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De l'alternance et de la résistance !

par Slemnia Bendaoud

En 1975, Jacques Chirac recevait le déjà tout jeune Nicolas Sarkozy en fin de cycle de formation universitaire. Juste une année plus tard, et ce fut le tour de Abdelaziz Bouteflika, en sa qualité de ministre algérien des Affaires étrangères de recevoir, entre autres, Ahmed Ouyahia, parmi le lot des tout frais diplômés de la autrefois très prestigieuse Ecole nationale d'administration (ENA).

Ici et là, on donnait ce signal fort et plutôt certain qu'on préparait déjà activement la relève de demain ! Depuis lors, les deux « couples », aussitôt formés, sur l'une et l'autre rive de la Méditerranée, auront fait  du chemin, chacun dans sa logique, propre pays et terrain particulier.

En 2007, soit douze ans plus tard, Nicolas Sarkozy recevait solennellement et très officiellement les clefs de l'Elysée des mains de son propre mentor et grand parrain, Jacques Chirac, parti, lui, en retraite à la fin de son second mandat, ne manquant toutefois de souhaiter, au passage, bon vent à son jeune poulain et longue vie à la République. En 2014 et puis aussi 2017, Ahmed Ouyahia est encore une fois rappelé en catastrophe à la rescousse d'un régime vieillissant et agonisant, pour continuer à accomplir comme de coutume le travail de « sa sale besogne » auprès (devant de la porte) de la demeure de son mentor et idole qui aspirait à un énième mandat présidentiel, en dépit de ses faibles facultés de locution et de carence de sa mobilité physique.

Depuis le 06 Mai 2012, Nicolas Sarkozy qui n'est plus le Président de la République française, traverse la période la plus trouble et la plus douloureuse de son histoire, dès lors qu'il est déchu de ses fonctions électives et étatiques via des élections présidentielles remportées par la gauche, et longtemps trainé devant les tribunaux de son pays. Dans sa traversée du désert, il s'est donc, comme tout le monde, plié sans rechigner ou sans broncher à la justice de son pays, en comparaissant devant les juges et autres auxiliaires de la justice française. Il aura très profondément révisé bon nombre de questions politiques en rapport avec l'actualité dont il ne maitrisait apparemment bien suffisamment leurs données, impacts et retombées, mais a aussi activement préparé le terrain à son prochain retour à l'animation politique de son pays.

Dans cet intervalle de temps, plutôt assez long, Ahmed Ouyahia reste toujours bloqué au niveau de l'ascenseur ou de l'escalier de ce palier intermédiaire qui ne lui permet toutefois ni d'abandonner définitivement une course qu'il pensait autrefois facile ou à sa portée ni même de spectaculairement forcer ce destin qui consiste à se positionner en véritable alternative au pouvoir en place, afin d'assouvir ses très discrètes prétentions et de concrétiser ce projet lui tenant vraiment à cœur qu'il s'est depuis très longtemps tracé comme but à atteindre pour couronner en apothéose sa vie professionnelle.

Et pourtant, à comparer le très tortueux itinéraire de ce tout dernier-nommé avec celui du premier-cité, devenu, lui, entre-temps, président de la république de son pays avant d'en être répudié au bout d'un seul mandat, il est clair que les deux disciples de leurs mentors respectifs, auront connu des fortunes diverses dues à deux systèmes politiques complètement différents. L'un très prospère et très ouvert, l'autre plutôt inopérant !

Ainsi, jacques Chirac aura fait de son poulain Nicolas Sarkozy un véritable Président de la république française au moment où Ahmed Ouyahia ne compte aux yeux de son président que pour des prunes, sinon juste pour « ce Grand Maitre de la sale besogne et des élections truquées », jamais considéré comme son éventuel remplaçant ou un quelconque substitut.

Au moment où le « premier couple » fait de l'alternance au pouvoir une priorité et toute une savante doctrine politique au service de la république et de la démocratie, ce « second duo » ne fait cependant que de la résistance à un plutôt changement de gouvernance en douceur, en imposant au peuple algérien ce légendaire statu quo qui coûte vraiment très cher à la Nation et à ses malheureux administrés.

Avec son disciple, Jacques Chirac s'est donc comporté en véritable père spirituel et modèle du genre d'une éclatante réussite politique, tendant très bas la perche à son autrefois jeune poulain, pour ensuite progressivement l'accompagner dans son long combat politique jusqu'à en faire tout un puissant Président de la République Française, le remplaçant d'ailleurs personnellement, au pied levé, sur le perron de l'Elysée. Avec son Maitre Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia ne connaitra malheureusement pas le même cheminement et destin ni même d'ailleurs une aussi semblable promotion ou comparable et bien remarquable ascension, le premier le bloquant toujours à un niveau inférieur à son homologue ou correspondant de l'ex puissance coloniale, si ce n'est bien souvent parfois le chassant et l'évinçant sans préavis ni ménagement de la périphérie même de sa haute cour !

Et pourtant de ces destinations presque contraires ou diamétralement opposées, il existe tout de même, jusqu'à ce jour, un dénominateur commun entre ces deux autrefois jeunes pousses politiques, quant au chemin à parcourir dans la poursuite de leur conquête qui leur trace leur avenir, dans la mesure où chez l'un comme chez l'autre, on ne comptait plus que sur son propre talent ainsi que sur la protection sûre ou plus que certaine de son parrain.

Et pourquoi donc le destin de l'un est-il allé jusqu'au bout du désir manifesté alors que chez l'autre, il s'est tout juste transformé en ce lattent soupir, arrivé à mi-chemin de sa réalisation et concrétisation ? Comment donc a-t-on pu faire ici les choses dans les formes et leurs normes et, là, plutôt juste à moitié ? Quelle leçon faut-il enfin retenir pour celui-ci et quelle autre pour ce qui est de celui-là ? Pourquoi justement ces deux destins deviennent-ils étrangement si différents alors, qu'apparemment, et sur un bon bout de temps, leur long itinéraire et très solide apogée étaient pratiquement les mêmes ? Pour répondre à la problématique posée, encore fallait-il étudier dans les détails la personnalité de leurs parrains bien avant de le faire pour ces deux hommes politiques eux-mêmes.

Côté français, la règle en la matière, connue depuis très longtemps déjà et par tout le monde d'ailleurs, se trouve être, dans ce cas d'espèce, plutôt bel et bien respectée, jamais transgressée ; dans la mesure où elle s'inscrit en droite ligne et dans la logique même de la continuité du combat politique mené ainsi que dans celui de l'histoire de l'humanité.

En d'autres termes, le cycle générationnel politique est ainsi conçu. Il y est question de cette alternance au pouvoir qui nous (re)commande de lui préparer les meilleurs étalons que produit notre écurie afin de gagner avec les grandes batailles, celles qui marquent la vie politique du pays, et plus particulièrement, l'effort entrepris dans ce sens par notre parti politique.

Sans doute parce que la véritable Grandeur fuit les ostentations, Jacques Chirac devait choisir à sa nouvelle recrue l'antichambre de la vraie et saine compétition (le parti) pour mettre son poulain au petit trot, l'habituer ensuite au saut d'obstacle, à l'endurance de la course, au sprint final, lui peaufinant au passage son élan, sa chevauchée, ses traits, afin de complètement la dépouiller de ses déchets et autres péchés mignons.

Comme lors de nos découvertes des Grands Châteaux des Rois anciens, ce n'est qu'une fois la grande porte de l'extérieur ouverte à nous que l'on s'aperçoit, ébahi, réellement de son aspect somptueux et de l'ère plus ou moins juste de son architecture, au travers des matériaux utilisés et de l'espace bâti.

Dans ce même ordre d'idées, il est aujourd'hui aisé d'affirmer, sans le moindre risque de se tromper, que les écuries imposantes furent, de tout temps, l'orgueil de leurs propriétaires et que le génie de bien construire de véritables citadelles relevait de leur ancienne culture ; raison pour laquelle lorsque le physique venait à céder à la raison de quitter le trône chez ces vieilles dynasties, on se suffisait à exhiber comme gloire de notre combat pour la vie l'inviolabilité de notre bastion à côté du noble produit de notre célèbre et fournie écurie.

Dans l'un comme dans l'autre volet, au sujet du cadre bâti comme au sein de l'écurie, on y met vraiment du sien, très conscient que la notion du partage, dans toutes ces qualités humaines et autres vertus cardinales, tend à faire pérenniser la Nation et mieux construire les valeurs propres à la démocratie à laquelle nous restons attachés.

Après tout, la vocation première des châteaux imposants qui forcent l'admiration n'est-elle pas intimement liée à l'exercice d'un pouvoir autrefois exercé sans partage et souvent impérial ? Et la raison d'être des chevaux de noble race n'est-elle pas aussi de gagner avec haut la main des courses contre des adversaires plus aguerris ou pour faire la guerre à l'ennemi juré ou contre celui le plus redouté ?

Mais qu'en est-il justement de tout cela dans l'autre camp ? Pourquoi ses résultats sont si décalés et très éloignés par rapport au premier pays cité et à l'équation ci-dessus abordée ? Où se situe donc tout ce mal qui fait tous ces ravages et où se trouve finalement la solution souhaitée, la mieux appropriée ? Sur cet autre rivage de la Méditerranée, la devise qui reste toujours en vigueur ou de mise est de vivre avec cette légendaire fermeté de garder à jamais pour soi-même le pouvoir ; jusqu'à sa mort et sans le moindre remords. Tout jeune étalon qui cherche à gagner plus de considération, de galons ou des près plus fournis et très spacieux, en rapport avec ses nouveaux rêves ou autres prétentions, sera purement et tout simplement chassé de la maison et surtout sacrifié sur l'autel de la seule raison du Maitre des céans ; chose dont a souvent goûté avec beaucoup d'amertume Ahmed Ouyahia, sans jamais, pour autant, bien retenir la leçon. Dans l'optique que le vent changera probablement de direction, il croit encore en cette possibilité de servir un pouvoir tout en pensant surtout le faire au profit de la république, faisant à dessein dans cette confusion des rôles qui fait malicieusement dissoudre et fondre toute une si Grande Nation dans sa plutôt très rejetée gouvernance, laquelle ne fait davantage que s'éloigner des règles usuelles et saines pratiques démocratiques.

Dans ses incessants va-et-vient (du temps où il fut gommé et ensuite (re)nommé) à la chefferie de la gouvernance ou au Premier Ministère, lui, comme son parrain, laissaient transparaitre cette impression d'un amour aigre-doux qu'ils entretenaient entre eux pour expliquer les raisons de ce ballet fait de rappel par nécessité du moment ou de l'action mais aussi de ces coups de balais intempestifs que l'on croyait pourtant comme une séparation à caractère définitif !

Sachant assez étrangement s'adapter -du mieux qu'il pouvait le faire- à ce rôle pour le moins très délicat et plutôt ingrat d'un vrai équilibriste dans lequel voulait le fourvoyer son Maitre, et tel un chat violemment éjecté par la fenêtre par le propriétaire des lieux, il retombera toujours sur ses pieds, prêt à encore une fois recommencer de nouveau son aventure jusqu'à faire vraiment douter, celui qui a décidé de le punir ou de l'exclure, de l'efficacité du procédé utilisé et de la nature même de la fâcheuse décision prise à son encontre ! Pour succéder à son Maitre, il sait qu'il faut s'installer en embuscade en première loge où il est présentement posté ou en faction, au sein de ce tout premier Wagon du pouvoir. Mais un wagon ?fut-il ce tout premier tiré par un aussi ancien mais très puissant train - peut-il si miraculeusement se transformer en une véritable locomotive ?

C'est ce, bien évidemment, à quoi croit justement celui qui nourrit ce fol espoir de passer si allègrement au palier supérieur en empruntant cet escalier singulier et très privé, à un moment où ce même Palais du tout prestigieux pouvoir a toujours été l'objet de grandes conquêtes de gens courageux qui l'investissent très souvent de l'extérieur avec armes et bagages !

A-t-il enfin compris que ses rappels répétés au Grand Palais ne l'ont été que grâce à un jeu de dés assez compliqué,et que parce que quelqu'un manquait à l'appel, et qu'il était du devoir de ses responsables de pourvoir à une vacation qui se moquait royalement de sa vocation. Le ton n'était-il pas déjà donné ? L'heure des braves n'avait-elle, elle aussi, pas déjà sonné ? La lecture à en faire manquait-elle à ce point de clarté ou de lucidité ?

Et pourquoi donc celui qui devait traiter son peuple de Kacher et de racailles a-t-il pu, lui, avoir ses faveurs et ses voix à l'élection présidentielle de 2007 et pas celui qui voulait tout juste priver le sien de dessert (yaourt) durant ces temps durs que traversait le pays ?

Pourquoi ce qui fut valable pour l'un ne le sera-t-il pas aussi systématiquement au profit de l'autre ? Pourquoi cette chance qui a déjà souri au protégé de Jacques Chirac tournera-t-elle dos au poulain du régime algérien ? Y-a-t-il une quelconque différence entre ce système et celui-là ? Entre cette gouvernance et cette autre ?

Tout le secret de la différence réside, en fait, au sein de la nature même des deux systèmes plus haut-cités ou furtivement développés. Alors que l'un joue à fond l'alternance politique, l'autre fait de la dure résistance au changement !

Celui-ci progresse au moment où celui-là régresse ! Le premier ne peut être qu'évolutif et très prospère. Tandis que le second manque franchement de vrais repères.

Le destin d'Ahmed Ouyahia est-il comparable à celui de Nicolas Sarkozy ? Répondre par l'affirmative à la question posée présuppose d'abord que son parrain accepte encore l'idée de ce principe de base de l'alternance au pouvoir dont l'ex Président Chirac en fait toute une doctrine mais aussi son très consistant programme, même si de Bouteflika à Ouyahia, on reste encore dans un même régime ! Dans le seul système algérien ! Comment donc résoudre l'équation de cette dialectique ? Comment plutôt sortir de cette auberge ? Les hommes passent, la terre reste, mais la vie continue? Le projet Sarkozy fait déjà partie de l'histoire ancienne de la France. Tandis que celui d'Ouyahia est toujours en gestation, faisant du surplace. Il attend encore et toujours ce coup de pouce de la providence qui risque de lui faire faux bond. Il se peut que ça ne soit qu'un projet mort-né !

C'est à ce prix-là que des pays comme la France avancent et se développent. C'est aussi de cette autre manière-là que l'Algérie recule et régresse !