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Ahmed Ouyahia : quel regard va-t-il porter maintenant sur l'entreprise ?

par Chérif Ali

En 2011, le gouvernement avait décidé de changer de braquet et de faire de cette année-là « l'année de l'entreprise ».

Les tripartites, tout comme les plans de relance, se sont succédé avec les objectifs d'instaurer un dialogue social, de rééquiper le pays, de développer les infrastructures de base, de redynamiser la formation et la recherche. Un Conseil des ministres a été, presque exclusivement, consacré aux problèmes que rencontre l'entreprise dans son fonctionnement et son expansion ! On parlait alors de « mise à niveau de l'entreprise », programme qui a concerné 20.000 PME, publiques et privées, pour une enveloppe de près de 380 milliards de dinars. Les travailleurs mis au chômage, à l'époque de l'opération dite « politique de restructuration des entreprises », ont accusé la centrale syndicale d'avoir fermé les yeux concernant ce qui a été appelé, communément, à l'époque «le plan de redressement interne» à l'issue duquel l'entreprise était obligée de fermer, de libérer les travailleurs pour être aussitôt reprise par des repreneurs plus que ravis par l'aubaine. En ce temps-là, Ahmed Ouyahia était aux manettes. Il déteste l'entreprise, pensaient les gestionnaires : «Son gouvernement a durci et bureaucratisé les conditions d'investissement et de création d'entreprises; l'octroi des crédits bancaires aux entreprises était soumis à l'accord du pouvoir politique et l'accès au foncier industriel était quasi impossible». Les patrons des EPE algériennes disaient qu'« il donnait de l'argent d'une main et de l'autre, il signait une circulaire des plus restrictives énumérant les cas de dépenses pouvant être assimilées à l'abus de biens sociaux ». Soucieux qu'il était de préserver les deniers de l'Etat, et ce n'est pas ce qu'on lui reprochait d'ailleurs, il se méfiait des gestionnaires, eux-mêmes échaudés par les multiples opérations « mains propres » dont certains de leurs pairs ont fait, injustement, les frais.

On se rappelle cette époque où les patrons des entreprises publiques étaient tétanisés et horrifiés à l'idée de prendre un quelconque risque ou une décision qui pouvaient les conduire directement en prison ! Même les grands groupes se plaignaient, à cette époque-là, des blocages administratifs de leurs projets, souvent pour des raisons des plus absconses.

Des investissements importants dans différents secteurs économiques présentés par des groupes privés, attendaient, selon eux, dans des cartons, depuis des années, de passer au Conseil d'investissement.

Nous avons le potentiel pour réaliser une croissance plus forte et durable, avait déclaré le successeur d'Ahmed Ouyahia, dans son allocation d'ouverture de la Conférence sur le développement économique et social; il nous faut, toutefois, nous départir du « pessimisme ambiant » pour construire une économie diversifiée, émergente pour atteindre à l'horizon 2019 un taux de croissance de 7% grâce, notamment, à l'industrie. Il soutenait «mordicus» que «les performances économiques du pays sont positives et qu'elles pouvaient être, substantiellement, améliorées». Il a aussi dit «qu'il continuerait à exécuter, jusqu'au bout, le programme sur lequel a été élu le président de la République». Pour ce faire, il s'est dit «décidé de mettre l'entreprise nationale, sans distinction aucune, au cœur de sa démarche visant l'amélioration du climat des affaires, l'entrepreunariat, le partenariat et la promotion de l'investissement, créateur de richesses et d'emplois». Que reste-t-il des prévisions de l'ex-Premier ministre, Abdelmalek Sellal, puisque c'est de lui qu'il s'agit ? Pas grand-chose, si ce n'est qu'«il ne disait pas toute la vérité au peuple algérien», dixit l'actuel chef du gouvernement.

Avec la mondialisation, les entreprises algériennes sont contraintes, présentement, d'évoluer dans un contexte d'ouverture commerciale et de concurrence accrues. Il devient alors indispensable pour elles d'améliorer leur compétitivité interne et externe. Pour l'heure, et c'est révélateur de l'incurie de nos entreprises, il n'y a aucune trace d'entreprises algériennes dans la liste des invités au Forum Afrique-Monde arabe-France. Tout comme les organisations patronales algériennes contrairement à leurs homologues africaines et arabes et aussi maghrébines qui seront présentes !

Le pays a besoin de ses entreprises, de toutes ses entreprises car ce sont elles qui, en innovant, en risquant les capitaux de leurs actionnaires, en mobilisant leurs salariés, en répondant aux attentes de leurs clients, créent de la valeur, génèrent de la richesse qui doit profiter à tous !

Comme Cevital qui se distingue parmi ces entreprises qui réussissent et servent l'économie nationale, sans y être autorisées ni parrainées. Et les Algériens n'arrivent pas à comprendre ce que leur vaut cet acharnement de la part de certains services publics. Tous s'accordent à dire que, désormais, le débat à venir doit être placé sur le terrain économique.

Et ceux qui persistent à opposer, systématiquement, Etat et entreprises, chefs d'entreprises et salariés, organisations patronales et syndicales doivent revoir leur position. Il est absurde de parler de cadeaux faits aux patrons, ce langage n'a aucun sens. Une mesure favorable aux entreprises est favorable au pays tout entier.

En ces temps de crise et de récession économiques, le regard et l'espoir doivent se porter, en priorité, sur la création d'entreprises, seules à même de pouvoir relancer la croissance et l'emploi.

Aujourd'hui et avec le prix du pétrole qui baisse, les rentrées en devises du pays vont, considérablement, se réduire. Cela va-t-il infléchir le gouvernement et le dissuader de présenter un plan d'investissement des plus audacieux ou, au contraire, va-t-il mettre le paquet pour « réanimer » l'économie nationale ? Faut-il aussi se féliciter de ce « trop d'Etat » dans l'économie, sachant que cela peut tuer l'économie, ou exiger, alors, l'effacement de l'Etat, sachant que son absence est aussi nocive que sa grande présence?

Pour sa dernière tripartite, consacrée à « l'investissement et l'entreprise », Ahmed Ouyahia, comme dans un aveu de repentance, a indiqué que « les orientations économiques du pays ont changé en faveur d'une meilleure place pour l'entreprise nationale ». Il a reconnu aussi que « les efforts pour atteindre cet objectif ont été insuffisants, en notant que la Banque mondiale a classé l'Algérie à la 136e place sur 82 pays dans le domaine des climats des affaires ». L'exécutif, pour la circonstance, ayant été réajusté, le cap économique doit être clairement explicité, d'autant plus qu'Ahmed Ouyahia a assuré, par exemple, vouloir « maintenir la politique du montage de véhicules » qui a suscité tant de critiques. Le Japon et la Corée du Sud, qui sont les leaders mondiaux dans le domaine de l'automobile, avaient débuté avec « le boulon et le tournevis », a-t-il tenu à rappeler. En attendant de voir plus clair dans son programme qu'il compte soumettre à l'APN, les experts sont unanimes à dire qu'il faut a minima :

1. baisser, au maximum, la dépense publique parce que le pays vit au-dessus de ses moyens,

2. assainir, sincèrement, le climat des affaires (peut-on dire, par ailleurs, que le climat des affaires est en voie d'être débroussaillé? Oui, à en croire Ali Haddad, le patron du Forum des chefs d'entreprises dont il compte décupler les adhérents, qui est plutôt optimiste : « On ne peut pas dire que le climat des affaires est-comme je le lis dans une certaine presse-néfaste ou mauvais dans notre pays, je pense qu'il est très bon » et, poursuit-il « Je ne pense pas que l'Etat soit contre l'entreprise et partant, contre les travailleurs ». Il a tenu à rappeler par ailleurs que « si Renault accepte de venir investir avec l'Etat et les entreprises publiques algériennes, c'est qu'il a fait ses calculs ! Beaucoup d'Américains et d'Européens veulent, d'ailleurs, venir travailler en Algérie, malgré tout ce qui se dit sur le pays !»),

3. dépénaliser, dans les faits, l'acte de gestion,

4. libérer, par les textes, les banques et les inciter à «lâcher» leur surplus de liquidités (rappelons que la Banque d'Algérie avait pris la décision d'ouvrir la possibilité pour les opérateurs nationaux d'investir à l'étranger, à condition que l'objet de l'investissement soit complémentaire à l'activité de production de biens ou de services, et que son montant corresponde au volume des exportations de l'opérateur. Du coup, peu d'opérateurs algériens étaient éligibles à l'investissement à l'étranger.  Quant au citoyen lambda, il ne comprend pas le fin mot de cette mesure qui vise, selon lui, à préserver l'emploi des étrangers, alors que l'effort doit être consacré, en priorité, à la création de postes de travail en Algérie ! D'autres experts pensent plutôt que les mesures de la Banque d'Algérie sont restrictives et que cela va coûter cher au pays; la frilosité de la Banque, disent-ils, est un frein au développement rapide à travers l'acquisition de sociétés étrangères qui se vendent pour une bouchée de pain en raison de la crise en Europe),

5. faciliter l'acte d'investir, et encourager l'entrepreunariat des femmes et des jeunes,

6. mettre, concrètement, le foncier à la disposition des investisseurs,

7. activer l'entrée en Bourse des entreprises qui ont en les moyens,

8. relever le niveau du management de l'entreprise en encourageant la formation et la recherche,

9. instruire les walis en les dotant d'une feuille de route et les soumettre à une obligation de résultats, notamment en matière de création d'emplois et de PME/PMI,

10. prendre une décision, aussi courageuse qu'utile, concernant le 51/49,

11. en finir, une fois pour toutes, avec le dossier de l'adhésion de l'Algérie à l'OMC,

12. travailler, enfin, à l'émergence d'un marché commun maghrébin.