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Mosaïque algerienne

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

La société algérienne. Choc de la modernité, crise des valeurs et des croyances. Essai de Soufiane Djilali, Jil Jadid Editions, Alger 2017, 850 dinars, 206 pages.



Une approche iconoclaste et audacieuse ? Très certainement. Sera-t-elle acceptée et comprise, pas sûr ! Tant il est vrai que notre société (dont les élites), qui profite (ou recherche) largement des bienfaits et des retombées de la société moderne et occidentale, reste encore enfermée dans un passé mythifié... souvent par des mystificateurs.

Une approche de la société algérienne menée lentement, à petit pas, par souci pédagogique, se démarquant ainsi des essais habituels sur la question, mais une approche déroulée avec méthode. Il est vrai que l'auteur, jeune «loup» de la politique, chef d'un parti dont le nom est en rupture avec les appellations passe-partout, est un spécialiste en immunologie (spécialité qui étudie l'immunité des organismes vivants) et il était, disons, facile pour lui de transposer ses connaissances médicales sur la société dans laquelle il vit.

Quatre parties. Trois consacrées à l'analyse et à la réflexion et une, en fin d'ouvrage, consacrée aux grands axes d'un projet de société moderne («Quel chemin prendre ?») , dont on ne parlera pas car, peut-être, trop lié au programme politique du parti, laissant le soin au lecteur de le découvrir, de se faire une idée et, peut-être de choisir sa voie politique.

Quid de l'approche ?

1/ Elle s'attelle à analyser «sommairement» l'ordre humain et à rappeler les grands concepts...

2/ Elle traite plus spécifiquement de l'Algérie, en décrivant la société traditionnelle, sa culture religieuse...

3/ Elle aborde la généalogie de la crise de société, avec la montée en puissance des changements anthropologiques initiés dès l'indépendance (1962-1988), puis l'effondrement de la société traditionnelle, avec son lot de violence pathologique (1988-1999), suivi d'une période compensatoire (1999-2014) pour, enfin, entrer dans la période actuelle de prise de conscience (2014- ?)

Et, maintenant, quel chemin prendre ? Pas facile à tracer car l'Algérie est face à un immense défi : «Reconstruire, sur des bases rationnelles, une société, actuellement désarticulée et délabrée. Il faut rétablir une échelle de valeurs, conforme aux exigences du monde moderne et reconstruire un «Sur-moi collectif» capable de créer de l'harmonie dans la communauté». Les «politiques» de l'ancienne génération ont visiblement échoué. Les politiciens de la transition paraissent perdus devant l'ampleur de la tâche. Peut-être la réussite avec une «Nouvelle Génération » ? Qui sait !

L'auteur : Docteur en immunologie, président du parti politique Jil Jadid (Nouvelle génération), créé en 2012. Déjà auteur de deux ouvrages, des essais («L 'Algérie, une nation en chantier», Casbah Editions 2002 et «L'Algérie en question», à compte d'auteur, 2001).

Extraits : « Malgré les apparences d'une religiosité, parfois forcenée, les Algériens sont au fond souvent en défaut quant au respect des valeurs morales. Fraude, triche, vol, violence, mensonge, hypocrisie, impolitesse, arrogance ne sont pas rares et démontrent, s'il en était besoin, que le ritualisme religieux n'est qu'une façade pour cacher l'affaissement général de la foi et de la morale traditionnelle dans la société» (p.49), «La société algérienne, au sortir du cycle de violence, avait besoin de vivre, de dépenser, de sortir, de s'amuser, en un mot il lui fallait oublier le temps des malheurs en s'immergeant dans la fête. Pout vidanger le mal-être, elle allait organiser une orgie» (p.135)

Avis : Un programme politique ? non. Seulement une contribution de grande facture intellectuelle pouvant aider «à comprendre une réalité algérienne complexe et en crise, pour tenter de profiler un projet de société». Ecriture déchiffrée très facilement.

Citations : «On ne peut concevoir un projet de société sans d'abord analyser et même psychanalyser la société elle -même» (p.15), «Le «bien» ne résulte pas de l'éradication des pulsions fondamentales de l'humain mais de leur délicat et fragile équilibre et de leur sublimation en actes créateurs grâce à la raison, l'intelligence et l'intuition» (p.8) , «Lorsque la nation est consolidée, elle peut donner naissance à une civilisation» (p.41), «L'homme de la tradition ne peut vivre qu'une seule alternative : dominer et ou être dominé» (p.67), «De moins en moins, l'Algérien accepte le rapport de force. Il appelle au rapport de raison. Mais ces notions sont confuses. Tout en refusant la relation dominant-dominé, il n'a aucun modèle de rechange. Les conflits deviennent de plus en plus durs» (p.117), «L'exercice de la responsabilité pour l'homme suppose celui de la liberté. Mais, une liberté sans responsabilité deviendrait vite une source de désordre dans la société» (p.184).



Florilège. Recueil de textes de Mohamed Ben Cheneb, Casbah Editions, Alger 2011, 500 dinars, 300 pages en français, 67 pages en arabe.



Quelle carrière que celle de Mohammed Ben Cheneb... restée, peut-être jusqu'à nos jours, sans équivalent. Une œuvre scientique déroulée sur une tentaine d'années (1906-1928) embrassant une multitude de disciplines : pédagogie, éducation, droit musulman, hadith, poésie populaire, proverbes, lexicographie, grammaire, poésie classique, métrique, sociologie, histoire?Des étapes hors série parcourues aisément grâce à sa robuste constitution mais aussi et surtout grâce à son inflexible volonté. Travailleur infatigable, chercheur patient, opiniâtre et méthodique, toujours à l'affût des procédés modernes de travail fondés sur la rigueur scientifique... tout en ne changeant en rien à son aspect extérieur, refusant toute mise en cause de ses intimes convictions et «obéissant scrupuleusement à ses règles de musulman strict mais éclairé».

L'ouvrage reprend plusieurs commentaires sur des sujets divers : «L'itinéraire de Tlemcen à la Mekke par Ben Messaib au XVIIIe siècle», «Lettre sur l'éducation des enfants par Abou Hamed El-R'azzaly», «Notions de pédagogie enfantine. Résumé d'éducation et d'instruction enfantine», «Du nombre trois chez les Arabes», «Mots turks et persans conservés dans le parler algérien», une «Revue des ouvrages arabes édités ou publiés par les musulmans en 1322 et 1323 de l'hégire (1905-1940), «La vie civile musulmane à Alger» (p.178 à 299), un texte à ne pas rater... le tout formant un véritable trésor de connaissances de la société algérienne. Un héritage culturel à bien conserver et à transmettre sans pour autant ne pas le critiquer.

L'auteur : Ibn Abn Shanab (en dialectal algérien Ben Shneb et à l'état civil français Ben Cheneb) Muhammad B. al'Arabi, professeur et savant algérien, né à Takbu, près de Médéa, le 26 octobre 1869 et décédé à Alger le 5 février 1929. D'ascendance turque (la mère est une Baschtarzî). Père cultivateur. Elève de l'école coranique puis de l'école française (dont l'école normale d'instituteurs de Bouzaréah), instituteur... nommé à 29 ans professeur à la Médersa de Constantine... chargé de conférences à la faculté des lettres d'Alger, membre de l'Académie arabe de Damas en 1920... Docteur ès lettres en 1922... professeur d'université. Un monument de la culture nationale quelque peu ignoré.

Extrait : «Il convient d'avoir recours, à l'égard des enfants, à la douceur, à l'affection et à la tendresse ; car une rigoureuse sévérité, employée continuellement, perd souvent certains d'entre-eux» (p.39).

Avis : Remonter le temps n'est pas chose inutile. Peut servir de livre de chevet à conserver précieusement.

Citations : «Quel est l'homme qui mérite le plus qu'on se garde de lui ? Il y en a trois : l'ennemi ignorant, l'ami infidèle et le gouverneur traître» (p.108, citant Bozorgmihr), «Apprenez trois qualités de cinq animaux : l'éducation des grues, l'avarice et la mise en réserve des vivres de la souris et de la fourmi, le réveil matinal du corbeau et du coq» (p.109, citant Abdallah ben al-Moqaffa')



Le dinar algérien. Passé et présent. Essai de Bader Eddine Nouioua. Casbah Editions, Alger 2017, 800 dinars, 198 pages.



Comment est créé et géré le dinar ? Pourquoi se déprecie-t-il sur le plan interne et vis-à-vis des devises ? Comment sont gérées les réserves de change ? Comment activer la Bourse ? Comment faire face à la crise provoquée par l'effondrement du prix du pétrole ? Comment se pose la question du Riba et du taux d'intérêt ? Ce ne sont là que quelques questions et problématiques posées par l'auteur et auxquelles il a tenté d'apporter des réponses pour «éclairer notre lanterne» un peu éteinte dans un champ hautement spécialisé et même difficile à comprendre... Comme si les banquiers et les financiers ont tout fait (dans le monde de l'argent et des affaires) pour le rendre incompréhensible aux décideurs et encore plus au commun des mortels... afin de rester «maître du jeu»... jusqu'au jour de la «catastrophe». Qui sait ?

Un peu d'Histoire : La Banque Centrale (BC) devenue plus tard la Banque d'Algérie a commencé à exercer ses activités le 2 janvier 1963.

Début 1963, Seghir Mostefai (vingt ans à la tête de l'Intitution) le gouverneur est chargé de faire démarrer le nouvel Institut d'Emission dénommé Banque Centrale d'Algérie (BCA)... se substituant donc à l'ancienne «Banque de l'Algérie» qui exerçait le privilège de l'émission de la monnaie, dans le pays depuis 1851 (elle continuera à le faire, exceptionnellement, suite à un accord du 28 août 1962, jusqu'au 31 décembre 1962)

En avril 1964, le dinar -dont la valeur avait été définie par un poids d'or de 180 milligrammes ; une référence abandonnée par la suite (une partie des billets furent imprimés en Algérie... et les pièces de monnaie ne le furent en Algérie qu'à partir de 1988)- remplace le franc qui avait toujours cours. Il était resté convertible, d'où une fuite massive de capitaux.

Le reste est une très longue histoire quelque peu heurtée (et qui revient sur le tapis en ces moments de «crise» de ressources financières), intimement liée à l'état de l'économie nationale. Pour résumer cela, il faut savoir que «la valeur du dinar n'est pas garantie par le stock d'or que possède notre pays, ni par le reste de nos réserves de change (devises). Elle dépend en fait de l'état de l'économie nationale. Le dinar est fort lorsque l'économie est solide et prospère, il est faible lorsque l'économie stagne et périclite». Une situation bien délicate, sachant que l'économie algérienne est (et reste) intimement liée, depuis 1962, à notre état de santé politique... un état parsemé de «fièvres» et de changements multiples, souvent brutaux, parfois externes, de «médecins» et de médications. De quoi provoquer des empoisonnements ou de rendre «accros» !

L'auteur ne se contente pas d'établir un diagnostic d'une véritable jungle. Il nous présente, aussi, quelques «pistes» pour se sortir de la mal-aventure. Certaines paraissent bien simples... alors qu'elles sont les plus difficiles -et les plus risquées politiquement - à mettre en œuvre. Une impasse ?

L'auteur : Ancien élève des lycées franco-musulmans, l'auteur est diplômé de la faculté de droit et des sciences économiques de Paris, et ancien élève de Sciences-po Paris. Responsable d'abord de la Banque algérienne de développement (BAD) qui n'existe plus, puis gouverneur de la Banque Centrale d'Algérie, puis ministre-délégué du Trésor, puis...

Extraits : «Les ressources importantes en dinars et en devises dont a pu disposer le pays, pour la première fois dans son histoire, sont restées, durant des années, en grande partie oisives et lorsqu'elles ont été utilisées, elles ne l'ont pas été à bon escient et ont donné lieu plutôt à du gaspillage et à la corruption qui s'est généralisée et a gangréné toutes les activités» (p.36), «La monnaie peut être ainsi un facteur de prospérité comme elle peut être à l'origine de catastrophes. Tout dépend de la manière dont elle est émise et gérée» (p.50), «Lorsque l'endettement extérieur a été dévoyé et a servi à financer, à des conditions très onéreuses, des produits de consommation au lieu d'équipements, il a été à l'origine de difficultés» (p.178)

Avis : Tout est abordé avec pédagogie, ce qui en fait un instrument de formation et de documentation incontournable : pour les étudiants, les employés de banque et des institutions financières, les journalistes, les femmes et les hommes politiques, les syndicalistes, et pourquoi pas les simples citoyens.

Citations : «La monnaie ne joue complètement son rôle que lorsqu'elle est totalement convertible» (p.13), «L'émission de la monnaie est un droit régalien qui appartient donc à l'Etat, lequel le délègue à la BC» (p.43), «Il est important d'avoir sa propre monnaie, mais il est beaucoup plus important de veiller à ce que sa création et sa gestion se fassent d'une manière rigoureuse» (p.48), «Ce n'est pas le crédit extérieur qui est dangereux mais c'est sa mauvaise utilisation qui le rend dangereux» (p.87)