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La députation

par El Yazid Dib

Le pays va encore se paver d'une assemblée nationale. Des députés naissent, d'autres s'éclipsent. Des listes ont réussi à sauver quelques noms, d'autres ont fait couler les leurs.

Il est dit quelque part qu'un député est destiné à bien représenter les citoyens. À défendre leurs intérêts sociaux et politiques. A ne pas picoler à toutes les cantines gratuites. A éviter le cholestérol des banquets étatiques. A faire taire la grogne émeutière des électeurs. A bien lire et relire les projets de lois et mâcher l'éventuel amendement. A ne pas, dès la première invite du perchoir, lever la main, sans oser quelquefois lever le petit doigt. Cette nouvelle assemblée que l'on vient d'installer aura au moins le mérite d'être une grande mosaïque composée de différents courants. Même l'obtention d'un unique siège est un signe de bonne santé politique, contrairement à ceux qui prétendent qu'il y a là un émiettement farouche de l'électorat. En fait c'est cela, la diversité et la multiplicité dans les outils de la pratique politique. Fini, ce score envahissant où une seule entité peut tenir en haleine toute un hémicycle.

Il est de constance que ces gens là siègent à Alger, y crèchent, y discutent et font de la figuration au sein de (l'amphi) théâtre où les principaux rôles ne sont détenus que par ceux, en dehors de la scène, qui les ont mis en orbite. Les chefs de partis. Le spectacle est national tant la pièce dans l'attente de l'être n'est encore que régionale.

Certains d'entre eux, vont croire qu'ils ont un devoir de parler des conflits qui rongent leur cité au moment où, candidats consommés ou en cours, ils excellaient dans la reproduction du constat néfaste qu'ils promettaient une fois élus, de renverser. Changer les choses pour eux, c'est le faire pour les autres. Certes tout est renversé, même la structure ménagère ou l'indigence mentale dans laquelle ils semblaient baigner sans dire mot. La bonne rétribution par la grâce d'un trésor public en difficulté mais mis toujours à contribution va savoir faire la parité des équilibres et des allégeances.

Le député qui se projette en ce début de mandat va certainement servir à hanter les couloirs luxueux, porter des cravates en inox et des costumes galvanisés. Pour d'autres, rares et sélectifs, à faire guise d'enfants terribles et contestataires. Néanmoins, il se trouve que des parlementaires hors mandat agissent au mieux du faisable pour le compte de la démocratie, du sens politique et du fonctionnement de l'Etat. Les meilleurs députés resteront toujours ces cadres locaux de l'Etat qui s'empressent à chaque couac de faire le nécessaire. Ils ne sont pas là pour la figuration ; ça buche chez eux. Ils sont de toutes les parties. Du beau temps, à la mauvaise météo, du déneigement au recasement. Chapeau bas !

Le poste que procure la députation n'obéit à nulle circonspection si ce n'est celle de savoir à quelle caisse de retraités, dans cinq ans faudrait-il piocher les arrhes et les dividendes engrangés par l'occupation d'un siège dans le cénacle des automates goinfres et insatiables. Le président par le biais des reformes qu'il suscite devrait, dans ses usuelles admonestations brisant l'os dur des tabous et sorties inédites oser dire à quoi sert le député ? Hélas c'est un ingrédient vital pour l'existence d'une démocratie rendue impérative. Par principe, nous aurons une assemblée plus claire, plus transparente et moins affairiste disent les intéressés. Semblable à celles qui l'ont précédées, acquise et ligotée affirment les plus sceptiques. Elle aura cette auguste assemblée au moins le courage de pouvoir après tant d'années de mutisme et de folles compromissions de filtrer la friperie, de faire le contrôle de la finance publique, d'auditionner, d'enquêter et de tirer au clair les dessous des scandales et des remous politiques et finalement de se tenir debout, même en ayant les mains toujours levées, estiment les autres. Comme dans une fatiha.

Ces élections nous ont fait voir se défiler dans des listes soumises profusément à nos yeux des hommes, des anciens et des nouveaux, mais aussi avec certitude beaucoup de femmes. Cette armada de personnel dans leur majorité, professionnel dans la fonction candidature va changer autant de camp selon les saisons politiques et les alternatives climatiques. Les anciens d'entre eux passent, se hissent et se meurent dans un anonymat au bord de l'ingratitude. Ministres, walis, sénateurs ou députés, maires, ils finiront tous par abdiquer à la déchéance qui les guette au tournant des alliances politiques ou aux virages inévitables de la nature. Comme ils ont pu faire, de la disgrâce des autres, une distraction forcément payante, ils feront à leur tour, à l'avantage de l'amnésie, de belles victimes «marginalisées» et forcées à la traversée du désert. Seul l'Etat pérenne et permanent est censé sauvegarder l'honneur de la nation et le mérite d'un peuple qui ne fait qu'aspirer à une vie meilleure.

La course aux sièges parlementaires, la hargne d'obtenir des fauteuils ministériels ou l'envie chatoyante d'être juché au perchoir de l'APN n'épargnent personne. L'affichage d'ambitions osées ne se fait plus dans l'opacité du système, il se fait au contraire dans l'embrasement, la clarté et avec précision. Qu'une personne sans ancrage ni cursus politique, venant tardivement au militantisme puisse se prévaloir comme potentiel meneur de liste, il ne reste qu'à mettre les clés sous le paillasson de l'amnésie. Dormons jusqu'à ce que réalité s'ensuive!. L'on n'arrive point à feindre à chaque coup une population ni à leurrer une opinion publique à chaque échéance. L'on vient chez soi, si l'on est ministre dans la peau d'un futur candidat, l'on déplace avec, des projets et on offre un bout de l'Etat en guise d'arrhes. Puis on se marre, on se rappelle ses origines et on repart. Ils poussent l'affront jusqu'à devenir des triple-dimensions. L'une est une terre natale, l'autre un lieu de résidence, la dernière une Kasma de candidature. On ne peut pas représenter une chose ou une population si on ne l'a vit pas. Quand on n'a pas subit le mal on ne peut exprimer la douleur. On ne peut pas être mandataire d'une région qui seulement vous a vu naitre. Il fallait y vivre dans la rigueur hivernale, la boue des ruelles, l'obscurité des taudis.

La mémoire pour certains «bachaghas» embur¬noussés imposés, n'est pas le miroir de leur population. Elle n'est que le reflet de leur passion en somme toute infinie ou un raccourci de bouton pour prendre vengeance à l'égard des caprices de l'histoire. Ils ne pointeront jamais aux annales de leurs cités. La population n'aura pas à s'en souvenir. La différence dans l'intimité d'un souvenir ne se situe-elle pas dans l'intervalle qui sépare l'amnésie de la distraction? Laisser de grâce la ville à ses enfants, la liste à ses fideles. Si la loi organique sur les partis ait pu prendre à sa charge presque tous les éléments constitutifs d'un scrutin chatoyant et limpide, elle n'a pu épandre son aura sur tous les angles de la question. Il s'agit en fait du mandat de la députation. Les partis sont ainsi mis à contribution pour la confection des listes de candidatures. Cela reste encore insuffisant. Il fallait y adjoindre une disposition légale, faisant obligation à tout candidat à la députation, la jouissance préalable d'un mandat électif local. Ainsi le futur député ne viendra pas perdre son temps dans un apprentissage qu'il aurait fait en pré-requis déjà auprès d'une collectivité locale élue. Même si le mandat de député est censé être national, rien n'aurait empêché le législateur de le puiser parmi ceux et celles qui ont eu à donner du leur d'abord chez eux, au sein même de leur ville, douar, arch.

En fait de stratégie pour des horizons lointains, il demeurera constant de remarquer l'absence de toute approche tendant à élever les partis en structures aspirant doléances et attentes pour devenir en phase de développement ; de véritables réceptacles de soucis et de préoccupations. Ils ne sont avec l'agrément en cours d'une foultitude de sigle que des articulateurs sans amarrage dans la scène politique nationale. Le besoin en est plus que primordial pour agrémenter la démocratie, fut-elle de façade. L'objectif étant de canaliser la masse distinctement et selon un programme et non une idéologie vers un front de défense d'intérêts communs suivant une certaine méthode politique à partager par l'ensemble des sujets.

Malheureusement l'euphorie qui a accompagné l'affluence vers l'accouchement d'associations qualifiées à caractère politique suite à la permission constitutionnelle de 1989, n'eut pas le résultat escompté. L'installation durable et efficace dans la société. Le seul profit que justement cette « société » ait pu tirer ce fut l'action participative à l'édification juste organique d'une démocratie dont les rebords à ce jour ne sont pas distinctement appréhendés. Tout était perçu à la mode perestroïka. Au moment où l'on croyait balayer un système, l'on aurait permis à un autre plus tenace et perspicace de s'installer confortablement.

Si l'assemblée est un mode de gestion communautaire des affaires publiques, toujours en vogue depuis l'humanité, elle a été toujours objet d'enjeux. C'est sa composante humaine qui lui donne les mauvaises nuances et lui cause le rejet. Tout dépend de ceux qui vont agiter son souffle. L'on a vu des assemblées insipides, amorphes à la limite d'une armée composite de fonctionnaires. Obéissants, loyaux et bien complaisants. Même le pluralisme politique n'eut pu leur ôter cette fausse hégémonie entretenue bec et ongle par une doctrine systémique trop tendue. Cet effectif doit par le biais des partis, cadrer avec les aspirations décisionnelles du président de la république, qui dans une lettre dédiée à l'occasion souhaitait que « les prochaines joutes doivent être un succès tant pour l'électeur que pour l'élu ». Il en est de même pour le discours d'Oran, du 24 février où Bouteflika, redécouvrant toute sa verve insistait au plus haut de ses vœux que cette législature soit un différent début révolutionnaire. Un autre premier novembre. Ceci dénote, politiquement une volonté rectiligne à aller de l'avant. Le président s'est personnellement projeté dans cette mandature. Il veut un taux record de participation. Mais le souci des électeurs n'est pas allé ou ne pas aller voter, il est cependant suspendu à savoir sur qui voter. Sur quelle personne porter son choix, quel que soit son parti. Ah !si l'on votait sur une personne et non sur une liste ! Un stylo et un bulletin à cocher auront plus de crédibilité. Ainsi le vœu populaire en est émis. Voir des députés capables, désintéressés par la bourse et la vie, servir et non se servir, enrichir la légalité et non s'enrichir, éviter la compromission, ne pas trahir la confiance mise en eux, rendre compte aux citoyens, ne pas cautionner l'injustice, la hogra, le népotisme.

Comme tout algérien épris de paix et de justice l'espoir est de mise. Que ces nouveaux députés aillent au fond des reformes souhaitées. Que le prochain projet sur les partis puissent leur imposer un cahier de charges tenant lieu d'un règlement intérieur où il sera fait obligation pour toute candidature la présence d'une durée minimale de 5 ans comme militant dans le parti sous le sigle duquel la candidature est présentée. L'on évitera ainsi le parachutage, l'importation et la cooptation. Nous aurons de la sorte comme candidats des militants et non pas des intrus ou des embarqués de dernier quart d'heure. L'on ne vient pas militer à plus de 60 ans. Sinon où aviez vous consommé vos plus belles années ? vos énergiques ardeurs ? Parce que l'on a rien à faire, après une retraire, une oisiveté ou un dégout ; l'on vient finir ses moroses jours en beauté le croit-on.

Ould-Abbes, quoique je ne partage pas sa vision des choses et de son appréciation des êtres, reste quand bien même un militant actif. Idem pour le nouveau président de l'Assemblée Said Bouhadja, un moudjahid et un engagé serein. Quant à l'âge, on ne peut le prendre pour handicap dans l'exercice de l'acte politique. Je me rappelle avoir lu, il y a des années Lénine disant « je ne peux imaginer un révolutionnaire en pantoufles ». Ceci exige de la sagesse et de la perspicacité que du tonus et du muscle. Un combat d'idée et non pas un match de boxe.