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Le changement climatique, une menace pour l’océan

par Isabella Lövin*

En 2016, la première Évaluation mondiale intégrée du milieu marin, connue également comme première Évaluation mondiale des océans, a été publiée. L’introduction du rapport est très instructive. Elle indique que 70% de la surface de la planète est couverte d’eau et que la profondeur moyenne des océans est de 4 000 m. Ceux-ci contiennent 97% de la totalité de l’eau sur Terre, soit l’équivalent d’environ 1,3 milliard de km3. Ce chiffre est impressionnant.

Mais le rapport indique également que la population mondiale compte aujourd’hui plus de 7 milliards de personnes. Si l’eau présente sur Terre était répartie également entre nous, nous n’aurions à notre disposition qu’un cinquième d’un km3 par personne. En 2050, lorsqu’il y a aura quelque 10 milliards d’habitants sur la planète, nous n’aurons accès qu’à un huitième d’un km3 par personne. Cette quantité d’eau relativement peu importante représente les services rendus par les écosystèmes auxquels chaque personne aura accès, y compris la nourriture et l’oxygène. Mais c’est aussi là où une partie des émissions, de nos déchets et de nos détritus finiront. Les océans, toutefois, n’ont pas de frontières et sont répartis inégalement sur l’ensemble de la planète. Nous ne pouvons pas protéger la part de l’océan qui revient à chacun par des murs; nous devons donc coopérer dans un esprit de solidarité si nous voulons réussir à préserver l’eau que nous avons à notre disposition, et à la sauvegarder. Nous devons travailler ensemble avec nos voisins les plus proches et coopérer au niveau mondial entre les pays.

On ne soulignera jamais assez l’importance du Programme 2030 et des 17 objectifs de développement durable (ODD). Ils éclairent le chemin dans l’obscurité qui aveugle actuellement le monde. Si des progrès ont été enregistrés pour atteindre de nombreux ODD, l’objectif 14, qui appelle la communauté internationale à «conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement», affiche des tendances qui progressent malheureusement dans la mauvaise direction.

C’est pourquoi les Gouvernements de Suède et des Fidji ont pris l’initiative d’organiser en juin, à New York, la Conférence sur les océans. Ce sera le premier forum de haut niveau qui sera consacré à un seul objectif du Programme 2030 et nous sommes ravis de constater l’engagement croissant des pays du monde entier.

L’une des nombreuses questions qui méritera une attention immédiate concerne les effets du changement climatique sur l’environnement marin mondial. Si l’océan est l’habitat le plus vaste de la planète et un système qui est étroitement lié à la survie de l’humanité, le changement climatique et l’accroissement des émissions de dioxyde de carbone dans les océans ont été, en grande partie, relégués au second plan du débat sur le climat. Les océans, qui produisent la moitié de notre oxygène, régulent le climat et la température de la Terre, nous fournissent de la nourriture et de l’eau et abritent des centaines de milliers d’espèces, sont depuis longtemps notre meilleur allié dans notre lutte contre le changement climatique. Plus de 93%1 de la chaleur générée par les activités humaines depuis les années 1950 a été absorbée par les océans à un prix dont nous commençons seulement à prendre conscience. L’élévation de la température et l’acidification croissante des océans se manifestent aujourd’hui par la fonte de la banquise arctique et le blanchiment des coraux. Une action immédiate est nécessaire et nous devons utiliser toute la panoplie de mesures dont nous disposons : atténuation, protection, restauration et adaptation.

Au cours des 60 dernières années, le réchauffement des océans a provoqué des changements d’une telle ampleur qu’il nous est difficile d’en saisir la portée. Une analyse réalisée en 2015 par le Grantham Institute a conclu que si la même quantité de chaleur qui a été absorbée entre 1955 et 2010 sur une profondeur de 2 km à partir de la surface des océans était restée dans les 10 km de la couche inférieure de l’atmosphère, la température sur Terre aurait connu un réchauffement de 36 °C. Les océans nous ont donc protégés des effets les plus néfastes du changement climatique. Mais une grande incertitude demeure quant à leur capacité, à l’avenir, à absorber le dioxyde de carbone. Si les océans ont été jusqu’ici notre meilleur allié, il se peut qu’à l’avenir, ils nous envoient la note à payer : une grande partie des émissions que nous avons générées depuis les années 1900, aujourd’hui stockées dans les océans, pourrait revenir dans l’atmosphère.

L’acidification des océans pourrait s’appeler la crise chimique du climat mondial, En plus du réchauffement de la planète, l’acidification risque de mettre en danger la vie marine et d’avoir des conséquences plus que catastrophiques. Depuis l’industrialisation, l’acidification des eaux de surface des océans a augmenté de près de 30%2. Si nous n’agissons pas rapidement, les récifs coralliens seront l’une des prochaines victimes du changement climatique. Alors qu’ils représentent à peine 1% de la surface des océans, 25% des espèces marines en dépendent. Leur détérioration a aussi des conséquences sur la protection des zones côtières, la pêche et le tourisme. Sans une réduction significative des émissions de dioxyde de carbone, d’ici à 2050, presque tous les récifs coralliens auront été exposés à un niveau d’acidification tel qu’ils n’auront pratiquement plus la capacité de former du calcium et de continuer à croître.

D’après les chercheurs, les océans abritent jusqu’à un million d’espèces différentes3. La hausse de leurs températures risque de provoquer la migration d’espèces, ce qui constitue un risque d’uniformisation de la biodiversité à l’échelle planétaire. Cela signifierait un déclin du nombre d’espèces dans les régions où la température de l’eau est plus élevée et une augmentation significative du nombre d’espèces dans les régions plus froides situées autour des pôles. Ces changements pourraient avoir des conséquences graves sur la pêche et l’aquaculture mondiales. D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, plus de 3 milliards de personnes dépendent des poissons pour 20% de leur apport en protéines animales.

Avec l’augmentation de la population, la mauvaise gestion des pêches et l’augmentation des exportations de poissons, les changements dans la diversité de la faune piscicole locale peuvent avoir des conséquences importantes pour la sécurité alimentaire, en particulier dans les pays côtiers pauvres où de nombreuses personnes dépendent de la pêche pour vivre.

Le changement climatique menace aussi l’apport en oxygène au sein des océans de deux façons. Premièrement, l’eau chaude contient moins d’oxygène que l’eau froide de sorte que lorsque les océans se réchauffent, les taux d’oxygène diminuent. Deuxièmement, la densité de l’eau chaude est inférieure à celle de l’eau froide, ce qui rend difficile la circulation en surface de l’eau riche en oxygène et sa descente en profondeur. En conséquence, les océans profonds font particulièrement face à un risque élevé d’appauvrissement en oxygène. Les poissons qui en dépendent se développeront plus lentement, diminueront en taille et se reproduiront moins. Les gros poissons comme le thon, l’espadon et le requin, qui ont besoin d’une grande quantité migreront vers des eaux de surface plus riches en oxygène comme le feront une grande partie de leurs proies. Cela entraînera une concurrence accrue pour l’accès à la nourriture. Des espèces vivant dans les fonds marins rechercheront aussi des eaux moins profondes, ce qui augmentera le risque de surpêche, car un plus grand nombre d’espèces marines peupleront des zones réduites et plus facilement accessibles, et seront plus faciles à pêcher.

L’Arctique est un exemple de «point chaud» des effets du changement climatique sur les océans. Dans cette région, à la fois le réchauffement et l’acidification surviennent rapidement et dans une plus grande mesure que dans beaucoup d’autres lieux du monde. Les résultats scientifiques indiquent un risque accru de franchissement de points de basculement dans l’Arctique, comme l’effondrement de la glace de mer en été, la fonte des nappes glaciaires et les émissions de méthane causées par la fonte du permafrost, des phénomènes qui pourraient avoir des conséquences très importantes à l’échelle planétaire, notamment sur les niveaux des mers. La biodiversité et les écosystèmes arctiques sont des trésors irremplaçables d’une grande importance pour la planète. Un grand nombre d’espèces, d’écosystèmes et d’habitats risquent de disparaître complètement ou d’être morcelés en fragments isolés. Alors que les nappes glaciaires fondent, des zones de plus en plus vastes facilitent aujourd’hui les transports maritimes et l’extraction de ressources naturelles comme le pétrole, le gaz et les poissons. En novembre 2016, les températures étaient 20 degrés au-dessus des températures normales de saison. C’est un véritable signal d’alarme. Le réchauffement soudain entraîne un changement radical des conditions de vie non seulement autour du pôle Nord, mais aussi sur le reste de la planète. Les glaces permanentes au pôle Nord et au pôle Sud sont une condition préalable à la stabilité de la Terre. En Arctique, les températures en hausse auront des effets importants sur le climat mondial. Il faut donc espérer qu’il s’agissait du dernier signal d’alarme qui était adressé avant que nous nous réunissions et réussissions à inverser la tendance.

Il est impossible d’estimer la valeur économique des océans pour nous, êtres humains; fondamentalement, ils sont une condition préalable à l’existence. Il est incontestable, toutefois, que les effets du changement climatique sur les océans entraîneront des coûts économiques importants. Par exemple, la chute de la fréquentation touristique due au blanchiment des coraux représente chaque année un manque à gagner de 12 milliards de dollars. Si l’on inclut la perte des services écosystémiques fournis par les récifs, les coûts annuels s’élèveront à mille milliards de dollars d’ici à 21004. Mais les coûts les plus importants seront mesurés en termes de santé et de sécurité humaines.

Pour atténuer les effets du changement climatique sur nos océans, il est indispensable de contenir l’élévation de la température nettement en dessous de 2 °C et de poursuivre les efforts pour en limiter la hausse à 1,5 °C, conformément à l’Accord de Paris. La Suède est prête à jouer un rôle de leader dans les efforts internationaux concernant le climat et a pour objectif de devenir la première nation au monde à se passer totalement de l’énergie fossile. Elle a aussi, ces dernières années, doublé ses contributions au financement multilatéral pour le climat et est aujourd’hui le plus important donateur par habitant à de nombreux fonds pour le climat, y compris le Fonds vert pour le climat, le Fonds pour l’environnement mondial et le Fonds pour l’adaptation. Le changement climatique est également au centre d’un grand nombre d’activités de coopération bilatérale menées par la Suède et nous voulons travailler de manière proactive afin de renforcer les initiatives qui sont liées aux effets sur les océans. Des réductions immédiates et significatives d’émissions de dioxyde de carbone nous donneront le temps de renforcer la résilience des océans, des écosystèmes et des espèces, c’est-à-dire leur capacité à s’adapter aux effets néfastes du changement climatique et aux inévitables facteurs de stress déjà présents. Les poissons, qui peuvent facilement migrer, pourront trouver de nouveaux habitats et les organismes ayant des cycles de reproduction courts comme le plancton pourront s’adapter aux nouvelles conditions.

Des mesures radicales doivent être adoptées pour renforcer la protection de la biodiversité et des écosystèmes. Il est encore possible de préserver de vastes écosystèmes marins relativement épargnés si des mesures sont prises dès maintenant. La Suède a alloué des fonds importants pour protéger les environnements marins qui sont une source de vie inestimable dans les eaux nationales et remplir les engagements fixés dans la Convention sur la diversité biologique, mais leur protection est aussi une question importante dans la coopération régionale et internationale. De plus, les effets du changement climatique doivent être pris en compte dans les évaluations des espèces menacées ainsi que dans la formulation de conseils sur les mesures à prendre.

À la lumière des divers facteurs de stress qui ont des conséquences sur nos océans, la gestion durable des ressources marines, notamment les mesures pour améliorer la sécurité alimentaire, est plus importante que jamais. Des mesures énergiques sont essentielles pour mettre fin à la surpêche et à la pêche illégale et assurer le passage de la pêche industrielle à la pêche artisanale dans les pays côtiers où de nombreuses personnes dépendent de la pêche pour vivre. Des mesures énergiques sont aussi nécessaires pour éviter et réduire la pollution marine, y compris les débris marins et l’apport élevé en nutriments. Enfin, nous devons aussi investir davantage dans la recherche afin d’améliorer nos connaissances scientifiques dans tous ces domaines.

Les effets du changement climatique sur nos océans ne se résument plus à des histoires individuelles liées au blanchiment des récifs coralliens; il s’agit de changements fondamentaux qui affectent les écosystèmes et la vie marine dont nous commençons tout juste à saisir la portée. Nous devons agir dès maintenant et placer les océans au centre de nos efforts sur le climat. Le fait que le système des Nations Unies, les secteurs des sciences et des affaires ainsi que la société civile portent un grand intérêt à la Conférence sur les océans montre que la communauté internationale est prête à prendre des mesures énergiques.

*Ministre du climat et de la coopération internationale pour le développement et Vice-Premier Ministre de Suède.
Notes
1. Sydney Levitus et al., «World ocean heat content and thermosteric sea level change (0–2000m), 1955–2010», Geophysical Research Letters, vol. 39, n° 10 (17 mai 2012).
2. Richard A. Feely, Scott C. Doney et Sarah R. Cooley, «Ocean acidification: present conditions and future changes in a high-CO2 world», Oceanography, vol. 22, n° 4 (décembre 2009), pp. 36-47.
3. Ward Appeltans et al., «The magnitude of global marine species diversity», Current Biology, vol. 22, n° 23 (4 décembre 2012), pp. 2189–2202.
4. Jean-Pierre Gattuso et al., «Contrasting futures for ocean and society from different anthropogenic CO2 emissions scenarios», Science, vol. 349, n° 6243, (3 juillet 2015), pp. aac. 4722-1-4722-10.