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L'approche rentabilité biaise le débat sur le gaz de schiste en Algérie

par Reghis Rabah *

Après une approche très technique en 2011, voilà que les différents intervenants se focalisent cette fois - ci sur la rentabilité de l'exploitation du gaz de schiste dans les différentes régions du domaine minier national hormis l'offshore bien entendu.

La première question que se poserait le citoyen lambda d'In Salah, Timimoune, Mouydir, Illizi et Berkine etc. et toutes les périphéries de ces gisements :

Est ce que ces scientifiques et professionnels qui soutenaient hier que cette ressources non conventionnelle est dangereuse pour l'environnement, les nappes d'eau et par les produits chimiques qu'elle utilise, l'ensemble de la population du sud de l'Algérie, seraient aujourd'hui d'accord pour cette aventure dans la fracturation hydraulique si elle s'avérerait économiquement rentable ? Que viserait cette approche financière ? Est-ce pour décourager l'exécutif pour revenir sur sa décision de reprendre le dossier de gaz de schiste ? Ou faire fuir les investisseurs ? Si tel est le dernier cas, comment expliqueraient ?ils qu'avant même que les autorités algériennes s'apprêtent à créer un conseil d'experts chargé de rédiger la feuille de route de la nouvelle politique énergétique permettant l'exploitation du gaz de schiste, de nombreux mastodontes mondiaux et pas des moindres, ont d'ores et déjà manifesté leurs « intentions » à la Sonatrach ? En effet, des sources concordantes assurent qu'une première liste de compagnies internationales, qui ont déposé leurs candidatures pour explorer le gaz de schiste algérien, a été d'ores et déjà confectionnée par la société nationale. Y figurent notamment l'américaine Anadarko, l'italienne ENI, la française TOTAL, les britanniques de BP et les norvégiens de Statoil.

Toutes ces compagnies ont affiché leur volonté pour investir sur le gaz de schiste algérien. Elles attendent uniquement la levée de la bureaucratie et surtout plus de clarté dans les prochains amendements de la loi. Si on va suivre le raisonnent par le cash flow tel que exposé par certais experts, cela voudra dire que ces multinationales qui roulent leurs bosses dans ce domaine depuis plus d'un siècle, ne connaissent pas leurs intérêts ou ne savent pas calculer leur retour sur investissements ? En quoi l'Algérie est-elle concernée ? Que ce soit le régime de partage de production régit par la loi 86-14 ou celui de la concession suivant la loi 05-07 de 2005, c'est toujours l'investisseur qui prend le risque. Alors, ces mastodontes ne savent- ils pas évaluer le risque ? Ou ont-elles perdu la raison ? Pour se porter candidats avant même de voir les amendements en projet ? Il est probable que les essais sur le champ d'Ahnet, ont donné de l'eau à la bouche à ces société pour déduire que le pétrole et le gaz de schiste dans le domaine minier saharien sont bien enfouis avec un indice carbone important voire même que la roche mère est facilement stimulable combien même on utilise cette fameuses fracturation hydraulique tant crainte par la population.

Maintenant si elles se trompent, tant pis mais pour ce qui concerne l'Algérie, le débat doit s'orienter sur les impacts du gaz des ressources conventionnelles sur l'environnement, la nappe de l'Albienne et la santé publique pour rassurer une population meurtrie par l'expérience nucléaire de la colonisation Française. Les comptes comptables ne sont pas un souci algérien mais celui des investisseurs eux mêmes, lesquels investisseurs savent bien défendre leur croûte surtout dans une activité aussi capitalistique et risquée comme celle de l'exploration des hydrocarbures. Il faut peut être reconnaitre que l'exécutif Ouyahia a le mérite de poser la problématique de l'économie algérienne d'une manière crue : il n'y a plus d'argent pour faire tourner la machine, 1 /3 du gaz produits dans les champs en Algérie est réinjecté pour maintenir la pression des autres, l'autre tiers est consommé en interne et cette quantité progresse chaque année de 5%, en dépit des verrous mis sur l'importation des véhicules, on importe pour prés de 2 milliards de dollars de carburant pour le parc existant, le principal champ gazier de Hassi R'mel d'une réserve évaluée à un peu moins de la moitié de tous les gisements soit 2000 milliards de m3 s'essouffle et exige un boosting pour traverser les différents modules, la solution du financement non conventionnel ne peut pas être éternelle mais très limitée dans le temps. Le gaz de schiste américain, celui des russes et des qataris chassent dans les marché traditionnel de Sonatrach qui est l'Europe.

Une entreprise Britannique du nom Sound Energy compte produire quelques 2 milliards de mètres cubes de gaz par an tout prés de la frontière Algéro-Marocaine à quelque kilomètres de Ain Sefra pour le compte du Maroc. D'abord sur un gisement de gaz de schiste ensuite il prévoit l'envoyer à travers son tronçon sur le GME en Espagne et au Portugal Etc. Alors ! Que devra faire l'exécutif ? Si on continue à l'emmener sur le terrain de la rentabilité, opportune ou pas, cette approche purement financière renvoie à plusieurs interrogations.

La première est comment se fait-il que le Maroc qui ne dispose d'aucune expérience pétrolière s'aventure pour la première fois directement dans le gaz de schiste et selon toute vraisssemblance, il est sur le point de réussir ? En supposant que l'exploitation du gaz de schiste est non rentable, permettre aux sociétés déjà candidates d'explorer les gisements de schiste gratuitement, l'Algérie serait gagnante quelque soit le cas de figure. En effet, si le potentiel de gaz ou de pétrole de schiste est économiquement insuffisant, l'Algérie aura gagné le fait de ne rien perdre car toute la recherche est à la charge de l'investisseur.

Dans le cas où c'est rentable, elle viendra tranquillement partager le fruit à la tête du puits. Dans le pire des cas où il n' y a pas du tout de gaz ou de pétrole de schiste, elle aura gagné d'avoir évalué son potentiel au lieu de promettre du néant aux générations futures. Donc, il est préférable que nos experts, au demeurant très actifs et conscients des difficultés que traverse leur pays, avancent des solutions et pourquoi pas une alternative. Par exemple la piste de la stimulation des gisements existant comme Hassi Messaoud, Rhourd El Baghel, Rhourd Nous et d'autres pourrait être intéressante à développer. Quoi d'autres ? Le solaire ? Oui ! Mais avancez le prix du KWh etc.

Par contre, le ministre de l'énergie a mis le doigt sur la plaie

C'est se leurrer que de continuer de croire qu'un petit bonus d'entrée ou une taxe superficiaire qui varie en fonction des zones et des périodes de recherche à moins de 40 à 160 dollars le Km² et encore moins la taxe sur les revenus pétroliers qui permet à l'investisseur de souffler comme il veut pour gonfler ses dépenses et diminuer ainsi la base de son calcul, décourageraient les capitaux dans le domaine de l'amont pétrolier pour au moins deux raisons. La première revient à l'envergure des sociétés qui viennent. Ce ne sont pas des PME mais très souvent ramifiées aux multinationales dotés d'une assise financière appréciable et d'une expérience avérée dans la prospection, la recherche, l'exploitation, le transport et la commercialisation des hydrocarbures. La deuxième est sans aucun doute l'avantage d'un risque géologique qui leur est très favorable : une probabilité de succès de 0,55 contre une moyenne mondiale qui se situe à moins de 0,2. Par contre la bureaucratie non seulement les « irrite » mais aussi alourdit leur coûts de transaction de départ souvent pour un résultat nul.

Cette configuration du climat des affaires arrange les Italiens par exemple, les affaires de corruption qui ont touché les sociétés de ce pays ces dernières années sont édifiantes. Les Chinois s'adaptent et la présence de prés 40 000 chinois en sont une preuve irréfutable, viennent dans une moindre mesure les autres pays avec à leur tête la France qui connait très bien le rouage des affaires en Algérie par avoir fréquenté les Algériens depuis une longue durée. Les autres pays à tendance anglo-saxonne en général et les Américains en particulier n'ont pas cette patience car ces pays évaluent le temps en argent. C'est malheureusement eux qui investissent beaucoup dans le pétrole et le gaz. Avant de quitter le pays, l'ancienne ambassadrice des Etats Unis, Mme Joan A. Polaschik avait accordé une interview au journal Liberté. Elle avait déclaré que la bureaucratie reste très lourde en Algérie. C'est difficile d'enregistrer une société en Algérie.

Le système bancaire est compliqué. Les entreprises américaines constatent des limitations dans le libre-échange notamment commercial et pour le transfert des bénéfices des sociétés américaines implantées en Algérie, le fait que le dinar ne soit pas convertible constitue une difficulté pour ces investisseurs. En ce qui concerne la règle 51/49, elle cite l'exemple de Général Electric qui semble à l'aise car elle ramène un savoir faire et détient le pouvoir par sa compétence qui ne gêne en rien qui d'elle ou de Sonelgaz détienne dans l'association des parts majoritaires. Par contre les autres sociétés notamment de taille de PME viennent en Algérie seules ou en consortium pour mettre sur le tapis une mise risquée et d'insinuer indirectement que les obliger à s'associer avec une organisation qui fait un pas en avant et trois en arrière les dérange beaucoup. Il se trouve justement que la bureaucratie et ceci est de l'avis aussi bien des investisseurs résidents que ceux qui ne le sont pas, n'est pas spécifique aux hydrocarbures mais touche tous les secteurs de l'économie nationale.

C'est désormais un sport national. La bureaucratie se développe en créant dans le rouage de gestion des niches de corruption qui sont devenues avec le temps le ciment d'un ordre établi où chacun trouve son compte. Il est le résultat d'un noyautage des instituions de l'Etat à travers le recrutement familial et celui de copinage. Aujourd'hui, si un responsable touche à ce dossier pour tenter de remédier à la situation, tout le monde se sent touché et lui tombe dessus. Si on déclare la guerre à un fléau social comme compte le faire Monsieur Guitouni, c'est que les règles et les lois qui régissent ce fléau ne sont plus valides et insuffisantes. On est donc contraint de les outrepasser. En général, la guerre gèle les procédures ordinaires pour passer à la casse.

Un des critères majeur pour qu'un général mène un tel combat : il faut qu'il soit lui-même blanc comme neige, ne traine pas des casseroles et surtout n'a aucun caillou dans le soulier qui entrave sa démarche. Les exemples ne manquent pas. Abdelmalek Sellal a tenté de s'attaquer aux dysfonctionnements, dés sa prise de fonction de premier ministre le 03 septembre 2012. Il a échoué dans les dossiers de rajeunissement du secteur public, l'allégement des procédures bancaires, la dissolution des calpiref pour redynamiser les investissements par une répartition efficace du foncier, la réinsertion du secteur informel dans l'économie réelle et bien d'autres. Des efforts appréciables ont été fait au niveau des collectivités locales notamment l'état civil pour le reste aucune progression n'a été visiblement constatée mais le système l'a fait sortir par la petite porte comme corrompu lui-même à travers sa fille de 26 ans qui a acquis et avant son mariage avec un libanais un joli appartement aux Champs Elysée. Plus récemment, en été 2017, le plus dynamique des ministres qui a occupé plusieurs fonctions dont deux ministères à la fois, promu premier ministre, s'est attaqué à la fuite des capitaux par des résidents se retrouve aujourd'hui persona non grata. Certaines sources journalistiques le déclarent mis en examen, d'autres carrément aux arrêts.

*Consultant et Economiste Pétrolier