Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Protéger la mer de Corail, le berceau de la Grande Barrière de corail

par Adele Pedder*

Vulnérables au changement climatique, à la pollution et à la surpêche, les océans font face à des défis de plus en plus importants. Il est donc de plus en plus essentiel de réserver de vastes zones de nos océans pour permettre aux écosystèmes de fonctionner à l’état naturel. De plus en plus de nations préconisent la création d’aires marines protégées et de réserves pour donner aux régions de notre planète bleue une chance de relever le défi.

Pour l’Australie, qui dispose du troisième plus grand territoire maritime et la plus grande diversité d’espèces marines dans le monde, les enjeux sont très importants. Le continent est situé à la jonction de trois grands océans, comprend des écosystèmes tropicaux, tempérés et subarctiques et est l’habitat d’une vie marine unique au monde. Historiquement, l’Australie a tracé la voie en matière de conservation marine. Dans les années 1980, nous avons créé le Parc marin de la Grande Barrière de corail et, en 2012, avons annoncé ce qui aura été le plus vaste réseau national de parcs et de sanctuaires marins dans le monde. Comprenant 60 vastes parcs marins le long des côtes australiennes, ce réseau a pour principal objectif de conserver la biodiversité.

Après 15 ans de plaidoyer, de recherche scientifique et de consultation, et plus d’une décennie de travaux menés par les gouvernements successifs issus des deux grands partis, la déclaration concernant la création du réseau de réserves marines a remporté une adhésion considérable du public australien. Le système de réserves marines a fait l’objet de six cycles de consultations du public : sur les 750 000 participants, 95% étaient favorables à une meilleure protection des zones maritimes australiennes.

Le réseau comprend environ un tiers des eaux littorales du Commonwealth d’Australie, 14% étant désignés comme sanctuaires très protégés. Si ce chiffre est encore éloigné des recommandations faites par le Congrès mondial sur les parcs naturels, dont l’objectif est de protéger 20 à 30% des zones marines et côtières, cela a représenté une augmentation importante par rapport aux 4% précédents.

Malgré ce progrès, le gouvernement nouvellement élu a, dans les 100 jours suivant sa nomination(1), ordonné de procéder à un examen visant à suspendre le réseau des réserves marines australiennes. De grands instituts de recherche, dont l’Australian Marine Science Association et The Ecology Centre de l’University of Queensland, ont fait remarquer que les travaux de recherche étaient insuffisants pour que le Gouvernement prenne la décision de suspendre ce réseau(2), mais ces arguments sont tombés dans l’oreille d’un sourd.

Le parc le plus vaste et le plus important – la réserve marine du Commonwealth pour la mer de Corail – est situé à côté de la Grande Barrière de corail et est le plus concerné par le projet d’examen.

LA MER DE CORAIL, UN POINT CHAUD DE LA BIODIVERSITÉ

Située au nord-est du Queensland, la mer de Corail est bordée à l’ouest par la Grande Barrière de corail et au nord par la zone protégée du détroit de Torrès. Ces environnements océaniques sont étroitement liés et devraient être gérés comme un vaste écosystème, étant donné la situation préoccupante de la Grande Barrière de corail, qui subit d’importantes pressions et qui a perdu la moitié de ses coraux durant ces 27 dernières années. Au cours des 13 derniers mois, deux phénomènes importants de blanchissement des coraux et un cyclone de catégorie 4 sont survenus. Au moment de la rédaction de cet article, les résultats de ces derniers impacts n’avaient pas encore été évalués.

Berceau de la Grande Barrière de corail, la mer de Corail est un point chaud de la biodiversité dont les 49 habitats différents abritent plus de 300 espèces menacées. Elle est reconnue mondialement pour sa diversité de grands prédateurs, comme le requin, le thon, le makaire, l’espadon et le voilier, et est l’un des derniers lieux de la planète où les populations n’ont pas encore été épuisées. La mer de Corail fournit un habitat à de nombreuses espèces menacées d’extinction, y compris la tortue imbriquée et la tortue verte. Elle abrite jusqu’à 28 espèces de baleines et de dauphins et 27 espèces d’oiseaux de mer.

UN LIEN BIOLOGIQUE ESSENTIEL

La mer de Corail est un lien essentiel entre le Pacifique occidental et la Grande Barrière de corail et, plus loin, avec le Triangle du corail en Asie du Sud-Est. Elle fournit de nombreux tremplins qui permettent l’interaction génétique entre les espèces par les courants océaniques qui transportent des spores, des larves et des animaux migrateurs. Elle joue aussi un rôle important dans la reconstitution des populations. Elle reçoit des courants océaniques de Vanuatu, à l’est, qui restaurent les communautés biologiques sur ses coraux émergents.

LES INCIDENCES DES RÉDUCTIONS PROPOSÉES

La mer de Corail est l’un des rares lieux dans le monde où la vie marine tropicale est relativement intacte et peut être protégée sur une grande échelle. En effet, Daniela Ceccarelli, une consultante en écologie marine du Centre mondial d’excellence pour l’étude des coraux, chapeauté par le Conseil australien de la recherche (Australian Research Council, ARC en anglais), a constaté que les sanctuaires de la mer de Corail représentent «probablement le seul environnement pélagique tropical n’ayant pas été touché par les activités de pêche où une vaste zone peut être instaurée et gérée(3)». La réserve marine, comme initialement proposée, abrite les plus vastes sanctuaires d’Australie et est l’un des rares lieux dans le monde où il est possible d’instaurer un sanctuaire marin pour protéger un environnement marin tropical relativement sain(4).

Le Plateau Marion est l’une des trois caractéristiques écologiques essentielles de la mer de Corail(5). Le sanctuaire du récif Marion renforce la protection des récifs, des îlots coralliens et des poissons herbivores du Plateau. Il est important de noter que la réserve marine du Commonwealth pour la mer de Corail est également le seul lieu en Australie où les monts sous-marins tropicaux sont protégés.

Le processus d’évaluation des risques mis en œuvre par le Gouvernement a permis de constater que huit activités de pêche commerciale étaient incompatibles avec les valeurs de conservation de la mer de Corail(6). Pourtant, le nouvel avant-plan de gestion propose d’exposer la réserve à ces pratiques de pêche intensive. Les niveaux de protection bas, proposés dans cet avant-projet, suscite de vives inquiétudes au sein de la communauté scientifique en ce qui concerne les habitats uniques de la mer de Corail, en particulier ses bassins, ses écosystèmes (pélagiques) en haute mer et ses récifs coralliens uniques(7).

Le réseau de réserves marines a visé à réaliser la couverture complète et représentative des systèmes écologiques majeurs en Australie. Ne voulant pas être trop ambitieux, de nombreux scientifiques ont plutôt fait valoir que la proportion de sanctuaires était insuffisante pour assurer la conservation de la biodiversité(8). En effet, en ce qui concerne en particulier la mer de Corail, la communauté scientifique, dans une déclaration scientifique adoptée par consensus, préparée par le Centre d’excellence pour l’étude des coraux de l’ARC et approuvée par l’Association australienne des sciences de la mer ainsi que par 300 scientifiques, a exprimé des inquiétudes quant à la protection inadéquate des habitats essentiels dans les eaux du sud et de l’ouest de la mer de Corail(9). Le processus d’examen récent vise à réduire de manière significative une décision jugée inappropriée ou offrant des niveaux de protection insuffisants.

LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

Selon le Centre de conservation de la géographie, la valeur sociale et économique nette de la réserve marine du Commonwealth pour la mer de Corail représente 1,2 milliard de dollars(10) pour la communauté australienne. Il a aussi estimé que la réserve générerait une augmentation nette de 100 emplois, les répercussions positives sur le tourisme de nature et la pêche de loisir surpassant les répercussions négatives possibles sur la pêche commerciale de 5 millions de dollars par an au moins. La réserve a réussi à minimiser le déplacement des activités de la pêche commerciale, les incidences négatives maximales étant estimées à 4,2 millions de dollars(11). Grâce à la création de cette réserve, l’industrie touristique pourrait connaître une augmentation de 150 %, ce qui représenterait un gain des ventes directes de 9 millions de dollars(12).

Jusqu’à un tiers de la réserve marine du Commonwealth pour la mer de Corail a été instauré pour devenir le site exclusif de la pêche de loisir et de la pêche à bord de bateaux affrétés, créant la zone de loisirs la plus vaste de l’histoire de l’Australie. Le zonage initial, proposé en 2012, a trouvé un bon équilibre entre des niveaux élevés de protection des sanctuaires et l’utilisation commerciale. Le processus d’examen, qui préconise des réductions importantes en matière de protection, risque de remettre cette initiative en question.

OÙ EN SOMMES-NOUS ?

Un premier rapport présentant les réductions envisagées pour le réseau australien des sanctuaires marins a été publié avec, comme élément central, la mer de Corail et les grandes menaces auxquelles fait face le sanctuaire. Plus de 500 000 pétitions, demandant au Gouvernement australien de ne pas effectuer de réductions et de réinstaurer l’ensemble du système des réserves et des sanctuaires marins, ont été reçues. Il est important de noter que plus de 5 000 de ces pétitions ont été soumises par des pêcheurs de loisir. Au moment de la rédaction de cet article, de nombreux scientifiques australiens, des parties prenantes du secteur marin et des «amoureux de la mer» déployaient des efforts considérables pour prévenir la destruction de la réserve marine. La Société australienne pour la conservation marine et l’alliance Save Our Marine Life, composée de 25 groupes de la conservation des écosystèmes, estiment que l’examen en cours des réserves marines devraient être envisagées comme une occasion de remédier aux lacunes du plan précédent, et non pas de l’amputer, et de renforcer la protection des océans d’Australie. Cela est nécessaire si l’Australie veut s’acquitter de ses engagements internationaux en matière de protection de la biodiversité.

Le Gouvernement doit proposer de nouveaux plans de gestion pour les réserves marines concernées lors d’un nouveau cycle de consultations du public qui aura lieu à la fin de mai 2017.
Vous trouverez plus d’informations dans un rapport commandé par l’alliance Save Our Marine Life intitulé The Coral Sea Marine Reserve : Centre for Conservation Geography Report to the Australian Government’s Marine Reserves Review.
Disponible sur le site conservationgeography.org/content/ccg-coralsea-report-australias-commonwealth-marine-reserves-review.

* Responsable de campagne pour la préservation des océans à l’Australian Marine Conservation Society
Notes
1- Pour plus d’informations sur l’examen relatif aux réserves marines du Commonwealth, voir le site web du Gouvernement australien http://www.environment.gov.au/marinereservesreview/home.
2- Judith Friedlander, «Marine reserves ditched despite tide of research», The Sydney Morning Herald, 13 septembre 2014. Disponible sur le site http://www.smh.com.au/environment/marine-reserves-ditched-despitetide-of-research-20140825-1083js.html.
3- Daniela M. Ceccarelli, «Australia’s Coral Sea: a biophysical profile», Report ([Canberra], Pew Environment Group Protect Our Coral Sea, 2011), p. 3. Disponible sur le site http://www.hsi.org.au/editor/assets/marine_conservation/082011 Austral....
4- Daniel Beaver et al., «The Coral Sea Marine Reserve: Centre for Conservation Geography Report to the Australian Government’s Marine Reserves Review», Version 1.0 ([Canberra], Centre for Conservation Geography,2015), p. 7. Disponible sur le site http://conservationgeography.org/sites/default/files/CoralSeaMarineReser... eport_31_03_2015.pdf.
5- Commonwealth d’Australie, 2012. Caractéristiques écologiques essentielles. http://www.environment.gov.au/metadataexplorer/full_metadata.jsp?docId={093A2086-7DE3-41A7-B4075BCCA7F400A5}&loggedIn=false.
6- Beaver et al., Op. cit., p. 4.
7- Ibid.
8- Nic Bax et Ian Cresswell, «Marine reserves not about closing fisheries, but about preserving ocean health», The Conversation, 27 août 2012. Disponible sur le site https://theconversation.com/marine-reserves-notabout-closing-fisheries-b....
9- Centre d’excellence du Conseil australien de recherche : Études sur les coraux, proposition sur la réserve marine de la mer de Corail, présentation du projet de proposition concernant la réserve marine du Commonwealth pour la mer de Corail (2012). Cité dans Beaver et al., p. 27.
10- Beaver et autres, Op. cit., p. 4.
11- Commonwealth d’Australie, Completing the Commonwealth Marine Reserves Network: Regulatory impact statement (Canberra, ACT, Australia, Marine Division, Department of Sustainability, Environment, Water, Population and Communities, 2012), p. 50. Disponible sur le site http://ris.pmc.gov.au/sites/default/files/posts/2012/06/03-Completing-th... S1.pdf. Cité dans Beaver et all., Op. cit., p. 15.
12- Commonwealth d’Australie, A Guide to the Integrated Marine and Coastal Regionalisation of Australia, IMCRA Version 4.0. (Canberra, Australie, Ministère de l’environnement et du patrimoine, 2006). Disponible sur le site https://www.environment.gov.au/system/files/resources/2660e2d2-7623-459d...