Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La brouille

par El Yazid Dib

Elle fait le va-et-vient dans l'actualité. Elle souffle le chaud et le froid. Comme elle tend à tempérer certaines ardeurs, elle aspire chez certains à faire monter d'un cran le climat déjà caniculaire.

Rien ne provient d'un hasard. Tout se concocte. Comme dans un jeu d'enfants ; les règles sont toujours interprétées selon la logique du probable vainqueur,  s'il voit que celles-ci ne lui sont plus favorables. Une simple escarmouche lancée en filigrane d'un programme ou d'une déclaration anodine ne peut en aucune mesure constituer un vrai bras de fer. L'humeur qui s'ensuit reste à réguler non pas par son producteur mais semblerait l'être ailleurs que dans un programme.

En fait, dans chaque début de gouvernance, il y a tout le temps des flashs accrocheurs et d'autres suscitant le sensationnel. L'on peut par l'effet de la médiatisation faire d'un mot toute une théorie et d'une différence d'avis toute une grosse fâcherie. Ni l'une ou l'autre n'aura à contrarier le chant des faiseurs d'actualités ou le chahuter. Ils n'ont aucune pièce d'identité politique à l'exception de celle qui les fait ainsi apparaitre. Ils sont cités à longueur de colonnes et de toile sans pour autant pouvoir y mettre une empreinte lisible. Seuls les supputations et autres calculs de coulisses précaires sentant le règlement de compte tiennent lieu de motivations; à défaut de preuves. L'on ne décrypte pas une chose ou un fait qui ne vous donne aucun élément d'analyse. L'on ne fait que se hasarder dans les moult conjectures et conformément à ses propres et grégaires convictions. C'est comme agiter son essuie-glace en plein brouillard et compter sur sa muse pour pouvoir un tant soit peu débrouiller la route. C'est ce qui semble se subir ces jours-ci.

Les hommes sont largement connus. Pas par une prouesse technologique ou un exploit de marque déposée, mais seulement par entrefilet, image ou chronique. Les podiums sont devenus pour eux la meilleure arme. D'un côté il y a un Monsieur que tout indique qu'il a la dragée haute, de l'autre deux Messieurs que tout indique qu'ils ont la même dragée en montant et en grade. Il va se sentir seul et esseulé dans un cosmos qu'il n'a presque jamais quitté, y a grandi et a participé à son évolution. Il va connaitre des moments d'isolation où seuls de vagues souvenirs d'une époque révolue auront à surgir pour lui accorder quelques relents de jouissance en lui permettant de ne pas lâcher de si tôt. L'homme qui a voulu créer une séparation entre le Droit et la caisse, tracer une distinction entre l'autorité et l'intérêt se devait par ricochet à son passé de ne pas abdiquer son trajet. Sa détermination initiale à le faire était d'une audience favorable que toute la société avait perçu là une issue salutaire face au marasme qui tue à petit feu. Les autres, dont l'un est censé être l'antinomie philosophique de l'autre ne sont en réalité que dans une lune de miel qui ne saura trop tarder. Les amours ainsi scellées s'avachissent rapidement. Il leur suffit d'une prise de conscience de part et d'autre et revoilà le profit stricto sensu qui réapparait tel un pli génétique indomptable. Il est redoutable ce profit, inhumain et insensible. Seul son ego restrictif, ses surenchères et ses agios comptent pour l'essentiel. Un patron par essence, s'il n'est pas l'ennemi du travailleur n'est pas naturellement son intime ami. Leur « liaison » n'est qu'un contrat à durée infiniment déterminée. A les voir se liguer peut s'avérer un bon pacte social et économique. A les voir rigoler peut s'avérer aussi une expression nationale et collective que tous sont heureux, tant les patrons que leurs salariés. Mais à vrai lire les visages de ces millions de travailleurs, l'image d'un manœuvre, d'un fonctionnaire ou d'un journalier heureux ne semble pas traduire la jubilation des deux hommes.

Si cette brouille donne la sensation qu'elle s'est éclipsée autour d'un furtif débat ou par une autre entremise, la carrure de l'homme seul et ainsi isolé n'ira pas la jeter instantanément dans les oubliettes. L'Etat ne vaut que par le sérieux et l'authenticité qu'il injecte dans les veines de ses serviteurs. Cet Etat se doit respect et obéissance. Il surpasse toutes les dimensions dans les dissensions personnelles. Cet homme dit d'Etat, à l'instar de tant d'autres maintenant disparus, n'a pas à chercher la complaisance de collegionnaires ou la servilité de certains auxiliaires intéressés. Il n'a pas non plus à plaire. Il n'est pas un sujet électif. Tout son devenir est dans sa riche carrière, laquelle lui réclame au nom de ce haut fonctionnariat de savoir préserver ses glorieux repères. Contrairement aux deux autres qui ne sont là que par une bénédiction de providence artificielle ; il fait l'objet d'une nomination en bonne et due forme. Une certitude est là pour s'élever en toute clarté qu'un jour viendra où il ne sera plus là. Penser à ce jour, à la façon d'avoir mené son job, à la sérénité de sa conscience reste un manuel quotidien, plus qu'un tableau de bord. Eux et leur sourire sous cape ne résisteront pas aux affres du temps et aux aléas conjoncturels qui crescendo garnissent chaque jour la mélancolie des jours à venir. Ils sont venus à la faveur d'une période ; ils repartiront à la défaveur de la même période.

Ainsi dans cet état de chose, la vie du pays est suspendue. Pouvoir pénétrer le mystère qui sangle l'échéance à venir est de l'impossible. Le temps n'est pas encore reparti. Pourtant tout a la ressemblance d'être clair quand rien n'est encore fini. A ce jour c'est l'indécis de tout l'ensemble organique qui prend le trône. Le mot de la fin ne sera pas prononcé tant qu'il y aura toujours des mots dits de la fin. La brouille est en passe de passer, de disparaitre, de repasser et de réapparaître? sous une autre échelle.