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Les choix monétaires et financiers : La régulation au cœur du débat ! (1ère partie)

par Zerouali Mostefa*

« La nécessité nous délivre de l'embarras du choix » - Vauvenargues1

La reine d'Angleterre avait posé une question gênante lors d'un discours à la London School of Economics en 2008. Celle-ci n'avait, en effet, pas hésité à demander des comptes aux autorités de régulation pour ne pas avoir vu venir la crise : « Comment se fait-il que personne n'ait rien vu ? ». Cette question de l'utilité de toute une profession, voire même de toute une série de professions, devient plus que nécessaire.Même si les réponses ne sont pas encore satisfaisantes, cette question rappelle aux économistes leur raison d'être et leur responsabilité de détenteurs de savoir d'utilité publique.

Alors, pourquoi les experts, économistes, régulateurs, institutions et les organismes en charge de l'étude, de l'analyse, de la gestion, du contrôle, de l'évaluation et du suivi des politiques économiques à l'échelle mondiale n'ont rien pu voir venir lors des différentes crises économiques ? Pourquoi la crise de 2008 ferait-elle l'exception, même si son ampleur était exceptionnelle et ses dégâts très graves ?Toutes les crises précédentes n'étaient-elles pas imprévisibles ni détectables de façon précoce ? S'agirait-il d'une incapacité d'anticipation structurelle, définitive et irréversible ou d'une situation provisoire, conjoncturelle et curable ?

Certaines réponses ont été formulées lors de ce même évènement, qui fut à la fois drôle et désolant ! Les spécialistes n'avaient trouvé comme réponses à donner à Sa Majesté la reine qu'une métaphore révélatrice du malaise profond : les crises, c'est comme les catastrophes naturelles ! Elles sont un peu difficiles à anticiper ! C'est un peu comme les épidémies ou les pandémies ! Les virus à l'origine de leurs survenances mutent et sont difficiles à cerner ! Les marchés ne sont pas si efficients que certains pouvaient le croire ou l'affirmer ! Les interconnexions y sont tellement fortes que la gestion de leurs risques devient très délicate !

Les experts se comportent, donc, comme des médecins faisant face à des crises exceptionnelles liées à de nouvelles maladies ou pathologies encore inconnues, méconnues ou peu connues. Ils observent les symptômes pour essayer d'émettre un diagnostic d'identification de la maladie et prescrire le traitement adéquat. C'est du moins ce qu'ils avancent comme argument pour justifier leur incapacité à prévoir toutes ces crises que le monde a connu.

Ont-ils raison ? Sont-ils vraiment excusés ? Serait-ce que les collectivités attendent d'eux ? Serait-ce la faute aux États/Autorités ?

Nous allons à travers cette contribution essayer de répondre à certaines de ces questions et de comprendre comment les économistes peuvent ajuster leur attitude et leurs actions à l'égard de certains principes ou règles économiques dites immuables. Observer les réactions de certaines figures de la politique et des finances mondiales à l'égard de ces crises et leurs opinions permettra sans doute à de nombreux spécialistes de réviser leur position à ce sujet.

Anecdote et débat de sourds.!

Justement le déroulement d'une autre discussion entre Sa Majesté la reine et l'un des experts2 de la Banque d'Angleterre, présents lors d'une visite dans les locaux de l'honorable institution, en dit long sur les croyances et les convictions des uns et des autres. Une grande partie des experts, économistes et techniciens spécialisés avancent des aspects théoriques pour expliquer et justifier la défaillance de ceux qui sont censés sécuriser l'économie mondiale et les économies des citoyens.

Les politiciens, les citoyens et certains économistes remettent en cause d'autres aspects liés à la moralité, au mode de fonctionnement et à la régulation. Ceci remet sur le devant de la scène économique mondiale un sujet très vieux qui divise, mais qui est sans aucun doute la clef des évolutions potentielles de l'économie mondiale : le rôle de l'état dans l'économie.

Revenons à ladite discussion anecdotique, mais très révélatrice des divergences susmentionnées. L'expert en question avait tenté de répondre à Son Altesse par des arguments explicatifs : « Votre Altesse, les crises c'est un peu comme des épidémies ou des tremblements de terre difficiles à anticiper. Les gens (comprendre : les économistes et les responsables des politiques monétaires et financières) pensaient que les marchés étaient efficients, que les risques pouvaient être gérés mieux qu'avant. Ils ne pouvaient à aucun moment imaginer à quel point les marchés étaient interconnectés ».

Sa Majesté, du haut de ses huit décades et demie d'âge ne se laisse pas impressionner ni envelopper dans le voile que lui proposait ledit expert. Au contraire, elle lui répond avec un semblant de courtoisie mélangée à un brin de fermeté royal : « Mais ils ont manqué un peu de fermeté, n'est-ce pas ?! », allusion faite aux responsables des autorités monétaires et financières du pays (The Financial Services Authority/FSA et toutes les autres structures de contrôle monétaire et financier du pays). Elle rajouta, avec ironie ou flegme voire même du reproches et de l'accusations, cela dépend de quel côté on se trouvait à l'époque, ceci : « L'autorité des services financiers n'avait pas encore de dents !!! »

Le staff présent, de toute évidence, gêné par ces remarques, ces répliques, cette tournure de la discussion et qui aurait surement souhaité ne pas avoir à approfondir le sujet, est intervenu pour essayer de couper court : Justement Votre Majesté, ce staff, ici présent, est là pour que cela ne se reproduise plus jamais.

Le coup de grâce de son mari, le Duc d'Édimbourg est venu achever le peu de tact et du politiquement correct qui caractérise les hommes politiques et pour exprimer le malaise profond dans lequel se trouvaient les institutions en charge du contrôle en Angleterre : « ne refaites pas ça !! »(Avec une arrière-pensée du genre : On ne veut plus jamais avoir à vivre cette situation à cause de vos manquements et de votre défaillance .

Quelques mois après l'apparition d'autres scandales financiers de 2012, l'un des hommes politiques conservateurs anglais, Andrew Tyrie, président de la commission des finances est monté au créneau pour avouer et dénoncer l'incapacité des autorités à réguler les marchés ni à les contrôler ni même à détecter les agissements malsains et que ceci pouvait causer des dégâts graves et des conséquences dévastatrices. Ils se sont sentis obliger d'agir vite surtout que le scandale de la manipulation du Libor n'était pas pour rassurer ou convaincre les concernés du changement tant promis et souhaité.

Il était clair que quelque chose n'allait pas dans les dispositifs en place. Ledit scandale et les suivants n'étaient pas détectés ni par les autorités de régulation, ni par les experts, ni par les staffs qui étaient payés justement pour ça. Même si des changements avaient été opérés en Angleterre pour permettre aux autorités d'agir et de disposer des pouvoirs nécessaires sans avoir à recueillir l'aval de la reine au préalable. Ces réformes imposées par des faits plus au moins graves touchant à la probité et la qualité du centre mondial de la finance qu'est La City of London sont-elles suffisantes ou plutôt inutiles, voire même contraignantes ? Le débat est toujours ouvert .

Ces faits et cette confrontation n'étaient en réalité pas uniques ni exceptionnels dans la situation qui fut celle de 2008 et des cinq années suivantes. Les enquêtes lancées par plusieurs pays, en particulier aux USA, pays d'origine et de provenance de la crise des Subprimes commençaient à révéler les différentes facettes et éclairer les multiples coins d'ombre d'une crise sans précédent. Les économistes des institutions étatiques et gouvernementales, ainsi que les acteurs de défense des citoyens arrivent à des conclusions plutôt contradictoires avec les économistes et les spécialistes des grandes entreprises, banques et opérateurs de la finance mondiale et des marchés financiers concernant les causes, les conséquences et les solutions relatives à cette crise. Ils divergent clairement sur le rôle de chaque camp dans le développement économique et dans la préservation de la communauté des différentes crises, dont la principale conséquence néfaste est : le chômage de masse.

Si nous observons les conclusions des uns et des autres à la suite de cette crise, nous pouvons dégager quelques points essentiels qui font débat et qui doivent être revus avec plus de rigueur et plus de clarté :

Régulation contraignante ou régulation défaillante ?

Pendant que les responsables politiques et les économistes des gouvernements et des pouvoirs politiques pensent que la défaillance des institutions et organes institutionnels provient de l'insuffisance de la régulation, de son inadaptation aux évolutions et du laxisme des responsables à leurs têtes, les têtes pensantes de la finance mondialisée et des marchés globalisés croient dur comme fer que c'est la régulation trop contraignante qui bloque l'efficience des marchés et leur flexibilité, qui crée des distorsions et des anomalies qui se cumulent pour exploser sous forme de crises et qui conduit à l'apparition de mécanismes subjectifs et non performants entravant le fonctionnement normal desdits marchés.

Pendant que les premiers prônent plus de régulation, prêchent plus de clarté dans les procédures de fonctionnement et réclament plus de contrôle des opérateurs de marchés pour éviter des agissements tordus et des comportements ambigus et malsains.

Pendant qu'ils pensent que la liberté absolue dans des domaines sensibles, et de surcroit, interdépendants pouvait aboutir à des dégâts absolus tels que la crise de 2008 en raison de l'absence ou de l'insuffisance des procédures et des règles de fonctionnement.

Le second camp et ses partisans avancent en guise de preuve les différents scandales de manipulation illégale de données, d'accès illégal à l'information, de présentation trompeuse des données, de vente irrégulière de produits de plus en plus complexes pour conclure à la nécessité de plus de présence d'organes institutionnels et de régulation indépendants des marchés et au service exclusif de la communauté et de la société. Ils arguent que les montages complexes et de plus en plus élaborés par les marchés visent à échapper aux règles et aux normes de régulation mises en place par les pouvoirs publics et les autorités.

En effet, pour eux les diverses appellations raisonnant comme des concepts techniques et des innovations scientifiques tel que l'optimisation fiscale, le trade technologique de plus en plus perfectionné, la financiarisation des activités économiques et la dématérialisation des supports et des outils ne sont dans la réalité que des maquillages de concepts anciens, immoraux et antiéconomiques dont les résultats nocifs se manifestent inéluctablement dans ces crises cycliques et constatées régulièrement.

Pour eux, il s'agirait d'une forme d'évasion fiscale réalisée grâce aux paradis fiscaux qui devraient être interdits qui pourrait être assimilée à de véritables fuites illégales de leur responsabilité fiscale et sociale de contribuables.

Il s'agirait pour eux de formes de délits d'initiés réalisés grâce à une technologie qui devrait être interdite et qui pourrait être comparée à des écoutes illégales de l'écho du marché et à une forme de récupération immorale de données et d'information confidentielles que tous les intervenants du marché ne peuvent obtenir sur le même pied d'égalité.

Il s'agirait enfin pour eux de forme d'appauvrissement et de fragilisation de l'économie réelle au profit d'instruments qui n'apportent pas de valeur ajoutée ni de création de richesses qui devraient être bannis de la sphère réelle, car fort nuisibles et pompant des ressources nécessaires à l'investissement réel et à l'amélioration des conditions de vie globales de la société vers des circuits de spéculation et de paris au service d'une petite poignée de meneurs de marchés.

Mais alors, quelles sont les solutions pour éviter des crises systémiques dévastatrices ?

En fait, la plupart des pays ayant subi la crise de 2008 directement ou indirectement ont souffert d'une véritable récession aux contours encore non cernés jusqu'à ce jour. Ils ont donc réagi et essayé, en réalité dans la panique et la crainte, de revoir toute la régulation en vigueur. Comme les USA étaient la source première de la propagation de toxicité financière de l'époque, les autres pays les observaient, adaptaient leur régulation aux évolutions américaines dans ce sens et tentaient tous de s'en inspirer pour revoir la leur.

À l'époque, soit en 2009, le gouvernement américain avait concocté un plan de réforme assez ambitieux, même si certains de ses aspects étaient insuffisants pour les uns et irréalisables pour les autres. Le plan était basé sur un cadre que l'on peut appeler sans hésitation : Réforme de la Régulation Financière Pentagone. Les cinq axes proposés par le gouvernement à l'époque furent : le renforcement de la supervision des sociétés financières, la mise en place d'une supervision totale et complète des marchés financiers, la protection des porteurs des titres (consommateurs ou investisseurs) contre les abus et les excès, mettre en place un cadre qui renforcerait les capacités de l'État et du gouvernement à améliorer l'efficacité de leur intervention en cas de crises et enfin, faire adopter et généraliser ces normes à l'échelle internationale pour coordonner et rendre cohérentes la coopération internationale en cas de crises.

Concrètement, qu'est-ce que cela signifie pour l'économie et la finance mondiale ?

Le premier axe de ce pentagone signifie tout simplement que les responsables politiques US admettent que les risques pris par les compagnies financières ne sont pas suffisamment couverts par les minimas exigés en fonds et capitaux propres dans les réglementations précédentes. Cela signifie également que les autorités reconnaissent que les règles précédentes ne prennent pas en considération de façon efficace et sécurisante les conséquences systémiques éventuelles de la défaillance d'un opérateur de grande taille communément dit : too-big-to-fail. Cet axe donne une idée sur un aspect tout aussi important que les précédents, à savoir la conviction des responsables politiques par la trop fragmentation et la dilution de la supervision et du contrôle des gros opérateurs de marchés financiers. Enfin, cet axe signifiait que les pouvoirs publics reconnaissaient à demi-mot que les fonds spéculatifs et d'investissement ainsi que les banques d'investissement sont trop peu ou pas du tout contrôlées ni soumises à une quelconque régulation.

Le deuxième axe dudit pentagone signifiait que le gouvernement reconnaissait son incapacité à suivre les innovations financières par une régulation adéquate et efficace. Tous les montages financiers et les titrisations envahissant le marché étaient censés améliorer la qualité des risques et diluer les facteurs d'instabilité financière systémique, mais la crise a montré que c'était l'inverse qui se produisait. Les responsables, à travers ce deuxième axe, voulaient dire que les procédés complexes et souvent très discrets, voire même opaques et douteux n'étaient pas bien maîtrisés et devaient être encadrés rapidement.

Les hommes politiques étaient enfin parvenus à comprendre, à travers cet axe, que les risques liés aux instruments et outils de titrisation échangés sur le marché financier n'étaient pas clairement définis (opacité des concepteurs et complexité des concepts), ni clairement identifiés et communiqués (opacité, complicitéou incapacité des agences de notation et des cabinets de commissariat aux comptes) ni clairement compris par les acheteurs (opacité, complicité ou rapacité des courtiers et vendeurs de ces titres). Les autorités se sont rendu compte, probablement trop tard que les CDS qui furent présentés comme des outils de dilution et de dispersion des risques sont, dans la réalité, une cause majeure de contagion et de diffusion desdits risques.

Le troisième axe de réformes identifié, à travers ce pentagone, fut celui de la protection des consommateurs et des acheteurs des produits sur les marchés financiers et auprès des opérateurs qui y exercent. Il signifie que les autorités reconnaissent, là également, l'insuffisance ou l'inadaptation de la régulation ancienne aux différents types de produits commercialisés sur les marchés financiers en particulier ceux de type Subprimes. Les pouvoirs avouent donc que les agences chargées de cette mission ne coordonnaient pas suffisamment entre elles ou ne pouvaient pas exercer un quelconque contrôle ou vérification du fait de l'absence de régulation ou de structures spécialeement dédiées.

Le quatrième axe de notre fameux pentagone peut être interprété, là également, comme un aveu de la faiblesse des capacités de l'État et de ses limites à faire face à des crises de ce type dans les conditions de régulation précédente. Cela signifie que les scénarios dans lesquels les opérateurs peuvent faire face à une crise deviennent dangereux dans certains cas (cas des gros opérateurs ou d'institutions à risques systémiques). En effet, normalement en cas de crise un opérateur doit reconstituer ses fonds propres pour améliorer ses capacités à lui faire face ou tout simplement faire faillite et disparaitre. Mais dans le cas de la crise de 2008, les gros opérateurs qui n'avaient pas assez de capacités en capitaux propres devaient faire appel aux fonds publics et/ou institutionnels ou subir une faillite à effet domino. Ces deux scénarios sont, dans la réalité, dangereux l'un comme l'autre : soit c'est le contribuable qui doit payer avec un important risque de transfert des effets de la crise vers la sphère institutionnelle, soit c'est tout le système qui doit en subir les conséquences avec effet domino même sur des opérateurs sains. Dans ce cadre, les cas de Lehmann Brothers et d'AIG furent vraiment très instructifs.

Le cinquième et dernier axe de ce pentagone identifié était synonyme, là aussi, d'un aveu d'échec des normes internationales de régulation et de coopération multilatérale dans le cadre de la supervision des activités des systèmes et des marchés financiers. Proposer le renforcement de ces normes et leur généralisation aux partenaires internationaux signifie tout simplement que précédemment chaque pays et chaque marché fonctionnaient différemment et indépendamment en termes de normes et de supervision. La diffusion et la contagion sans précédent subie par le monde entier lors de la crise de 2008 étaient des symptômes d'un mal commun et mondial qu'il fallait combattre de façon cohérente et mieux coordonnée.

Bien évidemment, ces aveux fournis implicitement par les pouvoirs publics et les autorités ont été faits sous la pression de la crise et de la contrainte de son étendue désastreuse sur l'économie américaine et mondiale. Donc les solutions proposées n'étaient pas acceptées par les professionnels ni par une partie des économistes, notamment ceux partisans de la dérégulation totale. Ce qui nous renvoie à nos premières interrogations ci-dessus et à notre débat initial au sujet de la régulation et du rôle institutionnel dans les activités des marchés.

Dans la pratique, ce pentagone, si symbolique qu'il soit, ne pouvait être mis en application par décret, car il devait passer par une approbation devant le sénat, à l'exception de quelques mesures superficielles et sans consistance. Selon certains économistes3, ces actions sont certes positives et nécessaires, mais elles restent insuffisantes à leurs yeux, car elles permettront de sortir de l'opacité et de surveiller toutes les activités et les institutions de l'ombre, notamment les activités des opérateurs du Shadow Banking que tout le monde ou presque exerçait auparavant. Elles restent insuffisantes, car elles ne comprennent pas des mesures ciblées et ne donnent pas de moyens suffisants pour lutter contre de toutes les causes identifiées comme étant à l'origine de ladite crise, pourtant bien énumérées dans les propositions gouvernementales ci-dessus.

Les niveaux de régulation proposés et ceux en vigueur réellement ne prennent toujours pas en considération des aspects sensibles et fort dangereux de la régulation des marchés :

D'abord, le mélange des activités de banque classique d'entre 1933 et 1997 et les activités de marchés est l'un des aspects qui demeure toujours sans solution même si des tentatives de régulation sont en cours pour y remédier. Le 21 Century Glass-SteagallAct de 20134, ainsi que des projets de loi similaires en Europe, qui voulaient le retour d'une séparation nette et tranchée des activités de banques de dépôt et des activités de marchés (banque d'investissement) mais qui peinent toujours à être adoptés ou qui sont renvoyés carrément aux calendes grecques par les lobbies des gros opérateurs, tous versés dans cette activité très lucrative et fort rentable, mais réellement dangereuse et qui fut la cause principale de la crise. C'est un mélange détonnant de ressources pas chères, mais rares (activité de banque de dépôt) et de montages complexes, mais peu scrupuleux à l'égard des petits consommateurs et investisseurs lambda (activité investissement ou de marchés) que cette réglementation voulait, sans y parvenir, bannir et faire disparaître rapidement.

Ensuite, les agences de notation continuent à exercer tout bonnement leurs activités comme auparavant sans changement ni régulation supplémentaire ce qui pourrait tout simplement reproduire les mêmes erreurs et les mêmes schémas que ceux d'avant la crise de 2008. En effet, le cycle de gestions de l'information, du contrôle de la transparence financière dépendant fortement des données et informations présentées, certifiées et/ou évaluées par les agences de rating reste toujours sans régulation stricte et claire qui définirait de façon exhaustive les responsabilités des acteurs de ce compartiment.

La légèreté des sanctions prévues, voire même, l'absence dans la réglementation précédente de sanctions proportionnelles en cas d'infractions graves et conduisant à des risques systémiques lorsqu'elles sont commises par les agences de rating, surtout que les décisions des investisseurs dépendent fortement des notations et des évaluations des actifs tel que présentées par les agences de notation.

Par ailleurs, la régulation des rémunérations des intervenants sur les marchés pose un vrai problème aux autorités, institutions et opérateurs des marchés. D'un côté, c'est le moyen de motivation et de distinction pour attirer les meilleurs talents et les cerveaux les plus compétents. De l'autre côté, c'est la cause des agissements immoraux et des comportements indignes des acteurs du marché. Ce volet pose même un problème de conflit d'intérêts entre objectifs individuels, objectifs institutionnels et objectifs collectifs poussant certains décideurs à agir de façon irrationnelle ou immorale. Malgré les cas avérés et traités durant les différentes crises, ce volet n'a toujours pas fait objet de régulation rigoureuse et objective.

Enfin, penser que tout le système financier pourrait être contrôlé par une seule et unique autorité, la FED, la BCE ou toute autre entité est illusoire et irréaliste. Il poserait même un problème d'efficacité, d'efficience et de conformité dans tous les sens. Exercer un contrôle total sur le marché par une seule autorité pousserait à l'apparition des mêmes tares et défaillances constatées dans les sous-autorités qui existent actuellement. Le problème de concentration des pouvoirs remettrait en cause tout le processus de contrôle en lui-même. Aucune proposition de régulation sérieuse ne traite ce sujet de façon objective et transparente.

Récemment, des figures influentes de la finance mondiale et des meneurs de poids des marchés financiers5 multiplient les déclarations hostiles aux démarches initiées par les élus, les autorités et les institutions publiques dans le sens du renforcement de la régulation desdits marchés financiers. Ils arrivent même à accuser les banques centrales d'avoir causé une plus grande volatilité des différentes bulles et une instabilité des marchés sur le long terme. Ils estiment que les politiques monétaires menées actuellement sont des politiques de crises qui ne devaient pas durer aussi longtemps. Le fait de continuer à les appliquer sur une aussi longue durée crée une sorte de lifting des prix des actifs et impacte directement le processus de gestion de l'inflation au sens économique du terme. Ils donnent comme exemple l'apparition de nouvelles bulles : bulle de l'immobilier à Londres, bulle du Bitcoin, bulle du marché de l'automobile de seconde main. Ceci pose un problème lorsque cette politique de facilitation sera suspendue, si elle est suspendue bien évidemment : quel serait l'impact ? Ils répondent : ce sera une nouvelle crise menant droit vers la récession, sans aucun doute !!

Ces figures de la finance oublient juste de dire que le transfert de la crise du domaine privé vers le domaine public a été causé par un souci de préservation des banques, dont les leurs, d'une faillite certaine suite à la crise de 2008. Cette politique ne peut être suspendue sans conséquences systémiques sur l'ensemble des opérateurs et des agents intervenant sur le marché financier.

Les pouvoirs publics cherchent à amortir le choc sur une longue période intentionnellement pour pouvoir liquider progressivement les actifs toxiques injectés dans le système durant toute la décade entre 1999 et 2008. Le choix a été fait, là aussi intentionnellement, de sacrifier une croissance saine et une inflation de l'économie réelle en faveur d'une thérapie longue et d'une inflation des actifs financiers irréelle pour éviter un choc trop dévastateur sur le système financier lui-même.

Les nouvelles bulles, qui apparaissent et qui sont imputées la politique monétaire des autorités, vont surement exploser et causer des dégâts, mais de moindre portée que les effets d'un crash en domino de l'ensemble des opérateurs des marchés financiers. Cette interdépendance des marchés dont bénéficient les too-big-to-fail est le produit d'une politique monétaire molle et d'une régulation de faible portée.

Ce cercle vicieux est en train d'être démonté et brisé par une politique monétaire sans réelle garantie de succès.

A suivre

*Economiste et chercheur