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LIVRES D'HISTOIRE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

L'Udma et les Udmistes. Contribution à l'histoire du nationalisme algérien. Etude historique de Malika Rahal. Editions Barzakh, Alger 2017, 1 200 dinars, 517 pages.



L'ouvrage est issu d'une thèse de doctorat menée sous la direction de Benjamin Stora, soutenue en novembre 2008 à Paris devant un jury composé, entre autres, de Omar Carlier et de Mohamed Harbi. C'est tout dire quant à la richesse du travail effectué ! C'est, en quelque sorte, l'histoire d'un homme qui a largement contribué à l'éveil de la conscience politique nationale et nationaliste, tout particulièrement durant les années 40 et 50 (1946 à 1956) avec un parti politique, l'Union démocratique du Manifeste algérien, l'Udma. Son chef (pas son «zaïm», mais seulement son fondateur et animateur principal avec, à ses côtés, des militants lumineux comme les frères Ahmed et Ali Boumendjel ; ce dernier sera assassiné le 23 mars 1957 à Alger, ayant été arrêté le 9 février, Ahmed Francis, Mohamed el-Aziz Kessous, Ahmed Benzadi, Ahmed Hadj Ali, Hassan Bourouiba, Abdeslam Benkhellil... ), ainsi que les militants, ont longtemps vu leur rôle minimisé, tout particulièrement par les défenseurs de l'histoire dominante (toujours plus nombreux après la victoire et ré-interprétant à leur manière telle ou telle phrase ou idée ou action des politiciens de l'avant-guerre), tenants de l'idée que conduire pacifiquement l'Algérie à l'indépendance allait immanquablement conduire à l'échec. Pour eux, l'Udma n'était autre qu'un simple «rassemblement» regroupant surtout des notables, des intellectuels, des laïcs, de rêveurs, des francophones... Tous oublieux de contextualiser et de la réalité du terrain ; un terrain d'après-guerre (la seconde guerre mondiale) bouillonnant, explosif même (on l'a vu lors des manifestations suivie de massacres le 8 mai 1945 dans plusieurs villes du pays : Sétif, Kherrata, Guelma... plus de 45 000 victimes des militaires français et surtout des milices européennes, mûs bien plus par un racisme certain). Tous oublieux qu'il y avait sur la scène politique algérienne, de manière clandestine ou visible mais toujours étroitement surveillés, un ou plusieurs partis ou mouvements : Udma, Ppa-Mtld, ?Ulémas, Pca... une pluralité mise sous tension permanente d'idées avec, toujours, en fond, non sans chocs souvent brutaux, un désir irrépressible d'union des tendances indépendantistes... Au niveau de l'Udma, ceci a amené bien de ses militants à «fréquenter assidûment» les geôles coloniales ou l'exil... le parti et son chef à rejoindre, le 25 avril 1956, («un grand coup sur la scène internationale») le combat menée par le Fln/Aln... et Ferhat Abbas à devenir, à partir de septembre 1958, le (premier) président algérien (Gpra) dans lequel les Udmistes «y accomplissent des tâches où l'on reconnait le savoir-faire élaboré durant la décennie précédente... conférant également au Fln un crédit suplémentaire»... il sera, par la suite, le (premier) président de la (première) Assemblée nationale constituante... pas pour longtemps certes, sa nature démocrate et républicaine entière, respectueuse des libertés, n'ayant pas supporté les nouvelles roueries politiciennes. Il sera, encore une fois, le premier grand responsable politique de l'après-indépendance... à démissionner, avec un mot-clé : «La démocratie seule est salutaire». Il connaîtra, de ce fait, bien d'autres mésaventures avec le «pouvoir». Et il sera, hélas, le premier chef d'Etat algérien à être emprisonné et malmené par les nouveaux dirigeants du pays.

Malika Rahal analyse donc ce (grand ) moment de l'histoire, en allant dans les détails de l'évolution d'un homme et d'un mouvement politique qui venait de passer, en février 1943, avec la rédaction et la diffusion du Manifeste du peuple algérien, avec fracas, au nationalisme, faisant le procès de la colonisation française et rejetant définitivement l'assimilation... Un homme et un parti (qui avait rassemblé, un certain temps, jusqu'à 500 000 membres...) ? certes complexes car à «plusieurs vies» - objets de bien des détestations mais qui, peut-être, ont été les moteurs des débats politiques et des discussions les plus relevés du moment... et dont les idées démocratiques et républicaines connaissent, aujourd'hui, le plus de nostalgie.

L'Auteur : Chercheuse à l'Institut d'histoire du temps présent (Cnrs/Paris). Spécialiste de l'histoire de la colonisation, elle travaille désormais sur la vie politique de l'Algérie indépendante. Déjà auteure de «Ali Boumendjel, une affaire française, une histoire algérienne» (Editions Barzakh, 2011)

Extraits : «Il semble que, dans le contexte des premières années de l'indépendance, la dévalorisation progressive de l'engagement aux côtés de Ferhat Abbas puis l'instauration du régime du parti unique par Ahmed Ben Bella aient sapé les cadres sociaux d'une mémoire collective» (p 30), «L'histoire de la période qui va de 1946 à 1954 a souvent été racontée comme une succession d'avancées et surtout, d'échecs sur le chemin de l'union entre les nationalistes algériens- une union dont l'ultime aboutissement serait la fondation du Fln» (p 137), «Loin de n'être qu'un courant politique, l'Union démocratique du Manifeste algérien est d'emblée projet et entreprise partisane, fondés sur la croyance que le parti constitue la forme supérieure d'organisation collective» (p 243), «L'Udma est fortement identifiée à son principal leader, Ferhat Abbas, au point d'avoir été maintenue dans l'ombre de l'imposante stature de ce dernier «(p 311).

Avis : De la rigueur dans la démarche, de la richesse dans les détails, de la «vérité» dans les informations recueillies, présentées et commentées... l'histoire des luttes politques d'un pays, mais aussi et surtout, celle d'un homme qui ?malgré tout et ayant cotôyé plusieurs générations militantes - avait l'Algérie, la démocratie et la liberté au cœur... dans le sang... jusqu'à sa mort.

Citations : «J'ai connu la lutte mais j'ai ignoré la haine. L'union dans la démocratie, la fraternité dans la justice, ont été ?et demeurent- ma seule religion politique. Mes mandats ne m'ont pas enrichi. J'ai tout sacrifié à mon devoir et à mon idéal» (Ferhat Abbas, in «Le Courrier Algérien», 14 mai 1946, p 49 ), «La caractéristique la plus significative de l'Udma, son idée centrale, est que c'est par les citoyens qu'il faut faire la république ; le parti doit donc être tout à la fois : un lieu de production de pensée, où les intellectuels prennent leurs responsabilités en partant à la conquête du savoir, et où les adhérents peuvent devenir des citoyens» (p 199), «Ce n'est pas le rôle de l'historien(ne) d'être le justicier de la mémoire en réhabilitant à toute force ceux qu'il/elle estime injustement traités par leur société «(p 545)



Ahmed Boumendjel. Avocat, journaliste et diplomate. Etude historique de Amar Belkhodja. Anep Editions, Alger 2017, 950 dinars, 366 pages. Anep Editions, Alger 2017, 800 dinars, 214 pages.



Ahmed Boumendjel, dit «Boum»... né le 22 avril 1908 est l'aîné des sept enfants d'une famille originaire de Michelet (Béni Yenni / Grande ?Kabylie) et frère de Ali, assassiné par l'armée coloniale durant la guerre de libération nationale, le 23 mars 1954, à El Biar. Père instituteur ayant enseigné (Ahmed Francis fut l'un de ses élèves et Ahmed a fréquenté l'école «indigène» de Relizane) à Relizane de 1912 à 1924. Cours complémenbtaire dans la même ville. Normalien à Alger (1923-1926), service militaire, puis instituteur (comme son père) durant quatre années. Octobre 1932 : Paris, maître d'internat au collège Sainte Barbe et Fac' de droit. Président de l'AEMAF en 34-35. Participe au mouvement antifaciste et fréquente des milieux et cercles trotskystes (il a même rencontreé Léon Trotski). Licence en droit en poche, installé à Alger (rue Vialar, à proximité de Ketchaoua) il devient avocat. 1938 : mariage avec Gilberte Charbonnier, une enseignante connue à Paris et qui le suivra à Alger (Elle deviendra Saâdia... et lui donnera deux filles dont Fadhila-Chitour devenue plus tard prof' de médecine-endocrinologie. Saâdia sera enterrée après son décès à Sidi M'hamed aux côtés de son époux.

Il défend Messali Hadj en 1938... puis en 1941

Il adhère d'abord à l'Etoile nord-africaine (ENA... qui deviendra le PPA). «Il rejoint Messali Hadj uniquement dans son discours iconoclaste pas dans les procédures, approuvant les envolées lyriques, sans les intéger dans sa démarche intellectuelle» (H. Mezali, 2011)

1940 : Conseiller municipal d'Alger... et seul, il se prononce contre l'abrogation du décret Crémieux.

«Très fin, réputé pour son sens de l'humour, du dialogue et de la répartie, pétri de culture parisienne (..), il a toujours fait montre de sentiments nationalistes et indépendantistes profonds». A partir de 45, il dirige avec Ferhat Abbas les AML (créée à partir d'avril 44 sur la base de la plateforme politique appellée «Le Manifeste» rédigé en février 1943) «Son affabilité, sa rondeur, son intelligence, qu'il dissimule sous sa forte corpulence, lui permettent de jouer auprès de Ferhat Abbas, dont il est très proche jusqu'à l'indépendance, un rôle très important» (B. Stora et Z. Daoud, 1995). Le reste de sa vie est fait de lutte quotidienne, au barreau et au niveau de l'Udma ainsi que d'activités journalistiques prolifiques à «Egalité», parfois sous le pseudonyme de B. Mangel et Juba II alors que son épouse signait des articles du pseudo de Juba III... puis à «La République Algérienne» (dont il deviendra le red' chef, en juin 48, après la départ de Aziz Kessous), deux titres de presse de l'Udma (fondée en octobre 46)... et, à partir de 56, c'est la grande plongée dans le combat menée par le Fln/Aln. Il fera partie de la délégation négociant les Accords d'Evian. A l'indépendance, il deviendra ministre... poste qu'il quittera en 1964. Fonctionnaire à l'Unitar (Genève), il forme des cadres africains reprenant, de temps en temps, sa profession d'avocat. Il décèdera le 19 novembre 1982. 72 ans à peine. Mais, mission accomplie d'intellectuel et de militant nationaliste !

L'Auteur : Ancien journaliste (El Moudjahid-quotidien). Ses ouvrages, nombreux, embrassent un spectre assez large de la littérature, pour la plupart ayant trait à l'histoire, aux souffrances et aux drames du pays, de la région et d'une ville qu'il n'a jamais voulu quitter. Il y a aussi les études, les conférences.. .et des poèmes. Le titre de Dr Honoris Causa lui a été décerné, en 2017, par l'Université Ibn Khaldoun de Tiaret.

Extraits : «Le Manifeste du 10 février 1943 marque la rupture et le renoncement radical avec la «thèse mirage» de l'assimilation ou encore la notion si chère à Maurice Thorez selon laquelle la nation algérienne était une nation en formation. La messe est dite et tout le monde, du moins par ceux qui ont lu et approuvé le texte, fut invité à réciter la prière des morts devant la dépouille, inanimée et sans âme, d'une déesse déchue : l'assimilation» (p 61), «Yacef Saâdi fut déçu lorsque les Américains avaient projeté «La Bataille d'Alger». Certainement qu'il avait cru qu'on allait rendre honneur aux résistants algériens alors que le Pentagone voulait s'inspirer des méthodes que l'armée française avait employées pour vaincre le «terrorisme» (p148)

Avis : Ouvrage bien documenté, utile. En annexes, des articles de Ahmed Boumendjel (De la conviction, de l'argument et du style... assez moderne. Et, dignes de servir de modèle en enseignement du grand reportage, du commentaire et de l'analyse journalistiques)... et de Gilberte Charbonnier qui signait Juba III (dont trois sur le «dur destin de la femme Kabyle», pp 320-332)

Citations : «Le mouvement nationaliste (Udma-Ppa-Mtld) a complètement éliminé la tare régionaliste. Le coup de grâce lui fut asséné pendant la guerre de libération» (p 83), «L'idéologie colonialiste, alimentée nécessairement par le sentiment racial, s'est toujours manifestée pour entretenir le clivage entre le colonisé et le colonisateur (...) La communauté algérienne et la communauté européenne sont comme deux droites parallèles : elles ne se rencontrent jamais» (pp 91-92), «Nous enregistrons de grands ratages dans l'histoire. Sans Messali Hadj en 1954 et sans Ferhat Abbas en 1962, il faut avouer que l'Algérie ne s'est guère acheminée dans le véritable sens de l'Histoire. La crise n'est pas encore terminée» (p 171), «De Gaulle a beaucoup parlé. La nostalgie de Londres a fait de lui un incurable bavard» (Ahmed Boumendjel, in «Egalité», n° 91, 2 août 1947), «La France est sans doute le pays des révolutions, mais c'est surtout des révolutions trahies» (Ahmed Boumendjel, in «La République algérienne», n° 192, 16 septembre 1949),



Moments du Mouvement national. Textes et positions. Récit de Abderrahmane Kiouane. Editions Dahlab, Alger 2009, 350 pages.



Un homme qui a commencé très tôt, à peine au lycée, sa marche de combattant pour la liberté du pays. Une Histoire traversée par plusieurs autres histoires qu'il présente grâce à des textes (parfois commentés) fondateurs du mouvement national indépendantiste. Certes, il n'était pas le seul dans ce cas en Algérie, mais il a été, presque à chaque étape de son déroulement, à partir de l'âge de 13-14 ans ( après son accès ?avec une bourse dite deuxième série et grâce à un directeur d'école compréhensif - au lycée Bugeaud d'Alger, aujourd'hui Emir Abdelkader... et dans une ambiance de formes de résistance originales à (contre) la France ), au rond-point des évènements. «La «politique», on y revient malgré soi» écrit-il !

Il y a, d'abord, fin 1943, début 1944, le mouvement lycéen, avec la fondation de l'Association des élèves musulmans des lycées et collèges d'Algérie, Amla... puis l'Aeman et l'Aemna.

Il y a ensuite le Ppa et le Ppa-Mtld.

Il y a, aussi, la rencontre, soit en tant que militant soit en tant qu'avocat défendant des détenus politiques, avec les personnalités éminentes ou en devenir, de l'époque, dont Messali Hadj, à Bouzaréah, à son retour d'exil à Brazzaville... et Malek Bennabi, Sadek Hadjerès, Mostefa Lacheraf, Yahia Henine, Hocine Lahouel, Benkhedda, Yazid, Ferroukhi, Omar Oussedik...

Un parcours d'homme politique (et d'avocat) qui ne s'achèvera pas avec le fin du combat armé et l'Indépendance... mais qui finira, hélas, avec le sentiment que l'Histoire du Mouvement national (et du Ppa-Mtld) et du 1er Novembre 1954, reste encore à faire. «Les montages opérés avec peine, autour des origines de la guerre de libération n'ont servi ni les falsificateurs, ni l'honneur du pays», écrit-il, quelque peu amer... vivant, au moment où il écrivait ces mots, dans un autre drame national. Un prix payé «pour des mensonges proférés et des pratiques immorales qui ont semé le doute, la division du peuple et l'effritement d'un Etat».

A noter que, pour lui, Messali Hadj, revendiqué comme fondateur du Mouvement national, «restera devant l'histoire responsable des graves fautes commises avant et durant la guerre de libération nationale, à l'instigation de son caractère dominateur et des influences étrangères qui se sont exercées sur lui, mais il a donné consistance à un idéal politique mobilisateur décisif»

L'Auteur : Né en février 1925 à Alger («au pied du «Djebel», appelé, dit-il, incorrectement, «la Casbah»), cinquième d'une famille de cinq enfants, membre fondateur de l' «Association des élèves musulmans des lycées et collèges d'Algérie ( Amla). Etudes de droit (Alger), responsable de la section universitaire du Ppa... Avocat en 1947, il défend dès cette année les militants du Ppa-Mtld détenus? Adjoint au maire d'Alger en 1953, détenu en novembre 1954. Libéré (provisoire) en mars 1955, il rejoint la Délégation extérieure du Fln au Caire. Il représentera le Fln dans plusieurs pays du monde. Plusieurs responsabilités au sein de l'Etat, au Plan et à la Fonction publique après l'Indépendance. A la suite de la publication le 7 mars 1976 d'un texte en faveur d'une constitutante algérienne produit avec Ferhat Abbas, Ben Youcef Benkhedda, Cheikh Kheireddine et Hocine Lahouel, il n'exerce plus de fonctions... jusqu'à sa mise à la retraite en 1985. Il participe, en 1989, à la fondation du parti Oumma (avec B. Benkehdda, entre autres). Il décède le 1er février 20014. Auteur de plusieurs ouvrages.

Extraits : «La cassure de 1962 constitue le point de départ des chocs, des angoisses et des difficultés d'un peuple qui ne comprenait plus son présent et qui, pis encore, doutait de son avenir» (p 12), «La reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie a été une grande défaite politique pour la France, et la France ne pardonne pas au peuple algérien de l'avoir privée d'une autre «belle province». De Gaulle n'a donc pas «donné» l'Indépedance à l'Algérie» (p 90).

Avis : Des textes (dont certains personnels) et des commentaires (dont certains assez personnalisés) bien distincts, qui font de l'ouvrage un véritable outil documentaire en recherche historique.

Citations : «La mémoire, tout comme les écrits, ont leurs limites ; tout ce qui est humain étant relatif et certainement sélectif» (p 14), «Qu'est-ce que l'indépendance ? Eh bien ! C'était être chez soi entre nous, libres» (p 20)