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Le «non conventionnel»

par El Yazid Dib

On ne pense plus comme avant et nous acquérons ainsi la pensée non conventionnelle. Nos comportements à l'égard de soi, d'autrui ou envers l'Etat ne sont plus identiques à ceux d'il y a quelques années. Et ce sont des comportements non conventionnels. Où est parti le conventionnel ?

Il a été bouffé par l'urgence. Il est parti dans des annales que l'on veut vite oublier. Celles de la conformité à un certain usage, à certaines dispositions. Il n'a pas plus de siège privilégié dans une révolution qui indique que tout doit changer. « Le non conventionnel » est devenu un terme à une mode tardive. L'on vient de le découvrir au détour d'une crise qui commence bien à révéler ses profonds secrets de survenance. Ainsi il se trouve flanqué dans le glossaire boursier et l'on parle de « financement non conventionnel », dans les hydrocarbures et l'on parle « d'exploration non conventionnelle » et ainsi de suite. Il sera bientôt dit, à l'euphorie de cette lancée l'exercice non conventionnel de la politique, de la citoyenneté, des droits et des devoirs nationaux.

Ouyahia avec ses multiples déclarations vient de confirmer, tantôt avec optimisme, tantôt sans félicité que le pays vit une situation des plus dramatiques. Une situation non conventionnelle ; ose-t-il dire pour proposer à sa résolution un gabarit aussi extraordinaire. Il exhume tous les dossiers qui fâchent et suscite avec bonne volonté un débat qu'il sait gagner d'avance. Il n'omet pas, en présentant la panoplie de ses pistes de secours de signaler en amorce le spectre du désastre qui se pointe si jamais ces pistes ne sont pas suivies. La solution n'est pas cette fois-ci usuelle ou à portée de main. Elle est semble-t-il suggérer cantonnée dans une douleur que le peuple doit supporter. C'est une chirurgie à yeux ouverts.

Si mérite, il en a ; l'homme tente de se faire passer, sinon il l'est pour quelqu'un qui prend toutes de ses propriétés d'audace et d'opiniâtreté. Il sait pour l'avoir mesuré le sens de la responsabilité qu'il prend. Devant chaque danger, la prise de risque est nécessaire. Devant chaque péril en la nation, la petite personne du décideur n'est qu'historique. Lui en fait largement fi. En se mettant disait-il un jour « au service de mon pays » peu lui importe la souffrance du vitriol que lui causent tous les jets qui se croisent.

Les décisions qui se propulsent déjà en filigrane dans les différents dispositifs législatifs soumis à la conception ou à l'approbation ne sont pas de nature à pérenniser la rente sociale qui a jusqu'ici fait vivre le pays. Le temps est aux grandes vérités même douloureuses. Rien n'est vrai, du prix du pain au gasoil, de l'eau à l'électricité, de la gratuité du logement à celle de la santé, de la générosité des banques à la collecte de l'impôt , des mauvais élus aux insoucieux électeurs, des partis pris en annexes administratives aux militants des échéances électorales. Une triste vérité que personne de peur de blesser ou son ego ou la matrice d'un orgueil qui n'a plus de place maintenant s'essaye de clamer. La loi sur la monnaie et le crédit, la loi de finances, le code des hydrocarbures se doivent, en réduisant au maximum le mal à générer ; d'être plus proches dans leur révision à la réalité qu'exige le moment. L'on va crier au bradage des richesses minérales, à l'humiliation du dinar, à la concession de la souveraineté, au retour de l'impérialisme sans toutefois pouvoir pister des issues salutaires sans recours à l'extrême.

Sans vouloir chercher la responsabilité des uns ou des autres de ceux qui nous ont menés à cette catastrophe ; l'heure n'est pas aux rendements de compte. Il est trop tard. L'eau du tsunami est au seuil de la porte. Il s'infiltre par de nombreuses déchirures commises inconsciemment à un moment où la tête n'était pas pointée vers l'avenir, mais bel et bien dans l'aisance de l'instant et l'enthousiasme des jours fastueux. Le baril a fait notre bonheur, il fait bien notre malheur. Qu'a-ton fait de la perception des prix les plus hauts de notre pétrole ? Certes ils ont servi à construire le pays, tracer ses routes, bâtir ses écoles et ses universités, financer ses festivals et acheter sa paix sociale. Qu'ont-ils engendré comme effets ces faramineuses dépenses publiques le plus souvent nécessaires ? un peuple attentiste, qui veut davantage d'aide et de soutien, qui ne compte plus sur soi même pour nettoyer la devanture de sa demeure ou savoir où éteindre son mégot. La commune en son sens de beylek devient le déversoir pour tous les phantasmes, les envies et la voracité. J'ai vu quelqu'un ramener ses 11 enfants, ses deux épouses et ses deux livrets de familles au maire et lui dire : « donnez-leur de quoi se nourrir et un logement ! » c'est dire, qu'il ne suffit pas de tracer un plan d'action gouvernemental et omettre de jeter un regard managérial sur la structure nouvellement ou habituellement acquise de la mentalité algérienne. L'Algérien d'antan n'était pas comme ça. Il était conventionnel. Jusqu'aux années 80, l'on a vécu autrement l'austérité, avec ces chaines matinales et interminables au souk el fellah, l'on faisait dans la mesure utile et marginale.

L'économie domestique se gérait au jour le jour. L'on n'est pourtant pas mort pour ne pas avoir eu accès à un bon de livraison émis par le wali pour un simple téléviseur ou un transistor.

C'est à partir du programme anti-pénurie (PAP) et du slogan «pour une vie meilleure » que l'on a commencé à pénétrer dans cette « vie», une vie non conventionnelle puisque elle a bradé notre énergie coutumière de patience et de pondération. Le peuple se contentait de peu et n'aspirait qu'aux fruits de son travail. L'Etat jouait son rôle de régulateur sans tenir à galvauder l'esprit rentier ou encourager à l'avoir par des mesures hautement dispendieuses.

Il y aura certains observateurs ou lecteurs qui, droits acquis par anticipation, diront que la société avait connu à l'instar du monde une évolution à laquelle l'on ne peut opposer nulle résistance. Que cette société est naturellement le produit de diverses et complexes mutations sociétales, économiques et politiques. Les autres sociétés l'étaient et le sont aussi. La Turquie, le Brésil, l'Inde ou l'Iran sont devenus des modèles de développement autosuffisant. C'est l'indice du développement humain qui caractérise l'harmonie globale d'une bonne gouvernance menée surtout avec des politiques moins inégalitaires.

Les subventions, chez nous dans leur ensemble de gammes prennent l'allure d'une aumône égalisée et légalisée octroyée à chaque détenteur d'une carte nationale d'identité, voire à tout résident en territoire national. L'ambassadeur des Etats unis ou de France paye son carburant, son eau, sa facture électrique, son huile comme le ferait l'habitant le plus pauvre d'Arris, dans les confins des Aurès. Ainsi l'égalité n'est pas forcement juste dans certains cas. Savoir différencier le rapport besoins/moyens, la relation aide/mérite reste une équation certes difficile mais obligatoire ne serait-ce que par équité, moralité et éthique financières.

Ce sont ces subventions qui doivent aussi à leur tour connaitre un qualificatif de « subventions non conventionnelles ». Elles sont appelées à cesser d'arroser tout le monde sans égard au statut de chacun. Pour ce faire, Il est des prérogatives d'un consensus national de partenaires sociaux, d'experts et de « société civile » de creuser le dossier et d'excaver les déperditions qui le désarticulent en jetant un nouveau regard sur la restructuration de cette assistance étatique.

Donc Ouyahia va sans doute endosser une responsabilité historique. S'il réussit à faire surpasser au pays la crise qui le taraude, il sera un héros légendaire. Un sauveur. S'il échoue, ce ne sera que de l'usage dévié des méthodes mises en place et des hommes à moindre cran en charge de les appliquer.

L'opposition ne va pas se taire, l'automne politique s'annonce chaud, les dossiers sont brulants et ne manqueront pas de provoquer des fracturations dans le sol fragile d'une classe politique habituée à fonctionner à l'eau douce. Qu'il s'assume c'est bien qu'il se détermine plus et davantage c'est mieux. Il sera de ce fait un premier ministre non conventionnel.