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Des couleurs et des symboles

par Slemnia Bendaoud

Dans le répertoire des nuances et des lumières de l'univers, le pigeon au plumage blanc immaculé représente en fait la paix, enfin retrouvée. Il en est d'ailleurs le tout indiqué Messager. Dans son envol, il inspire la liberté.

Dans le plus sombre des coloris, c'est au corbeau que revient la palme de véhiculer la grande tristesse de la nature de manière générale. Mais aussi la grande poisse de toute l'angoisse humaine. Il symbolise ce retour à l'enfer. Cette hantise de le croiser au premier tournant, ou de le regarder de près !

Fort heureusement, il existe également l'hirondelle et la cigogne. Alors que la première désigne le printemps dont elle met vraiment du sien pour solennellement l'annoncer et de manière festive l'accueillir, la seconde indique, par contre, l'émigration dans sa forme troublante de la transhumance, avec ses départs non annoncés ou improvisés comme ses arrivées-surprises dans la contrée !

Dans ce monde des volatiles, trois des quatre animaux pris en exemple sont donc des oiseaux de bon augure. Ici, il est question de ce bon présage tiré d'un signe céleste. Quant au volatile restant, son chant, tout comme la couleur si triste de son plumage, est plutôt synonyme d'un malheur à venir. Il en est ce cygne qui sonne la guigne et signe le glas !

Charognard, ce passereau au bec puissant est un rapace diurne, étrennant l'allure d'un vrai carnassier ou vautour au museau d'acier. Carnivore par excellence, il se distingue des premiers-cités par la nature de sa nourriture, consistant en ces restes de cadavres dont se sont auparavant empiffrésle roi des animaux et sa petite famille.

Dans le vase monde de ces volatiles plumés et ailés qui écument la voûte céleste, en nuées d'oiseaux ou en solitaire, il est donc fait appel à ce tout nécessaire distinguo, à l'effet de leur indexer le comportement humain pour au final mieux le juger.

Ainsi, le pigeon au plumage blanc incarne à lui seul cette très prestigieuse liberté, en plus du rôle de Messager du Grand Seigneur qu'il véhicule à travers les siècles et les contes anciens. Ceux d'ici bas, en monarques et souverains, s'y identifient fermement ou du mieux qu'ils le pourront, pour faire semblant qu'ils n'en exécutent que ses ordres ou recommandations. A ce pigeon ailé, ils s'y accrochent en de zélés valets du Grand Seigneur.

Le blanc immaculé indique cette netteté qui désigne une page nue, un solde qui satisfait à tout son monde, une issue désormais favorable à tout un chacun, une halte qu'impose le temps et qui n'est en aucun remise par un quelconque acteur de la scène ou l'un des belligérants. Il est cet étendard blanc, hissé bien haut qui clôt les débats et met fin au conflit. Il est cet espoir désormais possible qui ouvre la voie aux grands rêves.

Voici donc résumée, en quelques mots, la plus claire ou bien transparente de toutes les couleurs du monde réunies, parée de ses symboles qui lui dictent ses différentes interprétations, allant du mythe à la superstition, dans son état nickel et apparat qui répercute la lumière.

Et qu'en est-il alors de la plus sombre des couleurs de l'univers ? Quels en sont ses symboles et ses possibles interprétations ? Au corbeau et le mythe qu'il véhicule à chacune de ses apparitions diurnes au sein de la contrée, il y a lieu de lui adjoindre ce mammifère volant très nocturne qu'est la chauve-souris dont la légende le classe au même niveau que ce volatile qui traine cette très sombre réputation.

A eux deux, ils inspirent au paysan, chacun dans l'espace temporel qui lui est si particulier, rien que de la tristesse, de la malchance de traduire ce mauvais sort des journées sombres et des nuits très obscures, en plus de ce mystère propre à leur nature qui s'abat sur la contrée à l'occasion de chacune de leur visite effectuée en ces lieux.

Cependant, à côté de l'interprétation de ces deux couleurs extrêmes, il existe encore ce mélange de lumière et d'écran de fond qui vont du jaune au gris en traversant le marron pour passer du moins clair au plutôt assez sombre ou plus ou moins obscur. Ici aussi, certaines interprétations s'imposent de soi ou de droit.

Paradoxalement c'est dans le roux que réside à la fois le symbole de la fidélité accordée au pourtant domestique chien, même errant, accouplé avec celui de la malice reconnue au bien sauvage chacal et au très rusé renard. Quelques zébrures de fond plutôt bien noirâtres chez le premier félin cité le distinguent formellement d'une corpulence assez petite qu'étrenne l'autre carnivore à la robe bariolée de couleurs roux et blanc.

A ce niveau de précision assez aigue, la nuance à faire dans la distinction à opérer entre ces deux animaux sauvages se limite, en fait, à de menus détails qui tiennent surtout au timing et au lieu de chasse ainsi qu'à la trajectoire que prend l'échappée de leur course dans leur fuite et survie de battre en retraite ou de mettre en échec l'assaut des chiens de chasse dans leur course-poursuite.

Tandis que le chacal choisit ses proies en temps maussade et gris et surtout au crépuscule du jour finissant, le renard le fait dès l'aurore du jour naissant. Le premier tient à marquer son quartier général à l'approche des oueds et broussailles ou en pleine forêt au moment où le second choisit son territoire de chasse dans le pourtour immédiat de la demeure du fermier.

Du coup, le roux est cette couleur assez trompeuse au sein de laquelle se côtoient, se fourvoient et se conjuguent manifestement fidélité avec traitrise, tranquillité et confiance avec méfiance et malhonnêteté, amitié et compagnonnage avec adversité et grande solitude ? Ici et là, on est vraiment bien loin de la chose (couleur) très sombre mais aussi de celle tout à fait claire !

Mais comment donc arrive-t-on à vraiment bien distinguer le bon grain de l'ivraie ? Où s'arrête la fidélité du chien et où commence la menace du chacal ? Où se trouve encore la ruse du renard ? Ça parait déjà assez confus ! Quant à essayer de détecter ces comportements animaliers chez l'être humain, cela relève d'une gymnastique plutôtfort complexe !

Se sachant moins rusé que le renard, le chacal avoue qu'il assimile, en revanche, très vite les leçons des expériences vécues ou du passé. Raison pour laquelle il ne marque cependant ses haltes, pour une courte durée, le temps de tracer une nouvelle trajectoire à sa future destination, qu'au niveau des crêtes des montagnes, sommets de collines et autres lieux vraiment hauts et dégarnis de végétation.

L'homme très malin lui emprunte en toutes propriétés et sans vergogne ses « menues qualités », innée mentalité comme ses très nombreux défauts. Plutôt tous ses grands défauts et interminables méfaits ! A défaut de se confondre avec une quelconque couleur propre à la nature, ce dernier prend donc d'office le surnom de chacal (dhib) !

Il devient forcément ce « chacal bipède » qui louvoie, ce fourbe qui trompe à tout va, ce traitre qui traite les humains à la manière de ses proies faciles, toutes désignées ou sur son registre déjà consignées ! Il monte en escalade dans ses nombreuses parades et grandes escapades au cœur de ses longues et interminables ballades !

Il est ce « vieux loup » que produit désormais cette « médiocrité sociétale » qui s'écarte définitivement de nos bonnes valeurs et traditions ancestrales, héritées depuis des lustres, pour leur substituer ces autres « manières de faire ou d'agir » qui, bien malheureusement, « comptent beaucoup » dans le quotidien des algériens. A telle enseigne que toutes les normes sociales et valeurs humaines auront été totalement inversées !

Aussi le domaine politique, connu pour servir de lieu d'expression« plutôt de théâtre de l'art du mensonge que celui de l'art du possible », se trouve être finalement le lieu privilégié de pareils comportements pour le moins qu'on puisse dire vraiment condamnables à tous les égards.

Et pour illustrer leur ras-le-bol vis-à-vis des élections locales, les citoyens de la ville d'Ain-Beida (Oum El Bouaghi) n'ont pas trouvé mieux que de partir chasser un chacal en chair et os, et ensuite exposer son corps inerte au lieu et place réservés aux candidats à la magistrature de leur commune, comme pour leur indiquer cette fable de la morale communautaire qu'ils retiennent finalement de la gouvernance de la chose publique.

Cette « manière de faire », pour le moins expressive mais assez osée tout de même, démontre le peu d'intérêt de la population à l'égard de l'organisation de ces élections dont ils connaissent déjà le résultat truqué de leur scrutin tout comme d'ailleurs les noms des « futurs élus de l'administration » ou encore les éternels revenants maires de toutes les contrées du pays.Ah ces revenants !

Dans leur habit de chacal alléchés par l'odeur putride des restes de cadavres qu'ils partent à leur recherche, les uns suivent le sens et la direction que leur indiquent le flair de leurs nasaux, tandis que les autres, non encore complètement rassasiés, reviennent de nouveau sur ces mêmes lieux où ils se sont longtemps empiffrés jusqu'à satiété.

Ils ont encore en mémoire cette façon condescendante de se pourlécher les babines devant toutes ces meutes de petits rapaces, et autres passereaux, montant la garde à distance mais qui n'attendent que leur ordre ou départ définitif des lieux pour, à leur tour, passer à l'action.

Un « feed-back » aussi sérieux de l'Algérie profonde,exprimé à travers cette savante caricature, au sujet de ces « élections qui ne changent rien dans le quotidien de l'algérien » représente cette autre leçon de démocratie qui exclut de son champ d'action les principaux acteurs de sa bonne expression. La subtile caricature fait l'économie du commentaire, souvent très utile. Elle en simplifie l'expression et en synthétise sa portée et rapide compréhension. Mais dès lors que celle-ci renvoie à ces caractères ou comportements vicieux hérités des races animales connues de tous, elle vole la vedette à tous les textes de prose et de poésie réunis.

Elle fait tout simplement dans ce cliché qui traduit un humour fort, irrésistible, décapant, et très expressif où se dessine en mouvement le quotidien des êtres humains.

Cheikh Noui de la chaine Ennahar TV aura beau user de toutes ses prouesses dans son émission consacrée à ces comportements de nos élus qui empruntent aux chacals leurs manières de « louvoyer au sein de la bergerie locale», il ne parviendra jamais à égaler l'image de la caricature qui consistait à exposer « la dépouille de ce carnivore » parmi les prétendants à la gouvernance de nos institutions locales et départementales.

A ce niveau-là, on est déjà monté d'un cran dans la philosophie de la gabegie ! Bien loin aussi de la galéjade qui distrait !

L'automne est la saison la plus triste de l'année. Y organiser des élections exclut de facto ce printemps démocratique longtemps espéré. Rien ne sert de crier après au loup ! Il y est déjà, parmi nous, en nous-mêmes.