financière des entreprises. Il est difficile aujourd'hui de situer la responsabilité. En quoi consistent exactement les changements sur le terrain ? Deux volets peuvent résumer ces changements : un volet macro-économique qui a touché à la vie hors entreprise des citoyens en général et des travailleurs en particulier un autre micro-économique qui a porté sur l'organisation en général de l'entreprise elle - même et Sonatrach en particulier. En ce qui concerne le premier volet, les chiffres montrent qu'il y a eu une réorientation des investissements des secteurs productifs au profit des infrastructures et ceci a ralenti l'effort d'industrialisation et par voie de conséquence ne contribue plus à assurer l'indépendance économique, objet du consensus. Cette désintégration de Sonatrach l'a affaibli et l'a rendu vulnérable. Le sureffectif par exemple issu de sa restructuration organique l'a obligé de bloquer les recrutements ce qui a ouvert les brèches à la gabegie, la politique de copinage et surtout a favorisé le recrutement familial au détriment des compétences. Son désengagement progressif vis-à-vis des entreprises parapétrolières en les mettant directement en concurrence déloyale avec des entreprises étrangères les a carrément fait disparaitre de la circulation et ceux qui restent évoluent difficilement. Ceci a renforcé l'intervention étrangère dans sa gestion en ouvrant la voie à l'encanaillement de son encadrement.

Quelque mois ont suffit à Chakib Khelil pour acculturer Sonatrach

Son bref passage de plusieurs mois à Sonatrach en cumulant en même temps la fonction de ministre lui a largement suffit pour et, il n'est exagéré de le dire procéder à un " viol " de la structure des valeurs de base que l'entreprise a développées depuis près de 40 ans et qui lui a permis de surmonter ses problèmes d'adaptation externe ou d'intégration interne. Il a acculturé l'entreprise pour avoir imposer des procédures ramenées d'ailleurs et pour lesquelles l'entreprise n'était pas encore prête à accepter. N'oublions pas que Sonatrach est la mamelle de tout le circuit économique et social. Les brainstormings et les " R " qui marginalisent le code des marchés publics. Il voulait en faire d'un bien public, une entité qui obéissait au droit privé. Ayant déjà travaillé au secteur de l'énergie par le passé, il connaissait les points faibles de certains cadres et leur schème motivationnel et surtout le moteur de leurs prédispositions.

Aujourd'hui, ils sont tous victimes de leur obéissance aveugle pour sortir de l'entreprise par la petite porte en transitant pour la plus part d'entre eux par la prison d'El Harrach.

Conclusion:

Nonobstant les intérimaires, la Sonatrach aura connu 15 PDG dont deux nominations fortement controversées notamment par l'opinion publique et surtout la presse nationale. Ce qui est curieux, ce n'est pas leur compétence qui est objectée mais leur démarche qui ne s'adapte pas à la culture inculquée depuis l'indépendance à une population professionnelle qui dépasse les 120 000 agents toutes spécialités confondues. Or il a été prouvé que la culture interne est indissociable de son environnement. Lorsqu'une organisation, vise un changement de la culture, elle devra d'abord explorer les axes qui peuvent conduire à ce changement.

*Consultant et Economiste Pétrolier