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L'Etat providence, c'est fini dit-on ?

par Cherif Ali

Plusieurs observateurs l'ont relevé ; à quelques jours des élections locales, aucun engouement n'est perceptible au sein de l'opinion, et l'intrusion de la crise n'explique pas tout !

En principe, a tenu à le rappeler l'un d'eux, l'élection est ce moment privilégié des bilans, des offres publiques et de renouvellement de la représentation de la classe publique ; elle devrait à ce titre, susciter de l'intérêt et à forte raison, en situation de grandes difficultés, comme c'est le cas du pays.

Malheureusement, les querelles ont pris le dessus sur les questions de fond ; elles brouillent les quelques tentatives d'amorcer des débats sérieux à même de secouer cette précampagne électorale sans teint. Les électeurs apprécieront, eux qui espéraient que, cette fois-ci, les élections allaient se transformer en « espaces de dialogue sérieux sur les grandes questions de la Nation et les dossiers prioritaires, plutôt que des moments de surenchère, de manœuvre et de désinformation » !

A propos de débat, la presse a rapporté, par exemple, que celui prévu entre l'actuel P/APC FLN d'Oran et le candidat du RND, Mohamed El Moro a été tout bonnement annulé à cause du refus du premier nommé de se présenter. Des sources locales estiment que « le P/APC sortant n'aurait aucun argument pour défendre son bilan à la tête de la municipalité d'Oran ». Un refus qui a fait réagir plus d'un observateur de la scène politique locale qualifiant ce faux bond « de fuite en avant ».

L'autre incongruité nous vient du P/APC d'Alger-Centre qui aurait saisi les services compétents de la wilaya d'Alger pour signaler que l'adresse donnée par un candidat aux prochaines élections locales, en l'occurrence l'immeuble situé au 7, rue Larbi-Ben-M'hidi, n'existe plus : il a été démoli et une station de métro est prévue à sa place.

Pendant ce temps-là, la majorité présidentielle composée par le FLN, le RND, TADJ et le MPA a mis en place une stratégie à adopter à l'occasion des élections locales du 23 novembre :

? s'épargner mutuellement lors de la campagne électorale qui s'ouvrira dès dimanche prochain,

? s'assurer une entraide effective le jour même du vote «chaque parti qui n'est pas présent avec une liste dans une circonscription doit travailler pour son allié de la majorité le mieux placé face à l'opposition».

Un deal qui, certainement, profitera largement au FLN, puis au RND, mais, aussi, au TAJ et au MPA qui bénéficieront, dès lors, d'appuis de taille au niveau de certaines circonscriptions.

Il y a aussi cette question existentielle qu'aucun des partis politiques n'est arrivé à résoudre : transformer la chaleur de la foule, l'énergie juvénile et l'engouement primesautier des Algériens, en une force de persuasion qui évite la pente glissante de l'autocongratulation, du tout va bien et des lendemains qui chantent ?

Aujourd'hui, on ne le répétera jamais assez, l'élite algérienne, faute de ne pas avoir trouvé des solutions au pays, notamment économiques, est disqualifiée. Elle s'est mise elle-même hors jeu ! Pour le vérifier, il faut aller voir du côté des réseaux sociaux, Facebook, notamment, qui est en passe de devenir le plus grand média du pays ! Et ceux qui, parmi l'élite, pensent qu'ils peuvent conserver leur puissance et surtout leur avidité insatiable et leur voracité destructrice ont, désormais, du souci à se faire. Les peuples reprennent conscience, c'est un mouvement mondial qui a pris naissance aux États-Unis avec l'élection de Donald Trump et qui s'est poursuit en France, à l'occasion des élections présidentielles, où les électeurs ont décidé d'administrer une leçon aux « sachants » du pouvoir :

? ils ont déjoué tous leurs pronostics !

? le tout politico-médiatique s'est trompé !

C'est ce qui risque d'arriver au FLN et au RND dont les dirigeants à l'approche des élections locales pensent qu'ils en sortiront victorieux, que les jeux sont faits !

La crise pétrolière a ceci de particulier, c'est qu'elle a mis à nu la superstructure politique de l'Algérie qui est, complètement, gangrenée. À l'approche des élections, c'est le règne de la mangeoire : tous s'y précipitent, les partis islamistes en tête ! Les quotas sont fixés. Premiers servis, les obéissants parmi ceux qui se disent « appliquer le programme du président de la République » !

Ceci étant dit, force est d'admettre, qu'à ce jour, seuls les décideurs politiques ont eu trop de gain de parole ; on oublie qu'il y a d'autres énergies que l'on n'a pas assez écoutées, à l'image des producteurs de richesses et de savoir. De par le monde, pourtant, c'est la règle : les économistes sont appelés, et aussi payés, pour faire des analyses, et les gouvernants, notamment les exécutifs, se chargent de l'habillage politique des mesures qui sont préconisées par ces détenteurs de savoir, nonobstant leur idéologie, car il n'y a pas d'économie de gauche ou de droite, de la majorité au pouvoir ou de l'opposition ; la stratégie économique ne peut être que bonne ou mauvaise !

Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, est obligé de changer de braquet, après avoir pris tout de même toutes les mesures pour atténuer les tensions budgétaires subies par le pays. Il a admis que la crise est sérieuse et que la baisse du pétrole s'inscrit dans la durée. Le langage de vérité, se sont dits certains.

A priori, cela ne suffit pas ! Il est contraint de regarder aussi du côté des experts et des universitaires, et pourquoi pas à travers une « veille stratégique » qui servirait à étudier toutes les contributions qui se publient, spontanément, dans la presse nationale !!!

Toutes les contributions ? Peut-être pas car beaucoup parmi les gens du savoir font plus dans la rhétorique et la sémantique que dans l'analyse objective, sereine et sans complaisance du tableau de bord de l'économie du pays et de ses perspectives. Presque toutes leurs expertises se rejoignent, en ce sens qu'elles gravitent essentiellement autour de la révision des subventions et des transferts sociaux, de sorte qu'ils soient ciblés pour profiter aux catégories les plus démunies, la révision de la règle du 51/49 pour favoriser les investissements étrangers, la consécration effective de la liberté d'entreprendre, en supprimant notamment l'autorisation préalable du CNI pour tout projet supérieur à 15 milliards de dinars, la débureaucratisation, la révision de la fiscalité, la libération des prix, l'arrêt du processus d'adhésion à l'OMC, la sortie de la Zale et l'abolition de l'Accord d'association avec l'Union européenne.

En l'état, Ahmed Ouyahia va-t-il faire cause commune avec toutes ces thèses libérales et les potions amères de leurs auteurs, ou s'en tenir à sa politique de « rationalisation des dépenses » ?

Est-il capable, également, d'affronter le peuple, dialoguer avec lui, le consulter en recourant, par exemple, au référendum pour cette histoire de gaz de schiste qui a failli diviser l'Algérie en deux ?

D'admettre aussi l'idée qu'il n'y a pas dans le pays :

? d'un côté, un peuple paisible, qui va aux urnes, qui applaudit car content de son sort, semble-t-il ;

? et de l'autre, un peuple frondeur, abstentionniste, qui rejette tout en bloc au motif qu'il déteste les élites qui ne lui accordent pas toute la considération voulue.

En attendant, d'autres idées et autant de pistes de sortie de crise émergent çà et là, et commencent à susciter quelque intérêt :

1. la nécessité d'installer, partout, « l'intelligence économique », ce mode de gouvernance universel fondé sur la maîtrise et l'exploitation de l'information stratégique pour créer de la valeur durable.

2. On parle aussi du « tout Maghreb », par opposition au « non Maghreb » ! La somme de 100 milliards de dollars supplémentaires par an a été par exemple énoncée ! Elle correspondrait à des bénéfices qu'auraient pu engranger les économies du Maghreb, si leurs pays cessaient de se regarder en chiens de faïence et décidaient, enfin, de coopérer !

L'UMA, hélas, s'est révélée incapable de s'affirmer comme ensemble régional. Pas plus politique qu'économique !

En ces temps de crise, le gouvernement ne pense qu'à réduire les dépenses de l'importation : de combien de temps dispose-t-il pour, raisonnablement, « rationner » celles-ci, sans détruire en même temps des activités économiques connectées au commerce extérieur et, partant, mettre en difficulté les quelques PMI/PME qui contribuent à la croissance, malgré toutes les vicissitudes ?

Aujourd'hui et faut-il le dire, la défiance frappe la classe politique dans toute sa composante mais aussi l'administration publique, les journalistes, bref toute l'élite intellectuelle. Et aussi, les patrons d'entreprises, ceux du FCE qui n'ont eu de cesse d'exiger plus de facilités fiscales, du foncier gratuit ou à moindre coût, sans apporter la moindre preuve, pour beaucoup d'entre eux, de leur utilité pour l'économie nationale !

Les gouvernements successifs ne présentent pas de bilans ! Ils laissent le pays dans un état pire que celui qu'ils trouvèrent à leur arrivée.

La violence et l'incivisme sont partout, l'insécurité routière fait des ravages, l'école n'en a pas fini avec ses soubresauts, le tourisme et le secteur de la pêche sont au plus mal, tout comme le football, sa violence, ses scandales et la faillite des Fennecs, le commerce qui n'est pas régulé, la mercuriale qui s'affole et les déficits qui augmentent dans tous les secteurs !

Les ministres qu'Ahmed Ouyahia n'a pas choisis, observent et laissent faire en l'absence, peut-être, d'une feuille de route !

Ce discrédit vaut, aussi, pour la plupart des élites passées qui sont dans l'opposition aujourd'hui, mais qui ont été en situation de gouvernance hier. Elles n'ont pas fait mieux, quand elles-mêmes, intraitables et sourdes à toutes revendications sociales, elles étaient aux affaires !

Elles n'ont pas communiqué, ou pas assez quand elles étaient au pouvoir, alors qu'elles disposaient de l'ensemble des médias, dont la télévision qui reste, pour elles, un espace public « monopolistique » par excellence. Elles s'emmurent dans le silence quand elles le quittent, pensant qu'il est bon pour elles de « se mettre en réserve de la république », sait-on jamais, ou se faire oublier, puisque cela vaut mieux ainsi. Elles devront, dorénavant, regarder en face le peuple, avec lequel la rupture, si elles n'y prennent garde, pourrait, tôt ou tard, être consommée si elle ne l'est déjà, à voir la courbe vers laquelle s'envole l'abstention, scrutin après scrutin.

En définitive, tout est possible pour les élites qui trouvent toujours à se recycler qui au Sénat, qui dans une ambassade, et rien ne serait possible pour le peuple, si ce n'est qu'on lui demande, sans cesse, de faire des efforts, quand ce n'est pas des sacrifices qu'on exige de sa part.

Le peuple a l'impression qu'il paye pour sa protection, mais personne ne le protège de ces élites qui disposent de ses richesses et parfois en usent et abusent, tout en lui déclarant, à tout bout de champ, que « l'Etat providence, c'est fini ! ».