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Cafouillage dans les estimations des réserves des hydrocarbures en Algérie

par Reghis Rabah*

Que ce soit en ressources conventionnelles ou celles qui ne le sont pas, les chiffres officiels avancés ne sont pas rassurants et notamment depuis l'amorce de la chute des prix du baril en 2014. Pourquoi cette date ? Car jusqu'à là, un prix fort voile toutes les baisses qui se sont manifestées aussi bien dans le gaz que le pétrole brut. Pourtant, à l'occasion du 24 février 2013, lors de son passage à Tiaret pour inspecter l'avancement des travaux de la nouvelle raffinerie, M. Abdelhamid Zerguine, alors PDG de la Sonatrach affirmait que l'Algérie aura épuisé ses réserves de pétrole et de gaz conventionnel entre 2020 et 2025 en raison d'un double phénomène de baisse de production ajoutée à l'augmentation de la consommation intérieure. Cette dernière passera en effet de 35 milliards de mètres cubes gazeux en 2012 à 70 milliards en 2017, notamment en raison du doublement de la production d'électricité par les turbines à gaz ou au diesel (01). Pour lui, et bien d'autres cadres après lui, l'Algérie ayant connu son pic pétrolier entre 2005 et 2007 avec 2 millions de barils/jour, la courbe décroissante avait commencé dès 2008. Plus d'une année après, le 1er juin 2014, le premier ministre de l'époque M. Abdelmalek Sellal devant l'APN devait crever l'abcès par une déclaration fracassante : «D'ici 2030, l'Algérie ne sera plus en mesure d'exporter les hydrocarbures, sinon en petites quantités seulement A cette date, nos réserves couvriront nos besoins internes seulement.» Depuis, les chiffres défilent à en donner le vertige. Quelle est justement la problématique générale des réserves dans le monde et celle de l'Algérie en particulier ? De quelles réserves parle t-on ? Quelle est cette valse des chiffres ? Quelles en sont les sources ? Enfin qui croire ?

1- Cette histoire de la fin du pétrole est vieille comme le monde

Quelques années après la découverte des hydrocarbures et la ruée américaine vers ce nouvel Eldorado, on a commencé déjà à spéculer sur sa fin probablement de part sa forme fossile. Il a été établi de part le monde et l'Algérie n'en fait pas exception qu'on a consommé plus qu'on en a découvert et pourtant les réserves ont bel et bien augmenté depuis le début de la décennie 70, pourquoi et comment ?

D'abord il n'y a pas eu de découverte de gisements géants comme ceux découverts par le passé comme Ghawar en Arabie Saoudite, Cantarel au Mexique, Burgan au Koweït, Daqing en Chine ou pourquoi pas Hassi Messaoud en Algérie. Même la récente découverte brésilienne d'un gisement de 33 milliards de barils au large de Sao Polo, n'est qu'au stade hypothétique si ce n'est pas un jeu d'entreprise pour augmenter la valeur de ses actions. L'Algérie aussi par le biais Sonatrach avait annoncé la découverte d'un nouveau champ pétrolier d'environ 1,3 milliard de barils près d'Amguid Messaoud, dans le sud du pays. «C'est l'une des plus importantes découvertes réalisées par Sonatrach ces vingt dernières années», a déclaré le ministre de l'Energie et des Mines de cette époque, Youcef Yousfi. Le site se trouve à 112 km de Hassi Massoud, le plus grand champ pétrolier d'Algérie. Le ministre a expliqué que la Sonatrach devra recourir à des techniques non conventionnelles de forage pour extraire 50 % des réserves. Selon un haut responsable de l'entreprise en l'occurrence Saïd Sahnoun, ces techniques augmenteront le coût de la fracturation hydraulique d'environ 10 % pour le projet global. (02) Le développement du champ est prévu dans trois à quatre ans. Dans un premier temps, la compagnie Sonatrach doit effectuer des travaux pour établir la façon exacte dont sera exploité le gisement. A ce jour, aucune nouvelle sur cette découverte où du moins n'a pas changé d'un iota les réserves en place. Par contre la reconstitution de réserves dans le monde s'explique d'une part par l'avancée énorme des conditions techniques. On pénètre mieux le gisement par le forage horizontal et on délimite mieux les contours de la structure grâce à la sismique 3D. Ceci a fait que le coefficient de récupération des quantités dans le sous sol est passé de 25 à 35%.En d'autre termes on récupère plus que par le passé D'autre part les conditions économiques avec un baril à plus de 100 dollars a rendu possible l'exploitation des gisements marginaux qui étaient auparavant trop chers à produire. Peut être faudrait-il préciser le concept de réserves à la société civile pour qu'il puisse suivre ce dont on leur parle.

Les réserves prouvées :

C'est la quantité d'hydrocarbures qu'on récupère avec certitude dans les conditions techniques et économiques actuelles. Cela voudrait dire qu'on est assuré de leur production et si l'on opte pour une approche probabilistique, on les situerait dans la fourchette des 90-95%. Si les gisements sont développés alors ils sont prêts à produire mais s'ils ne le sont pas, ils nécessitent des investissements considérables. Les dernières découvertes en Algérie sont encore au stade de délinéation.

Les réserves probables :

C'est la quantité d'hydrocarbures additionnelle que les informations géologiques et techniques permettent d'envisager de récupérer dans un futur immédiat. Même si l'on compte raisonnablement sur leur récupération, elles restent tout de même dépendantes des conditions techniques et économiques futures, (immédiat ou pas).

Les réserves possibles :

Ce ne sont que des estimations de quantités additionnelles d'hydrocarbures portant sur des gisements aujourd'hui inconnus ainsi que les ressources non conventionnelles. Ces réserves se situeraient dans une fourchette probabilistique de 5 à 10 % et dépendent entièrement des conditions aussi bien techniques qu'économiques futures.

Le principe est qu'au fur et à mesure du déroulement du programme de développement d'un gisement, les réserves possibles passent successivement à celles probables puis prouvées. Toutes ces réserves sont dites « récupérables ». Les Américains du Nord donnent uniquement les prouvées, les Russes sanctionnent sévèrement celui qui les divulgue sans l'autorisation de l'Etat et le reste du monde les calcule de la manière suivante : 100% des Prouvées auxquelles on ajoute 50% des Probables et 25% des Possibles.

A partir de cette classification tout à fait admise et adoptée par le monde pétrolier et gazier, on peut situer les réserves de l'Algérie comme suit : Celles des gisements existants, comme Hassi Messaoud, Hassi R'mel, et les autres comme prouvés avec un coefficient de récupération qui varie entre 18 à 22%. Quant à cette histoire de gaz de schiste, elle se situe dans celles possibles en dépit des 3 forages d'Ahnet. C'est pour cette raison que les chiffres qui sont données pour le gaz et le pétrole de schiste varient parfois de 1 à 1000. Quels en sont ces chiffres justement et leurs sources d'estimation ?

2- Les évaluations des réserves du pétrole et du gaz en Algérie

Laissons ce qu'il ya dans le trou et occupons nous en premier lieu ce qu'il ya entre nos mains, c'est-à-dire le conventionnel. Si l'on se réfère aux chiffres officiels dont les derniers sont communiqués par le ministre de l'énergie lors du conseil des ministres du 6/10/2015(03), nous avons si l'on reconvertit les TEP (tonne équivalent pétrole) en barils 10,17 milliards de barils et 2745 milliards de m3 de gaz toutes formes confondues. Ce sont là des estimations que de nombreux experts considèrent comme raisonnables eu égard aux découvertes qu'il ya eu depuis début des années 2000.Au rythme moyen de production, ceci laisse à peine 20 ans pour le pétrole 29 ans pour le gaz. Une autre source et pas des moindres, reste la prestigieuse revue de British Petroleum « The BP Statiscal Review of World Energy »(04) sur laquelle semblent se baser de nombreux experts algériens, lorsqu'on compare les chiffres des uns et des autres. Pour cette source qui semble crédible, l'Algérie avait au moment de la promulgation de la loi 86-14 qui a instauré le régime de partage de production, les réserves en pétrole à cette date, étaient de 8,8 milliards de barils. Les prés de 430 découvertes dans le cadre de cette loi lui ont fait gagner 1,396 milliards de barils et la consommation de toute la période pour se stabiliser à 12,2 milliards de barils qui n'a pas bougé depuis 2005 pour lui donner un répit de 21,1 ans. Pour le gaz et sur la même période, on est passé de 3200 milliards de m3 à 4500 milliards de m3 en 1999 pour rester à ce niveau à ce jour. Pour le ratio réserve /production, la revue le situe à 57,8 ans. Les détracteurs de cette approche statistique lui reprochent justement cette invariabilité des chiffres sur plusieurs années voire décennies. Un excellent rapport à été fait par Attar Abdelmadjid, l'ancien PDG de Sonatrach(05) et surtout homme de terrain pour avoir géré en tant géologue plusieurs années l'exploration de la société nationale. Ces chiffres ne s'éloignaient pas de ceux officiels en ce qui concerne le conventionnel. Cependant, le rapport a pu spéculer sur les réserves en place qu'il évalue à 1,4 milliards de barils de liquide prouvé et techniquement récupérables et pour le gaz de 420 à 840 milliards de m 3soit le double. D'autres experts justifient les 4500 milliards de m3 par une répartition par gisement (06): Hassi R'mel aurait 2000 milliards, les autres gisements 1000 milliards de m3 et les 1500 milliards de m3 restant, ce n'est que du gaz associé.

3-La valse est surtout accentuée dans les réserves de l'Algérie en gaz de schiste

Tout a commencé par le rapport du département américain (EIA) (07) qui évalué les réserves en gaz de schiste Algérien à 812 TCF dont 230 techniquement récupérables reconvertit en m3, cela donnerait respectivement 22980 milliards et 6505 milliards (08). Deux ans plus tard, le même département devait réévaluer ses estimations à la baisse (09) pour les arrêter à 706,9 TCF cette fois ci en gaz de schiste humide dit « wet shale gas » et 5,7 de l'huile de schiste dite « tight oïl » et nous classe comme troisième réserve du monde après la Chine et l'Argentine. Depuis les spéculations sur le sujet vont bon train. Le premier protocole d'accord entre Sonatrach et l'Italienne ENI évoque carrément le terme d'exploitation du gaz de schiste en Algérie sans pour autant expliquer sous quelle forme juridique. Avant même de finir le premier puits Ahnet-1, depuis Kuala Lumpur en Malaisie, Zerguine, alors PDG de Sonatrach donnait des chiffres fracassants sur des études qui selon lui sont déjà terminées alors que l'opinion publique croyait qu'on venait juste de débuter un forage de reconnaissance. Il annonce dans le même contexte qu'une superficie de 180 000 Km2 a révélé un «potentiel énorme» de gaz de schiste dépassant plus de 600 millions m3 par kilomètre carré, ce qui signifie que plus de 108 000 milliards de m3 de réserves en place. Si l'on recouperait uniquement 15%, cela fait 16200 milliards de m3 soit prés de six fois les réserves conventionnelles en gaz. Une fois les puits d'Ahnet terminé en 2015 et lors du passage des ministres de l'Energie, celui des Ressources en eau et la ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement dans la région d'In Salah, le discours développé est resté confiné autour des réserves et de la production qu'on tire du gisement d'Ahnet. Selon le ministre de l'Energie, sur un périmètre de 100 000 km2, chaque km2 contiendrait quelque 2 milliards de m3 de gaz. Soit 200 000 milliards de m3 de gaz non-conventionnel, observe-t-il. «Si nous exploitons simplement 1%, pourquoi pas le taux généralement admis de 10%, nous pouvons valoriser 20 000 milliards de m3 de gaz » soit deux siècles de vie au rythme de consommation moyenne d'ici là. Tout récemment, Abdelmadjid Attar(10), dans son rapport daté du 06/10/2016 évalue les ressources non conventionnelles liquides de 192 à 240 milliards de barils dont 14 à 21 milliards de barils récupérables soit en moyenne une fois et demi à deux fois les réserves conventionnelles. En ce qui concerne le gaz, elles seraient de 25 à 140 000 milliards de m3 dont 22 000 milliards de m3 pourraient être récupérés. Le premier octobre dernier et emboitant le pas à son premier ministre en visite à Arzew, le premier responsable du secteur de l'énergie a déclaré sans donner de précisions sur la forme contractuelle que des évaluations réalisées par Sonatrach, avec des compagnies pétrolières internationales, sur cinq bassins sahariens, l'Algérie dispose de 4.940 trillions de pieds cubes (TCF) de réserves de gaz de schiste, dont 740 TCF sont récupérables sur la base d'un taux de récupération (TR) de 15% pour les zones d'Ahnet, Timimoune, Mouydir, Illizi et Berkine. Enfin le 17 octobre dernier, un ancien directeur de stratégie au niveau du ministère de l'énergie(11), s'appuyant certainement sur un rapport qu'il n'a pas mentionné situe les réserves en gaz de schiste à « 700 000 milliards de mètres cubes (Téra m3), et non 700 000 milliards de pieds cubes (soit 30 fois moins) comme annoncé en 2013 par l'Agence US. Ces ressources techniques correspondraient à un potentiel économiquement exploitable de 70 000 milliards de mètres cubes, soit 35 fois plus que le gisement de Hassi R'mel, et beaucoup plus que les ressources en gaz de schiste américaines, canadiennes, chinoises ou d'Argentine » Si cela se confirme, nous aurons dépassé de loin les réserves mondiales en gaz de schiste annoncées par le département américain de l'énergie. De tels chiffres non seulement donnent de l'eau à la bouche aux gouvernants mais aussi déroutent le citoyen qui voit ce débat s'éloigner de son caractère sociétal.

*Consultant et Economiste Pétrolier

Renvois :

(1)- Déclaration de l'historien et spécialiste de l'Afrique Bernard Lugan à RT

(2)-lire le quotidien Français du 26/10/2013

(3)-Portail du premier ministère, fenêtre 03, texte intégral du communiqué

(4)- The BP Statiscal Review of World Energy 2017, Feuille de l'historique

(5)- rapport d'Abdelmadjid Attar du 06/10/2016 pour le compte du FCE

(6)-lire le point de vue d'El Watan du 17/10/2017

(7) http://www.eia.gov/analysis/studies/worldshalegas/

(8)-1 pied cube= 0,0283 mètre cube

(9)- Technically Recoverable Shale Oil and Shale Gas Resources report last updated: September 24, 2015

(10)-Ibid page 13

(11)- Ibid (06)