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Comment se libérer d'une langue en déclin ?

par Ali Derbala*

« Il n'y a jamais eu de chercheur, mais seulement une quête se déployant ; par conséquent, ne vous faîtes pas de souci, soyez heureux». Ramesh Balsekar

Suite à la publication de l'article [1], nous apporterons notre pierre à l'édifice de la situation des publications scientifiques, en Algérie. Même dans la science, certains journaux étrangers véreux ont trouvé une «aubaine», une façon de se faire de l'argent sur le dos des scientifiques algériens. En Anglais, ils leur publient leurs articles d'une qualité «douteuse» en contre-partie d'une rémunération conséquente, à 30 euros la page, ce qui revient à un ordre de 400 euros par article. Par cet acte, l'auteur de la publication scientifique achète son article. Il n'y a plus d'effort intellectuel à fournir. Des enseignants universitaires ont même eu des grades supérieurs de Maître de conférences-A et professeur sur présentation de ces articles «achetés». L'Université scientifique est devenue, en moins de quelques années, une véritable pétaudière de publications universelles et saugrenues. THOMSON s'est associée ou a racheté REUTERS, la plus grande agence de presse britannique, un grossiste vendant de l'information brute à des médias. On leur apporte une réactivité permanente et une activité sept jours sur sept. La révolution numérique constitue également un défi, puisque la volonté de contrôle de ces institutions est compliquée par l'extraordinaire masse d'informations disponibles. Pour que leurs travaux scientifiques soient reconnus, la DGRSDT, (Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique), a imposé aux chercheurs algériens que leurs publications soient éditées par un journal du bouquet THOMSON REUTERS.

Les publications scientifiques

La langue universelle de la science est l'Anglais-américain qui est différent de l'Anglais-britannique. Le problème de publications d'articles scientifiques se pose avec acuité, pour certains chercheurs algériens. En effet, un « embargo» s'est imposé pour ces scientifiques par des éditeurs anglo-saxons. En général, on essuie un refus de publication non pas au motif scientifique mais rédactionnel. Parfois ce refus n'est pas motivé. Les réponses des référés ou arbitres de journaux scientifiques sont de type : the article is not well-written,

bad English, poor English, to be read by a native English, will need to be rewritten before it can be considered for publication etc. Les arbitres sont des spécialistes de renommée mondiale ou internationale. Certains pays, comme Taiwan, ont cassé cet embargo en acceptant de publier les travaux de qualité des chercheurs des pays du tiers monde.

Ces journaux ne sont pas payants et le comble est qu'ils ne sont pas acceptés par la DGRSDT. Dans notre spécialité, la seule et ancienne revue de langue française RAIRO, revue d'automatique, informatique et recherche opérationnelle, s'est « anglicanisée» et se dénomme actuellement RAIRO Operations Research Journal. Les rares articles publiés, en français, ne le sont qu'au bout de plusieurs années d'arbitrage, même aux érudits francophones. Certains éditeurs en Anglais tel qu'Elsevier, etc., ont même publié des articles « douteux». Récemment, l'éditeur allemand de publications scientifiques Springer a retiré de ses archives 16 articles générés, automatiquement, par un programme informatique et signalés comme des faux grossiers par un chercheur français [2].

Comment des scientifiques algériens arrivent-ils à publier en Anglais ?

Ils arrivent à le faire moyennant :

De gros efforts rédactionnels. Certains articles peuvent traîner jusqu'à cinq ou six années pour être acceptés pour publication en anglais, dans une revue de renommée établie ;

Suite à une annonce d'un appel à publication dans la communauté scientifique appelé «Numéro spécial» d'un journal, de l'anglais «Special issue». Il est diffusé par des «Editeurs invités», appelés «Guest Editors». L' «éditeur invité» est un chercheur spécialiste de renommée qui s'occupera de la collecte de bons articles de sa spécialité. Cette collecte d'articles peut se faire aussi dans des conférences internationales sponsorisées par un journal. En moyenne, les six meilleurs articles de la conférence, classés par le comité scientifique seront publiés dans ce dit numéro spécial.

Suite à un appel à la confection d'un «chapitre d'un livre appelé «Book chapter». Des livres sont rédigés par un collectif d'auteurs où l'article d'un chercheur est inséré dedans comme un chapitre. En général, ces derniers articles sont pris en considération mais ils ne sont pas classés de renommée.

Un payement cash. La page d'un article coûte ou leur revient au moins à 30 euros. Notre avis est que, le journal scientifique «payant» est la plus grande atteinte à la Recherche. Il faut l'interdire, l'abolir et le déclarer illicite.

Une traduction de leur article à partir de 200 euros, chose qui est inadmissible pour un scientifique. On traduit un article scientifique en allemand, en russe, en chinois, des langues qui ne sont pas universelles mais pas en anglais. On connaît beaucoup de scientifiques qui publient régulièrement, mais qui ne peuvent pas tenir un discours en anglais;

D'être cosignataires des articles avec des étrangers. Parfois, il est signalé un état de complaisance. Parmi les cosignataires étrangers, certains peuvent ne pas être connaisseur du sujet ou du thème traité dans l'article mais ils apposent quand même leur nom de renommée.

Une duplication d'un article déjà paru mais en tenant le soin de changer son titre. Ce cas « pathologique» s'est déclaré dans une université de l'intérieur du pays.

On est destinataire d'un courrier émanant d'un grand éditeur européen de journaux scientifiques, Elsevier Webshop, nous invitant à soumettre un article. Notre article sera édité par un expert de notre sujet de recherche, les éditeurs sont, tous, natifs anglais ou de langue maternelle anglaise, issues des prestigieuses universités du monde, le service est rapide, le manuscrit sera corrigé et renvoyé à l'envoyeur en cinq à sept jours, choisir l'anglais britannique ou l'anglais américain, les prix commencent à partir de 9.

Un scientifique doit décliner les mauvaises offres.

Ne plus être l'otage d'une langue pour publication scientifique

Il suffit de devenir « fluent» in American-English en étudiant à l'école des langues et en faisant des séjours en Grande-Bretagne ou aux states. Deux façons de publier s'affrontent. Certaines Ecoles et Universités préfèrent des articles de « conférences internationales» que ceux de « revues scientifiques». En effet, leur argument est que si un article est accepté dans une conférence et si on l'expose, on aura affronté, par des questions et des débats, au moins l'assistance par son nombre et l'article sera, sûrement, vu et lu par les participants qui consultent leur Proceeding ou actes. Par contre, un article publié dans une revue disposée dans un rayon d'une bibliothèque, peut ne jamais être vu ou lu par les scientifiques. L'acceptation de l'article dans les deux cas est faite par l'examen du texte par au moins deux arbitres. Dans le milieu scientifique, publier des articles, seul, peut être négatif. Il s'interprète comme un échec d'intégration à une équipe scientifique. Le chercheur ne doit pas être retiré, solitaire, avec pour seule occupation ses vaines petites recherches, mais auxquelles il ne saurait renoncer. Dans la recherche, nous ne pouvons accomplir un travail sans espérer, en même temps, que d'autres iront plus loin que nous. En principe ce progrès se prolonge à l'infini [3, p.19]. Il est suggéré l'élaboration d'un texte immuable s'inspirant de ce qui se fait dans les pays qui possèdent les systèmes de production de la science les plus développés. <<ce n'est pas tous les détendeurs de Ph.D et les Docteurs qui doivent publier des « articles de revue» pour soutenir leur thèse. La « revue» n'est pas la dénomination d'un « magazine» hebdomadaire ou mensuelle mais celle d'un journal scientifique. Si un doctorant a cherché et a recherché, pendant trois années, et a pu rédiger un mémoire de thèse de Doctorat, et si un jury de délibérations confirme «l'originalité» du travail de recherche, il est normalement autorisé à soutenir son doctorat. Le mémoire de thèse est un document dépassant obligatoirement, les cinquante pages. Un mémoire de thèse et une communication dans une « conférence internationale» peuvent suffire pour la soutenance du doctorat algérien. L'acceptation d'un article à communiquer et à exposer, effectivement, dans une « conférence internationale» avec un comité de lecture sérieux, connu et reconnu sur la scène scientifique internationale, évitera des désagréments aux chercheurs tels les problèmes d'affinité, de susceptibilité, de despotisme de certains conseils scientifiques, de népotisme, etc. L'acceptation d'un article de «conférences internationales» est faite après un arbitrage scientifique.

Parfois des résultats négatifs de recherche, résultats démontrables ou empiriquement observables, peuvent aussi, faire l'objet de communications et de publications. Une priorité plus élevée est à attribuer à la communication, dans une conférence qu'à un départ en stage. De ce fait, aucun conflit ne surviendra entre les doctorants et les stagiaires qui se recyclent. La DGRSDT doit donner les moyens aux universités pour créer et diffuser leurs propres savoirs à travers des journaux scientifiques algériens, des revues, des magazines etc. reconnus par les Conseils scientifiques des universités algériennes.

*Universitaire

Références

Bouchikhi Nourredine.

Otages d'une langue en déclin.

?Le Quotidien d'Oran', Opinion, 23 avril 2017, p.08.

Science : un éditeur abusé par de fausses études générées par informatique. ?Le Quotidien d'Oran', Société, samedi 1er mars 2014, p.17.

Max Weber. Le savant et le politique, suivi de : essai sur la neutralité axiologique. Enag / Editions 1991.