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Le débat

par El Yazid Dib

«J'en apprends souvent plus en suivant des débats entre journalistes qu'en écoutant des politiciens prisonniers de formules toutes faites.» André Dussollier

Apres lui, tous les députés veulent parler. Ils sont plus de 290 à vouloir dire quelques choses. Les uns, rassurés de se faire voir, les autres désireux de marquer leur différence et ainsi, chacun aura à accomplir une séance de présence aspirant à justifier quelque part la motivation de l'existence de son mandat. A peine l'entame des premières interventions que la salle commençait à se vider, laissant apparaitre au lieu d'un député, un simple numéro. Le menu culinaire de cette journée d'ouverture par ses odeurs alléchantes aurait été irrésistible pour accrocher les narines et chatouiller la vacuité des estomacs.

A vrai dire, le vrai débat est en dehors l'assemblée. Ici, ce n'est qu'une mission constitutionnelle et civilisée de l'exercice de l'expression représentative. Le dialogue est dans une « démocratie apaisée » telle qu'elle est censée se faire. Mais dans la rue, le souk, les transports, entre voisins, avec des amis, sur ses pages facebook ; la discussion ne connait pas la limite de l'apaisement. Elle est libre, avec humeur et position préétablie. La ménagère parle des étagères de son frigo, le jeune rit avec toute insouciance de son devenir, le maire de sa prochaine réélection. Ces silhouettes humaines de vieux retraités ont aussi leur débat, qui loin de se situer dans un esprit partisan ne s'articule qu'autour d'une minable pension, d'une chaine postale interminable et d'une mauvaise prise en charge du temps qu'ils ont encore à vivre, voire à perdre.

L'orateur

Le pupitre de l'hémicycle lui est familier. C'est de là qu'émane ou l'espoir ou l'illusion. Lui, il s'y sent comme dans un milieu tout à fait naturel. Il est presque chez lui. La grande scène des grandes joutes oratoires. Nous avions affaire à un homme pétri d'oraison et de sens de la certitude. Il savait en toute pertinence envers qui va-t-il faire la énième fois son exercice favori. L'argumentation d'une trajectoire qui ne nécessite nullement une force persuasive, sachant que le temps de la simple crédulité est encore de mise. C'est d'avance une partie de gagnée. N'est-ce pas là le jeu et ses règles du fonctionnement de la majorité parlementaire ? Il n'est pas venu s'adresser à ses coéquipiers partisans, mais à tous ces représentants des partis de l'alliance que l'on qualifie de présidentielle. Et aux autres également prévoyant imperturbablement leurs interactions « négatives » justement souhaitées si elles n'étaient pas implicitement suscitées.

Son programme est un chapelet où l'on sent de l'effort rédactionnel, où les expressions sont des substances qui provoquent parfois de la sérénité parfois de l'inquiétude. Dans ce contexte général de débats parlementaires et de conjectures spéciales, Ouyahia n'aurait pas besoin de décliner un programme. A lui seul il en constitue plusieurs. Pour preuve dès l'entame de sa lecture ; il préférait s'adonner à un autre exercice. Parler et persuader. Son discours préliminaire est managérialement charpenté. Sortir de son sommaire pour aller piocher dans l'histoire récente dont il était l'un des fondateurs et acteurs décisifs était une preuve de son vécu apte à convaincre plus d'un. Rafraichir les esprits amnésiques demeure dans ces cas une thérapie de niveau. En se référant à chaque constat à une période donnée avec chiffres à l'appui, l'orateur semble vouloir ramener l'auditoire à une leçon d'histoire contemporaine, une sorte de révision loin d'être stipendiée de la mémoire encore neuve. La puissance argumentaire n'a pas manqué de s'adosser à chaque opportunité sur des exemples de la géographie financière telle que pratiquée par des Etats, allant des Etats unis, à l'Europe en s'abstenant de citer les pays, passant évidemment par les pays voisins. Chaque exemple est arboré en adéquation avec la tendance voulue par le programme si c'est comme pour la corroborer davantage. La rhétorique de l'explication.

Le bonhomme sait discourir, encaisser, surpasser sa personne, résister aux heurts de dos ce qui fera dire un ami militant du vieux parti « on aurait aimé le voir secrétaire général du FLN »

Les auditeurs

Les députés étaient tous à leurs places. Les yeux pour les novices étaient plantés vers les décorations murales et l'identification des personnes assises dans les premiers bancs. C'est à cette image de courtisanerie que se cogite déjà le résultat de l'essentiel du motif de la candidature. La proximité du pouvoir enivre et fait tourner la tête. Les projets sont maturés, il ne reste que les coulisses pour les faire naitre d'une façon ou d'une autre. Profitant de la sortie temporaire d'un ministre pour ses besoins personnels, on le voyait, vu à la télévision empoigné par une ruche de représentants en quête de mondanité et d'accroche pour un éventuel rendez-vous.

Leurs premiers applaudissements n'étaient pas réservés à la prononciation du nom du président de la république cité à maintes reprises. Pourtant la majorité des présents lui est acquise et l'habitude s'admettait ainsi. C'est jusqu'à la 30 eme minute de l'oraison qu'une ovation collective remplit la salle à la prononciation de la souveraineté nationale due aux glorieux chouhadas. Tous est à l'honneur des applaudisseurs.

Tous venus, l'air joyeux et tout gai d'avoir à s'asseoir sur un siège que chacun connait sournoisement les contours et pourtours de son obtention. Ne pas savoir faire une différence entre un prix référentiel pour l'élaboration d'un document financier légal et un prix de baril n'est pas un indice de pauvreté dans l'intelligence parlementaire mais un défaut de sérieux. Un député ou un homme politique si c'en est le cas n'est pas obligé d'être bardé de diplômes, mais d'une maturité et d'un discernement es-qualité. Une erreur si elle n'est pas personnelle est entièrement partisane. L'on n'a pas entendu se dire qu'un parti ait pu réunir ses députés pour une discussion concertée et pédagogique du programme qui leur est soumis. Chacun y est allé de sa propre connaissance. Certains n'ont même pas disaient-ils « le temps de le voir ».

A les voir écouter sans trop entendre le premier ministre disserter dans des théories de l'orthodoxie budgétaire, l'on sent que par la prise de joues par les paumes de mains indique une certaine indifférence à la limite d'un besoin de finir de si tôt la séance. L'allocution des premiers intervenants étaient dans leur entièreté, homogènes pour clamer loin du programme des éloges et des obséquiosités. L'allégeance sans nul besoin qu'elle n'y soit avait quelque peu difformé le débat et Ouyahia ne semblait pas en attente de tels propos.

La redondance dans les interventions des députés notamment de l'alliance n'ont rien apporté de nouveau se limitant à réexpliquer autrement ce qu'avait su bien développer le premier ministre. Les unes que les autres frôlaient les accointances d'une déclaration d'amour.

Les réticents

L'opposition, si elle n'existe pas il faudrait bien la manufacturer et faire en sorte qu'elle s'exprime, boude et vocifère ses positions. Ce sera le grain de sel qui, loin de pourrir la sauce y apportera à bon ingrédient toute la saveur. L'avis contraire sera ainsi pour ce programme un billet de validation. Ils sont là à siéger, siroter les menus de la cafet, s'embrasser et guetter la moindre coulisse propice et entremetteuse. Leur opposition pour certains ne s'apparente qu'à un engagement dans la contrariété entretenu envers l'homme. Ils apposent un sens politique à une démarche économique. Un parti en face d'une nation. Les intervenants des partis qui n'ont pas de sainteté avec le gouvernement persévèrent dans le dessin de leur croyance pour établir un constat de défaillance générale et d'échec généralisé de toutes les politiques suivies jusqu'ici. Certains ont su mettre le doigt sur ce que tout le monde connait comme dysfonctionnements et irrégularités de la conceptualisation des politiques sectorielles.

Il n'y avait aucun enthousiasme ni écart dans les avis contraires émis envers ce programme. Ceux-ci étaient imprégnés d'une certitude politique conforme aux orientations paraissant historiques pour les uns et systémiques pour les autres. L'engagement de chacune des formations est connu, ses réactions aussi.

Les autres

Ils n'ont aucun siège, aucun tabouret, seuls quelques menus bouts de cartons à mettre sur des marches ou des endroits propices pour scruter la vie et regarder les passants vivre et mobiles. L'oisiveté est aussi source de débat. Nombreux sont ceux qui par défaut ou volontarisme ne veulent rien savoir. Débranchés de l'actualité ; ils ne subissent pour beaucoup l'effet des discours les plus pompeux que dans un billet de banque qui s'évapore au premier achat. Ils sont ces citoyens qui guettent la moindre bribe d'un léger mieux dans leur amertume quotidienne. Ils savent qu'ils ne manquent de rien et craignent que ce programme puisse arrêter tous les effets de cette rente. Ils craignent la fin de l'hégémonie de la rétribution gratuite et sans contrepartie et de l'aisance financière qui la favorise. Quel est cet Etat qui construit et donne des logements, qui chouchoute les jeunes sans pour autant leur faire susciter expressément la générosité étatique face à leur oisiveté, qui voit ses citoyens obtenir par centaines des visas et d'autres mourir sur des chaloupes de fortune, qui sait ses écoliers inscrits au Lycée Alexandre Dumas ou aux établissements privés et d'autres mourir de froid dans des annexes scolaires démunies de route et d'enseignants ? L'Algérien forme à lui seul une entité insatiable et reste une force agissante à celui qui saura dynamiser ses moteurs.

Ouyahia a beau dire que les transferts sociaux ne seront pas touchés et que le logement persévérera dans son élan de charité charitablement offert par un Etat si généreux. Malgré une raréfication attestée de liquidités et de moyens de paiement, l'on continue à agir dans un esprit mercantile.

Les autres sont ceux qui dans une masse très dense constitue cette majorité abstentionniste et apolitique. Ils n'ont de tête que dans le désir de vivre heureux et d'assurer un bel avenir à leur progéniture sans égard à la couverture politique qui les gouverne. Des partis, ils s'en foutent comme ils ne le font pas pour le foot.

Parmi ces autres, il y aussi ces formations politiques qui ne siègent pas a l'APN ou sont toujours installées dans des cellules dormantes mais qui continuent différemment à animer la scène nationale. Les micros leur sont ouverts, les plateaux et les colonnes aussi. Ainsi ces autres sont plus nombreux que les autres.

L'observateur

L'observateur qui ne s'inscrit dans aucun camp tel que votre serviteur aurait souhaité que le débat puisse se baser, outre les aspects mécaniques de sorite de crise, des techniques de leur faisabilité, sur des facteurs rendant le citoyen tout heureux. Le programme aurait à gagner à chercher le moyen de recréer la confiance disparue. Cette confiance en soi, en son algérianité, en ses capacités, en ses institutions, en ses hommes et femmes ne peut se trouver que dans la stabilité institutionnelle. Elle n'aura pour corolaire que l'application sans faille de la promotion au mérite, le bannissement des inégalités criardes et l'expulsion de l'esprit de l'exclusion et du déni de compétences. Chercher la bonne procédure du comment faire aimer la chose publique au citoyen et le faire adhérer à toute démarche restera un chalenge et un défi. Il ne suffirait pour cela que quelques gentils comportements écrasant tout ego et toute prétendue pérennité dans le perchoir de la décision. Que chacun ait à faire ce dont il est capable, sans pour autant le proscrire pour une idée contraire. C'est de ce débat contradictoire, qui malheureusement n'a pas eu lieu dans l'enceinte parlementaire que se projetteront les issues de sorties. L'Algérie n'appartient-elle pas à tous les Algériens ? Ouvrez généreusement les tympans de vos cœurs, tendez attentivement votre écoute et soyez algeriennement clean.