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Planning familial : le débat n'a pas eu lieu à l'APN !

par Cherif Ali

Le planning familial fera l'objet d'un intérêt accru pour rationaliser la croissance démographique et garantir un bien être social aux générations futures.

La déclaration est du Premier Ministre Ahmed Ouyahia. Elle était destinée aux députés et tous les observateurs s'attendaient à ce qu'il s'en suive un débat des plus chauds compte tenu de la sensibilité du sujet.

Etrangement, alors qu'ils avaient du « grain à moudre », les députés des partis islamistes, principalement, n'ont soulevé aucune interrogation ni soumis de remarques sur ce sujet à « forte connotation religieuse ». Ce qui a fait dire que l'effacement des partis islamistes concernant les grands débats de société est réel. Et Ahmed Ouyahia l'a aussi remarqué, ce qui lui fait dire que « certains dans cette famille politique ne savent plus ce qu'ils sont ! On ne sait pas s'ils veulent la révolution, le dialogue, une discussion ou la participation ».

A coup sûr, l'explosion démographique bouleversera notre pays dans les années à venir, et à moins d'une relance économique providentielle, le pays peut connaître de sérieux problèmes de dépendance, voire d'endettement.

Selon l'Office national des statistiques (ONS), nous sommes, depuis le 1er janvier 2013, 37,9 millions d'habitants, soit une hausse de 2,16% par rapport à 2011 !

Et le cap d'un million de naissances par an sera, probablement, atteint pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie ! Les naissances annuelles seront de la dimension de la population d'une commune, voire deux. Dans les trois années à venir, elles atteindront la taille d'une wilaya !

Les années à venir vont être extrêmement difficiles, nous prédisent les experts. Selon une étude de l'ONS, les Algériens seront au nombre de 55 millions d'habitants entre 2050 et 2100, quand, peut-être, au même moment, à Dieu ne plaise, nos richesses fossiles tariront.

Il reste le gaz de schiste diront certains, mais à quel prix et surtout comment y recourir ou penser à l'exploiter dans le contexte de crispation dans lequel se trouvent nos régions du Sud ?

De plus, et si la croissance économique tarderait à venir, et si la population active occupée serait en régression ou se stabiliserait à son niveau actuel, comment le gouvernement pourrait assurer les retraites d'aujourd'hui et de demain ?

Les problèmes qui se posent et se poseront davantage à l'avenir concerneront le chômage et l'emploi ; les chiffres du chômage qui ont été rendus publics montrent que le taux est de 12,3% en avril 2017 ; 16% des diplômés universitaires souffrent de ce phénomène. La pression sur le marché du travail s'accentuera avec 280 000 demandes d'emploi/an qu'il n'est pas possible de satisfaire, sachant que la fonction publique n'est pas, n'est plus « un réservoir d'emplois ».

On évoque déjà, dans certaines sphères spécialisées, le système de retraite par « capitalisation » comme solution à la crise du système actuel, mais on en est au stade des discussions entre experts, et on trouve déjà, du côté des travailleurs, une forte résistance. En matière de retraite toujours, on comptait, en 1988, huit travailleurs qui cotisaient pour un retraité ; aujourd'hui, ce rapport n'est plus que de 2,5.

Les causes de cette situation sont connues : vieillissement progressif de la population, nombre de retraités en hausse suite aux mesures de départs volontaires et autres fermetures d'entreprises publiques.

Le ministre du Travail, maintenant que la caisse nationale des retraites est déficitaire, devrait se soucier davantage du rapport « actifs-inactifs » où le nombre de ceux qui ont un emploi diminue à vue d'œil, contrairement aux seconds dont le nombre augmente, ce qui a pour effet de diminuer la part des cotisations salariales.

Sachant que notre système de retraite est fondé sur la logique de la répartition, il faudrait qu'il explique comment et surtout où il compte trouver des sources de financement complémentaires à même de garantir le système de retraite actuel ?

Le tableau est noir, et cette histoire de démographie galopante va l'enténébrer davantage, ce qui, pour le moins inquiète en haut lieu à croire le Premier Ministre qui l'a inscrite en bonne place dans son plan d'action !

L'inéluctable vieillissement de la population risque d'aggraver encore plus la situation : la population des « vieux » passe de 6,2% en 2000 à 9,2% en 2020, pour atteindre 22% en 2050 !

Que va faire le gouvernement de ce segment de la population et du million de naissances prévu annuellement et de tous ces trentenaires qui attendent tout de « l'Etat-providence » ?

Phénomène encore inimaginable il y a quelques années, les personnes âgées, souvent démunies, sont de plus en plus nombreuses à se retrouver sans assistance ; les liens familiaux, de plus en plus distendus, voire une absence totale de liens, provoquent une marginalisation de cette catégorie de citoyens qui ne bénéficient pas d'aides sociales suffisantes pour vivre décemment.

Sur le plan des infrastructures, les foyers pour personnes âgées sont rares, ou quand ils existent manquent de tout. Les services de gériatrie sont quasi inexistants, carence qui impactera le corps médical, lui-même en butte à de nombreux problèmes.

Rappelons aussi pour corser cette équation que le boom des naissances des années 70/80/90 a fait qu'actuellement environ 70% de la population algérienne a moins de 35 ans, et que cela n'est pas sans conséquences sur l'emploi, le logement, la facture alimentaire, les loisirs, etc.

Tous ces trentenaires issus du boom des années 70/80/90, notamment les jeunes Algériennes nées à ces époques, ont le désir de fonder une famille, même si elles ne doivent avoir qu'un ou deux enfants, ces naissances seront beaucoup plus nombreuses que les décès concomitants des personnes nées il y a 50 ans.

La crise décourage-t-elle les couples à faire des bébés ? Dans les pays occidentaux peut-être, mais en Algérie certainement pas !

On aurait pu s'attendre à ce que l'incertitude suscitée par la crise pétrolière fasse chuter la fécondité et/ou le désir d'enfants chez les couples ou ceux en devenir, apparemment non ; des micros-trottoirs et des questions posées autour de « combien voulez-vous avoir d'enfants ? », il y a ceux « qui s'en remettent à Dieu et au mektoub » et les autres « qui en veulent au moins trois ! ».

Ce désir d'enfant ou cette aptitude à la procréation sans limites ne sont pas dus au hasard, puisque, rappelons-le, dans notre pays, plus on procrée, plus on touche d'allocations. Il s'ensuit, selon les experts, que la population algérienne poursuivra une croissance pendant une génération avant de se stabiliser. Si l'on voulait la stabiliser au plus vite, il faudrait des mesures dictatoriales pour empêcher les femmes d'enfanter !

Il y a la piste du plafonnement des allocations familiales à 2/3 enfants, mais beaucoup doutent de son efficacité.

Il y a aussi le poids des traditions et de notre religion qui est contre toute limitation, argument qu'auraient pu invoquer le député d'Ennahda, Hassen Aribi et ses pairs de la mouvance islamiste, s'ils s'étaient donnés la peine de lire, en totalité, le plan d'action du gouvernement ou pour le moins, écouté Ahmed Ouyahia le défendre , devant des travées à moitié vides !

Parenthèse fermée, l'Algérie n'étant pas la Chine, on ne peut parler de restriction ou de limitation « politique » des naissances ; cela ne serait pas seulement immoral, ce serait également stupide avec le risque de déboucher sur un coup d' « accordéon », comme en 1970, lorsque les dirigeants de l'époque ont estimé « qu'il y avait trop de médecins et pas assez de pêcheurs en Algérie ». Ils ont donc fermé l'accès aux facs de médecine et subventionné l'achat massif de petites embarcations de pêche, cela pour s'apercevoir, ensuite (et à ce jour) que l'on manque de personnel médical (gériatrie, par exemple), et qu'on n'a pas, pour autant, résolu notre problème d'abondance de poissons !

Le gouvernement à en croire son plan d'action, compte juguler ou, pour le moins, réguler par le planning familial la démographie dans notre pays :

1. estime-t-il que la croissance démographique est excessive et préoccupante, notamment dans la conjoncture présente, comme le soutiennent les économistes qui y voient un frein au développement ?

2. ou est-ce une bénédiction et un atout pour l'avenir, comme le pensent certains démographes qui disent que l'Algérie, puissance régionale s'il en est, se comporterait mieux avec une population de 100/200 millions d'habitants ?

Deux écoles s'affrontent en la matière :

l la Chine qui contraint ses citoyens, depuis des lustres, à un contrôle des naissances draconien (politique de l'enfant unique)

l l'Inde, qui ayant décidé de « laisser filer », sera plus peuplée que la Chine avec un âge moyen moins élevé

Dans les années 1950, le général de Gaulle disait de la Chine de l'époque, à juste titre, qu'elle était « innombrable et misérable ».          C'est parce qu'elle a fait l'effort de ne pas être plus innombrable chaque année qu'elle a cessé d'être misérable.

L'Algérie peut-elle emprunter la même voie que la Chine ?

Certains le pensent, en mettant en avant le qualificatif « jeune » pour définir la population du Maghreb en général et de l'Algérie en particulier, ils évoquent un dynamisme démographique qui demeure une chance pour nos pays, car ce capital humain constitue un formidable vecteur de croissance si de lourds investissements sont rapidement investis dans l'emploi, la santé et l'éducation, afin de pérenniser des économies encore fragiles.

L'Inde, quant à elle, n'ayant pas voulu faire le même effort, s'est laissée distancer par la Chine et par la plupart des autres pays asiatiques. Le revenu des Indiens est inférieur à celui des autres Asiatiques et même à celui de l'Africain.

Nos gouvernants s'ils venaient à suivre le mauvais exemple que nous donne ce pays, doivent savoir qu'ils ne pourront ni éduquer, ni soigner, ni donner de l'emploi encore moins assurer la sécurité, ou loger une population en croissance démographique trop rapide.

Et Ahmed Ouyahia l'a rappelé à l'APN, sur un ton plus que péremptoire, dès lors que les Algériens s'entêtent à demander à l'Etat un logement gratuit et de la sécurité (c'est-à-dire de la défense, de la police, de l'instruction, de la santé, un logement et un emploi qui passe par une formation), exigeant les meilleurs services pour le prix le plus bas !

En somme, des consommateurs égoïstes de services publics qu'ils ne songent même pas à rendre aux autres. Ils ne font que réclamer des miettes d'une abondance en voie d'extinction !

La croissance économique du pays va être « mangée » par une démographie galopante, et le débat est d'ores et déjà ouvert entre ceux qui pensent que l'incertitude économique est mauvaise pour la démographie et ceux qui estiment que la récession encourage plutôt le nombre de naissances.

Cette équation démographique doit être résolue avant qu'elle ne devienne un réel problème de société, comme l'a rappelé dans ces mêmes colonnes, l'excellent Farouk Zahi qui, pour alerter son monde, a repris une citation empruntée à Philippe Bouvard estimant qu'« au train démographique à bord duquel nous sommes embarqués, on peut imaginer les grandes vacances en 2050: dix millions d'enfants qui n'auront pas trouvé de place dans une crèche ne trouveront pas davantage de place sur une plage » !

La question semble avoir, enfin, alarmer les autorités, à moins que les opposants ne se rebiffent et les fassent reculer, comme pour la « Bismala » !