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Le développement des compétences en Algérie: les raisons d'un déficit

par Chaibi Azzedine *

La présente contribution tente d'établir un constat sur la nature de la gestion des ressources humaines en Algérie et le déficit qu'elle enregistre en matière de développement des compétences. Même si le constat relatif à la quasi-absence de gestion des compétences suscite un large consensus tant il semble évident, sa démonstration rigoureuse à l'aide d'outils fiables reste difficile.

Beaucoup d'études menées sur le sujet soulignent d'ailleurs la difficulté relative au recueil des données. Parmi ces études, citons le work paper élaboré en 2014 par un groupe de chercheurs qui s'interrogeait sur les raisons du manque des compétences locales constatées lors de la réalisation de l'autoroute Est-Ouest. Les limites de l'étude sont si évidentes que leurs auteurs le reconnaissent eux-mêmes. La vérification de leurs hypothèses n'est basée d'ailleurs que sur des entretiens effectués avec 05 individus, dont quatre chômeurs et un étranger1. Une autre étude portant le thème perception de la formation et construction des compétences dans les entreprises publiques algériennes fait part des mêmes difficultés. L'auteur précise à cet égard que les tentatives de recueil des données au moyen d'un questionnaire se sont soldées par un échec. Même après avoir limité à la fois la population cible et l'objet de l'étude, le recueil des données est resté difficile. Finalement, l'auteur a du recourir à des procédés informels pour recueillir les réponses aux questions2.Nous pourrions aussi citer de nombreux mémoires de fin d'études s'intéressant à la question des compétences qui se contentent simplement de décrire ce qui existe dans la littérature en la matière et de présenter l'entreprise, objet de l'étude, sans aller plus loin. Voici donc une situation paradoxale où l'intuitif et l'universellement admis sont difficiles à prouver.

En dehors de l'aspect méthodologique et du sujet de recherche, ce qui frappe le plus en consultant les documents traitant de la gestion des compétences en Algérie, à nos yeux, c'est l'absence totale des spécialistes ou des professionnels de la gestion des ressources humaines. Curieuse situation où les personnes directement concernées par le thème sont muets ou absents du débat qui anime leur métier! Peut-on imaginer un instant des chercheurs s'intéressant à la médecine ou à l'électronique qui n'ont pas ne serait-ce qu'une initiation à l'objet de leur étude ?

Bien entendu, il existe plusieurs raisons à l'exclusion du praticien RH des questions qui portent sur son métier et la première d'entre elles est son attitude elle-même qui est fondée essentiellement ?et surtout exagérément- sur le respect de la confidentialité.

Cette attitude est pénalisante, car l'avis du spécialiste RH sur la question de la gestion des compétences au sein de l'entreprise peut pallier le problème du recueil des données, d'une part et permet de s'enquérir de l'aspect technique entourant le sujet, d'autre part. Le spécialiste RH peut participer en donnant son avis lorsque la recherche porte sur son domaine, c'est-à-dire la gestion des ressources humaines. Il peut par ailleurs, participer en analysant le thème à la lumière de son expérience et de son vécu. C'est d'ailleurs dans le cadre de cette participation que s'inscrit la présente réflexion.

Ce regard porté sur la gestion des compétences, basé sur l'avis d'un professionnel RH, n'est ni une façon de puiser totalement le sujet, ni exclusive des autres approches. Il vient en complément des autres méthodes exploratoires. Universitaire spécialisé en sociologie et ayant suivi deux formations, de durée relativement longue, dans le domaine de la gestionnaire des ressources humaines, notre expérience dans le métier de près de vingt ans dans de nombreuses sociétés, dont une grande société publique, et de près de deux ans en tant que consultant et animateur nous autorisent à tenter de répondre à la question de savoir pourquoi le développement des compétences ne constitue pas l'activité essentielle de la GRH. Il ne s'agit pas ici de revenir sur les indicateurs objectifs permettant ce constat, ni même de considérer l'avis du spécialiste RH plus important que celui d'un autre, mais de porter un nouveau regard sur le sujet.

A dessein, l'approche classique de l'ingénierie et de l'évaluation des compétences ne sera pas abordée. Pour une compréhension plus académique du sujet, nous invitons le lecteur à lire les ouvrages des auteurs les plus connus, parmi lesquels nous pouvons citer Guy Le Boterf, Claude Lévy-Leboyer, Cécile Dejoux et Susan E. Jackson.

La gestion des compétences : une affaire de management d'abord

La gestion des ressources humaines en Algérie est souvent considérée comme un centre de coûts sans valeur-ajoutée. Le programme économique adopté depuis l'indépendance explique en grande partie cet état de fait. Du temps de la GSE, par exemple, la vision « productiviste » des responsables faisait que tout ce qui ne concourait pas directement à la productivité est considéré comme activité mineure et donc sans grande importance. La formation, en raison de la lenteur des attentes, a hérité du même préjugé. Or la gestion ou le développement des compétences relève d'abord d'une vision de l'entreprise, c'est-à-dire du manager. La gestion des compétences devient stratégique lorsque, en premier lieu, la vision existe et lorsque, en deuxième lieu, elle est inscrite comme telle dans les orientations stratégiques de l'entreprise.

Les personnes ayant eu l'occasion de recevoir une formation en matière de gestion des compétences savent d'ailleurs que le premier « cours » commence par le management. Ainsi, d'une vision découle une politique RH laquelle donne lieu à des objectifs stratégique RH..

Par conséquent, la gestion des compétences ne peut s'inscrire que dans un cadre plus global impliquant le management et l'absence ou le manque d'intérêt pour les compétences indique, soit l'absence d'une vision, soit l'absence de la gestion des compétences en tant qu'objectif stratégique. Guy Le Boterf précise, à cet égard, dans son livre ingénierie et évaluation des compétences que « l'efficacité et l'efficience d'une politique de ressources humaines dépendent pour une large part de sa cohérence interne et de sa pertinence par rapport à la stratégie de l'entreprise ou de l'organisation »3.

Les raisons pour lesquelles le développement des compétences est le talon d'Achille de l'entreprise sont d'ordre macroéconomique et politique dont le développement dépasse dans une large mesure l'objectif de la présente étude.

Les outils de la gestion des ressources humaines: un ensemble cohérent indissociable

Le deuxième écueil ayant trait à la gestion des compétences est l'outil le permettant. Ainsi, il ne peut être en aucun cas envisagé d'élaborer un outil permettant le développement des compétences, sans le considérer comme un élément faisant partie d'un ensemble fonctionnant ensemble de manière structurée. En d'autres termes, un plan de développement personnel ou collectif par exemple, n'a de sens que si en amont il existe un ensemble d'outils permettant d'identifier le référentiel de compétences et en aval une carte de mobilité.

La notion d'outils permettant la gestion des ressources humaines ne semble pas susciter le consensus entre les spécialistes. Mais en adoptant l'approche qualité dans une perspective de développement des compétences, nous pouvons identifier les outils suivants : la cartographie des métiers, le répertoire des compétences, la fiche de poste ou fiche métier, le référentiel de compétences, la carte de mobilité, le système de l'évaluation des compétences et le système de rémunération. D'autres outils peuvent être rajoutés, mais ils font partie souvent de l'un des grands ensembles décrits plus haut.

Quels que soient les outils choisis, une question fondamentale est incontournable : Qui doit être en charge de leur conception et de leur mise en place ? C'est précisément, à notre avis, cette question qui constitue la deuxième difficulté liée au développement des compétences. Les entreprises algériennes, publiques ou privées, ayant cherché à donner une coloration moderne à leur gestion des ressources ont humaines systématiquement recours aux experts, souvent étrangers, dont la mission est de concevoir les outils. A charge par la suite, aux opérationnels RH de les mettre en œuvre. Cette démarche n'a rien de malsain en soi, si ce n'est qu'elle fait des praticiens RH des exécutants qui ne maîtrisent pas les tenants et les aboutissants de leur métier. La mise en place de ces outils a donné lieu, soit à des mouvements de protestation de la part des salariés comme ce fut le cas dans une grande entreprise publique il y a quelques années, soit à l'application partielle, ou alors à l'abandon à moyen terme. Bien évidemment, ces péripéties révélatrices de dépendance ne sont pas le propre de la gestion des ressources humaines ; elles sont encore plus prononcées dans d'autres domaines comme celui de la technologie.

L'absence de cadre légal régissant le développement des compétences

La GPEC est le sujet qui revient le plus dans le débat qui anime le développement des compétences. Il s'agit de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences. Son objectif est d'éviter les restructurations brutales et de maîtriser les compressions d'effectifs en offrant des solutions palliatives. L'une des solutions préconisée dans le cadre de la GPEC est la gestion et le développement des compétences. Mais la GPEC, faut-il le préciser, existe en France, par la force de la loi. En effet, le code du travail français impose aux entreprises d'au moins 300 salariés la négociation triennale avec le comité d'entreprise afin de l'informer et le consulter sur la stratégie de l'entreprise et les conséquences qu'elle pourrait avoir sur les emplois et la rémunération ainsi que la négociation sur la mise en place d'un dispositif de GPEC et sur ce qui en découle : formation, validation des acquis de l'expérience (VAE), bilan de compétences, accompagnement à la mobilité des salariés. De plus, des aides de l'Etat peuvent être accordées dans le cadre de la GPEC. La GPEC a ainsi créé un intérêt particulier à la gestion des compétences et poussé les entreprises à en tenir compte dans la gestion des ressources humaines. Ceci a donné un essor extraordinaire aux recherches sur tout ce qui a trait aux compétences (outils RH, révision de l'organisation de l'activité RH?). A l'évidence, il ne s'agit pas d'affirmer que la mise en place en Algérie d'un dispositif légal portant gestion des compétences garantit à lui seul une nouvelle dynamique dans la fonction RH dont le noyau serait la compétence, mais il permet de s'interroger sur la quasi-absence de textes relatifs aux compétences. Alors que le code du travail en Algérie -qui ne se limite pas au contrat de travail- abonde en textes traitant tout aussi des droits et des obligations des travailleurs, de la participation, de la négociation collective, de la médecine du travail et de l'hygiène et de la sécurité que de du dispositif d'apprentissage et d'insertion professionnelle, de la taxe de la formation professionnelle et de l'apprentissage et de la sécurité sociale, il n'existe aucun texte légal relatif à la gestion des compétences si bien que le terme même de compétence ne figure nulle part. Seules la formation et la promotion sont garanties par la loi4. Ce mutisme de la loi à l'égard des compétences a un double effet : D'une part, il n'incite pas la fonction RH à s'occuper des compétences en la cantonnant dans la gestion administrative et d'autre part, il ne fait pas de la gestion des compétences un axe stratégique.

Depuis fort longtemps, nous considérons en Algérie que le développement des compétences ne peut se faire qu'au moyen de la formation. Cet intérêt vital à la formation date du temps du Statut Général du Travailleur (SGT) et demeure encore jusqu'à aujourd'hui, avec notamment la pénalisation financière des employeurs qui ne consacrent au moins 1% de la masse salariale aux actions de formation. Mais la formation suffit-elle à gérer les compétences ? La réponse à cette interrogation fera office de conclusion.

La formation, condition nécessaire mais pas suffisante au développement des compétences

Nous soutenons l'idée qu'il existe au moins deux écueils qui empêchent la compétence d'être la préoccupation première à la fois du manager et du gestionnaire RH et que pour avoir bonne conscience, on considère la formation comme la panacée pour tous les maux.

Or, la formation ne peut contribuer au développement des compétences que si elle est basée sur des indicateurs tels que les objectifs attendus, le diagnostic ? Elle doit être basée surtout sur le recherche de la satisfaction de la compétence requise par rapport à la compétence réelle. Mais ces termes de compétence réelle et compétence requises nous renvoient précisément aux outils RH dont il a été question au tout début de cet article et c'est le serpent qui se mord la queue ! La pénalisation financière imposée aux entreprises qui ne forment pas ou peu ses collaborateurs a créé un effet pervers, celui de la course à la quantité au détriment de la qualité et nombre d'entreprises forment juste pour éviter justement la taxe.

Les différents séminaires animés au profit des praticiens de la GRH font apprendre, au moyen d'un questionnaire, que la quasi-totalité des tâches dont ils sont en charge sont de l'ordre administratif. Cette situation peut changer à condition que la situation macroéconomique de l'Algérie change et qu'un dispositif légal visant la gestion des compétences soit adopté.

*Formateur-Consultant/DRH

Notes :

1- Pour de plus amples informations sur l'étude, consulter le site : https://www.ipag.fr/wp-content/uploads/recherche/WP/IPAG_WP_2014_247.pdf

2- Pour de plus amples informations sur l'étude, consulter le site : http://www.ummto.dz/IMG/pdf/memoire_complet_cle0a82ff.pdf

3- Guy Le Boterf, Ingénierie et évaluation des compétences, Paris, Editions d'organisation, 2006.

4- Article 6 de la loi 90-11 du 21 avril relative aux relations de travail.