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Scrutin du 4 mai : les raisons de la colère !

par Cherif Ali

Le verrouillage de la problématique politique nationale réduite dans les faits à la seule alternative «pouvoir politique en place ou mouvance islamique» contribue, pour beaucoup, à renforcer le premier dans son positionnement affiché en tant que seul garant de la stabilité face aux risques, voire aux menaces dont serait, potentiellement, tout changement en faveur de la seconde.

Placés face à cette problématique binaire, pouvant paraitre lourde de conséquences non maitrisables en raison de l'histoire récente à la fois du pays même et de certains pays arabes,de nombreux citoyens et,en tout premier lieu, majoritairement,les différentes catégories en position de bénéficier, d'une manière ou d'une autre, de la politique actuelle de redistribution, dans un réflexe de type conservateur compréhensible,ont préféré se prononcer plutôt pour l'offre politique du pouvoir en place.

Ces propos qui ressortent d'une analyse effectuée lors des élections législatives de 2012 par le sociologue Nadji Safir, résument, parfaitement l'attitude du corps électoral algérien, au lendemain du scrutin du 4 Mai dernier : il a encore une fois,voté pour le parti au pouvoir qui conserve la majorité absolue malgré sa régression, grâce aussi à son allié le RND,en nette progression quant à lui, avec 100 sièges contre 70 il y a cinq ans.

La mouvance démocratique qui n'a pas boycotté est loin derrière ; les partis qui la composent découvrent qu'ils ont été passablement laminés ces dernières années dans la conscience politique nationale. Et aussi par la faute de ceux qui n'ont pas su bonifier leur «entente»à Mazaffran. Quant aux islamistes qui comptaient rafler la mise selon Makri, ils ont de quoi être déçus ! Leur ingénierie électorale s'est liquéfiée ! Eux qui pensaient avoir résolu l'équation «participer c'est cautionner et boycotter, c'est laisser faire» ont accusé les boycotteurs d'avoir été en partie, responsables du manque de réussite de leurs candidats.

En définitive, les partis politiques algériens apparaissent comme des «proto-partis» en dehors des échéances électorales ils sont, quasiment, absents de la scène politique ; seules les formations représentées à l'APN expriment timidement quelques points de vue, mais leur manque de consistance et leur suivisme à l'égard des autorités contribuent plus à les discréditer, qu'à les rapprocher de la société *. Pour l'heure, les bases militantes des partis sont réduites aux élus et à ceux qui attendent d'y être.L'opportunisme, le carriérisme ont pris le pas sur le militantisme ! Incapables de dépasser les divergences, minées par l'ambition de leurs «leaders maximo», ils sont loin de constituer un péril pour le pouvoir.

Le front du boycott se dit pour sa part, réconforté par l'attitude des électeurs ayant boudé les urnes ; sans compter ceux qui voté blanc ou nul, ce qui a fait dire aux observateurs qu'en définitive, à peine un quart d'Algériens inscrits sur les listes électorales, ont émis un vote positif ! Au même moment, en France à l'occasion d'une élection, présidentielle celle là, les partis de gauche et de droite qui se succédaient au pouvoir ont été disqualifiés par les électeurs qui leur ont fait payer leur mauvaise gouvernance.

Renvoyés les Fillon et autres Hamon, contrairement aux Ould Abbes et consorts ! Le premier nommé a averti :le FLN restera au pouvoir pour les 100 ans à venir !

Abdelmalek Sellal qui s'est investi corps et âme dans la campagne, sans réussir à persuader les Algériens d'aller voter, ne s'en sort pas indemne au point ou beaucoup s'interrogent sur son avenir à la tête du gouvernement.

Les observateurs y voient là les prémices d'une redistribution des cartes et des rôles au sein de la majorité présidentielle. Le chef du RND auréolé par son succès aux législatives a la faveur des pronostics.

A moins que le Président de la République, le maitre du jeu n'en décide autrement en confiant la primature à Abdelmadjid Tebboune, son ministre préféré.Ne l'a-t-il pas distingué en lui décernant la médaille du mérite pour l'ensemble de son œuvre au gouvernement ?l'homme, qui a tout de suite trouvé ses marques au ministère du commerce où il a entamé un travail d'assainissement tout en maintenant la pression sur ses équipes du Ministère de l'habitat est capable, pour le moins, de remettre en ordre de marche l'équipe gouvernementale, voire même proposer au Président de la république un «gouvernement de combat». Il y a urgence, car économiquement parlant, le pays s'enfonce dans la crise.Les recettes s'amenuisent et le pétrole n'arrête pas de baisser.Sellal et son équipe n'ont pas trouvé les bonnes solutions pour sortir l'Algérie de cette (im)passe qui risque d'être dramatique pour la population.

Le nouveau modèle économique n'arrive pas à décoller et il sera difficile de lui assurer un financement en raison de la fragilité des équilibres financiers de l'état. Recourir, une fois encore, aux poches des, citoyens n'est pas sans risques à croire un représentant des boycotteurs qui juge que «le résultat de ces élections est un référendum contre le programme du pouvoir en place» ! Le taux d'abstention vient d'être corrigé par le conseil constitutionnel : il est de l'ordre de 64,63 % ! Ce sont donc 16.737.221 Algériens en âge de voter qui ont refusé de voter, voire de choisir dans l'offre politique qui leur était proposée. Selon une politologue(*) les causes de ces comportements électoraux sont liées : tout d'abord, à un système qui a réformé ses procédures sans changer ses logiques de fonctionnement : il en a résulté un code électoral dissuasif, des résultats officiels suspects et une présomption de culpabilité en matière de fraude électorale.

Ensuite, dans l'offre politique qui conduit les électeurs à se désintéresser sinon de la chose politique, tout au moins de la chose électorale.

Enfin, l'électorat échaudé, démobilisé, suspicieux et exigeant.En 1990, les électeurs ont massivement voté contre les symboles du régime FLN.En 1995, ils se sont massivement rendus aux urnes pour rejeter le terrorisme. Dans les deux cas, le vote était accompagné d'un espoir de changement. Depuis les électeurs ne votent plus «contre» des idées, ou «contre» des personnes, ils s'abstiennent.

En Algérie, le citoyen n'intervient pas directement dans la construction des rapports des forces, le rappelait bien à propos Djamel Zenali dans une contribution à la presse : Il est invité a-t-il dit,aux urnes pour juste les valider ;l'intermédiation des corps institutionnels, des réseaux «clientélaires», des ordres religieux et des notabilités traditionnels va définir le vote global, grâce aux procédés de l'injonction, de la consigne et du troc ;comme à l'habitude, des voix d'élèveront à l'issue du scrutin pour crier à la fraude. Après une brève lamentation, les malheureux se tourneront vers le conseil constitutionnel dans l'espoir de bénéficier du coefficient d'ajustement autoritaire au profit de quelques amis malchanceux. Et tout rentrera dans l'ordre établi.

C'est ce à quoi on vient d'assister avec les correctifs apportés par ledit conseil !.Pourtant,le fort taux d'abstention et le nombre important des bulletins invalidés démontrent à quel point l'acte de vote est galvaudé en Algérie !Au moment même où le pouvoir brandit,régulièrement, des rendez vous électoraux comme une preuve de «démocratisation» du pays,l'attitude des électeurs intervient pour rappeler que le «bourrage régulier» des urnes a fini par décrédibiliser tout ce qui a un rapport avec la politique. C'est ce que pense, notamment,le professeur Ahmed Rouadjia.

En attendant que faut-il faire ?

1-Rendre obligatoire le vote, pour lutter contre l'abstention, comme l'a proposé Amara Benyounes ? Impensable.

2 ?Prendre en compte le vote blanc des électeurs qui ont fait l'effort d'aller voter, pour exprimer les raisons de leur colère ? Affirmatif !

* Ils n'ont pas voulu voter pour les sortants !

* Ils ne se sont pas reconnu dans les candidats!

* Ils ont estimés n'avoir pas été suffisamment informés de leurs programmes

* Ils ne sont pas arrivés à les choisir parmi l'offre «hétéroclite» qui leur a été proposée !

3-Revoir le mode de scrutin législatif qui, aux dires de certains, consacre l'hégémonie des partis gouvernementaux, favorise le régionalisme, l'affairisme et le conservatisme tribal au détriment des programmes politiques et économiques. Elle élimine de la course électorale les listes ayant obtenues moins de 5 % et renforce, arithmétiquement, les «grosses cylindrées» politiques, nonobstant leur piètre offre électorale.Elle consacre enfin et surtout le détournement de la volonté populaire (le FLN, semble ? t-il est sorti majoritaire avec seulement 600.000 voix !)

Renvois : Louisa Dris Ait Hamadouche, «L'abstention en Algérie :un autremode de contestation politique» l'année du Maghreb,V /2009,263.273